Lentement mais sûrement, la gestion de portefeuille discrétionnaire s’impose comme une méthode de travail prisée des conseillers en placement (CP) de l’industrie.
Environ 55 % des CP ont un permis pour exercer en gestion de portefeuille discrétionnaire, d’après les résultats du Pointage des courtiers québécois. De plus, une portion importante des revenus de production bruts des conseillers sondés, soit environ 37 %, est constituée d’honoraires pour la gestion discrétionnaire. Cette part domine les autres lorsqu’on segmente la rémunération moyenne des CP sondés, dépassant celle des honoraires pour la gestion non discrétionnaire (36 %), les commissions de suivi sur fonds d’investissement (17 %) et la rémunération par transaction (8 %), montre notre échantillon. (Voir aussi l’encadré ci-contre)
Selon des dirigeants des courtiers québécois, cette part est encore appelée à croître, tout comme le nombre de CP qui détiendront leur permis pour la gestion de portefeuille discrétionnaire.
«La gestion discrétionnaire est le segment de nos affaires qui croît le plus rapidement», note Frédéric Paquette, vice-président exécutif, affaires et ventes nationales, d’iA Valeurs mobilières (iAVM).
Or, il s’agit d’une croissance contrôlée chez iAVM. Chaque candidature pour devenir conseiller gestionnaire est étudiée par un comité responsable de l’approuver ou non, explique Frédéric Paquette : «La gestion discrétionnaire est également un environnement où des outils supplémentaires de monitoring de mandats et d’allocation d’actifs doivent être utilisés et qui bénéficie aussi d’une équipe de conformité spécialisée. Nous devons toujours nous assurer que l’infrastructure en place n’est pas dépassée par une croissance trop rapide.»
«En revanche, poursuit-il, la gestion discrétionnaire attire en général des conseillers ayant des blocs d’affaires plus importants en moyenne, et les synergies et l’efficacité que procure cette plateforme pour les conseillers se traduisent en croissance plus rapide.»
Plus de 70 % des CP du Québec de RBC Dominion valeurs mobilières (RBC DVM) ont leur permis de gestion de portefeuille discrétionnaire et cette proportion devrait encore progresser, selon Paul Balthazard, vice-président et directeur régional, Québec, de cette firme.
«L’une des raisons évoquées par ceux qu’on recrute parmi la concurrence, c’est notre plateforme de gestion discrétionnaire. De plus, nos plus jeunes conseillers ont un appétit pour cela. Ça ne sera pas la croissance aussi forte que dans les dernières années, mais ça va augmenter», dit-il. Selon lui, la crise sanitaire actuelle risque de ralentir cette croissance, car le Canadian Securities Institute réévaluait sa façon de faire passer ses examens pour l’obtention du titre de gestionnaire de placements agréé (CIM). Un CP qui est aussi analyste financier agréé (CFA) peut en outre faire de la gestion discrétionnaire.
À la Financière Banque Nationale (FBN), 400 CP pratiquent la gestion discrétionnaire, soit 56 % des 715 CP de la firme. «Je ne serais pas surpris que dans trois ans, 80 % de nos conseillers soient en gestion discrétionnaire. Ç’a énormément de bienfaits pour les clients et pour la productivité de nos conseillers», prévoit Denis Gauthier, premier vice-président et directeur national, de la FBN.
Pratique structurée
«Ne pas avoir à appeler ses clients un à un pour exécuter une transaction, ça permet de gagner du temps, explique-t-il. La gestion discrétionnaire fournit un levier pour structurer des portefeuilles afin de réagir. Dans un marché haussier comme baissier, les portefeuilles sont bien structurés.»
Adopter la gestion discrétionnaire ajoute un cadre et une discipline à la façon dont un conseiller gère l’actif des clients, car celui-ci a une obligation fiduciaire, selon Paul Balthazard : «Il a une politique d’investissement, une révision régulière avec les clients. Il y a toute une façon d’opérer qui donne aux clients le sentiment qu’on suit un plan de match. On a une profondeur dans notre façon de gérer nos affaires financières qui fait que, lors de turbulences, on est mieux équipés pour passer au travers. Il y a un sérieux dans l’approche et ça fait une différence.»
Par ailleurs, le temps libéré par la gestion discrétionnaire permet de se consacrer à la gestion de patrimoine, dont la planification financière et successorale. «Nos clients sentent que toute leur planification de vie est encadrée», ajoute Paul Balthazard.
Il n’est donc pas étonnant que les courtiers consacrent des ressources pour soutenir les gestionnaires de portefeuille. «Nous avons une équipe de spécialistes attitrée qui les soutiennent au quotidien et répondent à leurs questions. Ces dernières, par exemple, peuvent être de nature transactionnelle, liées aux systèmes ou encore administratives», note Frédéric Paquette.
De plus, un comité composé entre autres de conseillers et de gestionnaires en conformité surveille ces activités chez iAVM.»Ajoutez à cela des outils technologiques supplémentaires, notamment pour les transactions et les rapports, deux conférences par année et une équipe de gestion de pratiques pour aider les conseillers gestionnaires à toujours améliorer leur pratique», énumère-t-il.
Ce genre de surveillance des gestionnaires de portefeuille semble une constante chez les courtiers. On veut s’assurer que les politiques d’investissement sont bien suivies et que les performances sont convenables.
«On a un service consacré aux conseillers gestionnaires, avec le gestionnaire de portefeuille en chef, des gestionnaires associés et des analystes, dit Denis Gauthier. Ils mettent au défi la politique d’investissement et aident à détecter les faiblesses des portefeuilles.»
«Chaque conseiller en gestion doit soumettre son modèle à une équipe qui fait la supervision. Celle-ci vient coacher les CP et échanger avec eux. C’est un processus continu», explique Richard Rousseau, vice-président du conseil du Groupe gestion privée, Québec, chez Raymond James (RJ).
Du personnel, y compris des francophones, font notamment des évaluations en ligne pour soutenir les conseillers gestionnaires qui travaillent à domicile. «Les conseillers ne sont pas en manque de soutien et d’information. Le défi est souvent de faire le tri de toutes les sources d’information et de choisir ce qu’ils veulent entendre», ajoute Richard Rousseau.
Chez RJ, les trois quarts des revenus d’honoraires découlent de la gestion discrétionnaire. Cette part est appelée à plafonner à 80 % environ dans le secteur du plein exercice, «pour la raison qu’il y a des comptes pour lesquels ce ne serait pas approprié», selon Richard Rousseau.
«Il y a en gestion discrétionnaire des minimums d’actifs sous gestion nécessaires pour être admissible au programme. C’est souvent les plus gros books qui le sont», ajoute-t-il.
Cette adoption de la gestion discrétionnaire entraîne des défis pour les courtiers. «C’est un continuel work in progress. Il y a une évolution des attentes des clients et des conseillers. On continue de se réinventer sur les concepts de modélisation, de transaction. Tout l’aspect technique continue d’évoluer dans une bonne direction», explique Jérôme Brassard, vice-président et administrateur de RBC DVM et successeur désigné de Paul Balthazard.
Les défis sont aussi sur le plan du coaching des conseillers, selon Paul Balthazard : «Quand la majorité de tes clients sont en gestion discrétionnaire, c’est facile de ne pas passer assez de temps pour démontrer tout ce que tu fais en arrière-scène. On dit à notre monde : « Continuez d’être proches de vos clients, même si vous êtes en gestion discrétionnaire. Revenez constamment sur tout le travail qui est fait et qu’ils voient moins, nécessairement. » Il y a un défi de communication.»
En moyenne, 73,5 % des revenus de production bruts des conseillers sondés sont constitués d’honoraires basés sur l’actif du client. De ce type de revenus, en moyenne 51 % sont pour la gestion discrétionnaire, la différence étant une rémunération à honoraires pour la gestion non discrétionnaire. Or, ce dernier ratio varie de 46 % à 74 %, d’une firme à l’autre, montre notre échantillon.
* Cette donnée provient d’iAVM. Les autres données découlent de notre sondage.
Source : Pointage des courtiers québécois
Tableau : Finance et Investissement