Le Projet de loi 141 prévoyait l’abolition de la Chambre de la sécurité financière (CSF) et l’intégration de certaines de ses prérogatives à l’Autorité des marchés financiers (AMF). Les parlementaires l’ont finalement amendé et ont ainsi maintenu l’existence de la CSF. Dans l’indifférence d’une partie de l’industrie…
« La Chambre ? Je ne la sens pas dans mon quotidien. Son maintien ? Même si, sur le principe, je trouve que l’existence d’un organisme d’autorégulation indépendant est saine, ça me laisse indifférent », lance François Bruneau, vice-président administration et investissement, Groupe Cloutier Investissements, un courtier en épargne collective.
Il n’est pas le seul, révèle le sondage mené à l’occasion du Pointage des régulateurs. À la question : « Êtes-vous satisfait de l’amendement du projet de loi 141 qui a permis à la CSF de continuer d’exister ? », 60 % des personnes interrogées se sont dites « ni satisfaites ni insatisfaites ». De plus, 26,7 % se sont dites « satisfaites » et 13,3 % ont répondu « peu satisfaites » ou « insatisfaites ».
« Je suis un peu mi-figue, mi-raisin. Je ne favorise aucun organisme. Les deux solutions me conviennent », dit un autre répondant. Bon nombre ont aussi dit ne pas se sentir concernés par la CSF.
Toutefois, les résu ltats montrent une polarisation des répondants. « La Chambre a un rôle à jouer. J’aurais eu peur que, si l’AMF avait avalé la Chambre, des éléments de contrôle soient oubliés, donc moins de contrôle chez les représentants », dit un répondant.
« J’aurais aimé que ce soit fusionné pour simplifier la chose. La CSF ne collabore pas avec le courtier, ça ne simplifie pas les choses », note un autre. « La CSF est un organisme inutile qui devrait être regroupé avec l’AMF », mentionne un troisième.
« La Chambre a sa place. Il est important que les professionnels aient une capacité d’autoréglementation et d’autodiscipline, ça passe forcément par une association gérée par les professionnels plutôt que des instances étatiques », avance un quatrième.
Une des raisons qui explique la majorité d’indifférents tient au fait que les répondants sont généralement des chefs de conformité et des dirigeants de firmes qui ne sont pas eux-mêmes membres de la CSF. Or, étant donné leurs rôles stratégiques dans les firmes, ils ont tout de même un lien et des interactions avec la CSF, qui fait partie de leur écosystème direct.
Quoi qu’il en soit, « la Chambre, c’est encore très flou dans la tête de beaucoup de représentants, reconnaît Gino-Sébastian Savard, président de MICA Cabinets de services financiers et premier vice-président du conseil d’administration de la CSF. Le conseiller est un cow-boy solitaire qui s’occupe de tout, tout seul, dans son entreprise. Souvent, il ne voit que le côté de l’organisme de réglementation qui le force à avoir de saines pratiques, donc c’est parfois perçu négativement. »
D’autres raisons semblent expliquer la relative indifférence ressentie par certains professionnels de l’industrie. Parmi celles-ci, la multiplication des organismes de réglementation peut sembler confuse à certains d’entre eux, ce qui fait en sorte que le rôle de la CSF par rapport aux autres régulateurs ne leur paraît pas toujours clair. De plus, certains manquent parfois de contacts avec la CSF et d’autres jugent que le mandat de la CSF est incomplet.
Risques de confusion
AMF, CSF, Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACCFM), Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) sont autant d’organismes dont relèvent les conseillers selon leur spécialité et le rayonnement géographique de leur firme. Ces inscrits adhèrent automatiquement à plusieurs régulateurs. Parfois, les rôles des uns et des autres se chevauchent et l’écosystème semble un peu confus aux conseillers.
Par exemple, les professionnels du Groupe Cloutier Investissements adhèrent tant à la CSF qu’à l’ACCFM, un organisme canadien d’autoréglementation qui supervise les courtiers qui distribuent des fonds communs de placement. « L’ACCFM nous donne de l’information concrète sur l’application des lois qui nous concernent directement. Ils se mouillent sur l’interprétation, ce qui nous donne des guides pour notre pratique », explique François Bruneau. « La Chambre ne vient pas nous rencontrer, voir comment on fonctionne pour nous aider à améliorer nos pratiques, et comme c’est l’AMF qui nous inspecte, c’est son interprétation de la réglementation qui nous intéresse », poursuit-il.
Les seuls contacts de nombreux conseillers avec la CSF sont la réception des bulletins et du magazine de la CSF ainsi que la formation obligatoire sur la conformité. Les autres occasions d’interagir avec la CSF sont de nature disciplinaire ou des activités facultatives (tournée des régions, assemblée générale ou participation à des comités consultatifs).
Atouts de taille
Le mandat relativement restreint de la CSF et le fait qu’elle partage certaines responsabilités d’encadrement avec l’AMF est là où le bât blesse le plus. Organe d’autorégulation, la CSF est chargée d’assurer la protection du public, en « fournissant aux conseillers la formation continue, en les outillant pour respecter leur code de déontologie et en appliquant la discipline à l’encontre des fautifs », explique Marie Elaine Farley, présidente et chef de la direction de la CSF. L’AMF, elle, est notamment chargée de l’accès à la profession et des inspections des cabinets. Certains réclament que la CSF devienne un véritable ordre professionnel avec toutes les prérogatives liées à ce statut.
Ce partage de responsabilité explique pourquoi des répondants à notre sondage ont « l’impression que le gros du travail de la Chambre pourrait être fait par l’AMF. [La coexistence des] deux organismes n’est pas nécessaire ».
Or, la CSF a ses forces. Elle « contribue à rehausser les standards de la profession et accroît ainsi la protection du public », souligne Marie Elaine Farley. Son indépendance et sa connaissance du terrain la caractérisent.
« À la différence de l’Autorité, dont le PDG relève du ministre des Finances, la gouvernance de notre OAR [organisme d’autorégulation] est sous l’égide d’un conseil d’administration de 13 personnes, dont cinq administrateurs indépendants nommés par le ministre des Finances et huit membres élus démocratiquement par leurs pairs », précise-t-elle.
Par ailleurs, « les membres de la CSF sont jugés par leurs pairs lorsqu’une plainte disciplinaire est déposée par le syndic. L’Autorité, de son côté, s’occupe notamment de l’encadrement des personnes morales (par exemple, courtiers, cabinets, sociétés autonomes) et traduit ses assujettis devant le Tribunal des marchés financiers, lequel est un tribunal administratif exclusivement composé d’avocats nommés par le gouvernement », poursuit Marie Elaine Farley.
Relations à renforcer
Selon notre sondage, la note moyenne donnée à la CSF par des répondants en épargne collective a baissé (de 7,6 sur 10 en 2017 à 7,1 en 2019), celle donnée par des répondants en assurance est en hausse (de 6,2 en 2017 à 7,3 en 2019). Quant au niveau de satisfaction globale de ses 32 000 membres, il atteint 89 %, selon un sondage réalisé par la CSF.
Dans le but d’établir des liens entre l’industrie et elle, la CSF a créé des comités consultatifs, qui « jouent un rôle conseil important et auxquels siègent des responsables de la conformité et des conseillers », indique Marie Elaine Farley. C’est le cas de Maxime Gauthier, chef de conformité de Mérici Services financiers : « La Chambre n’est pas impénétrable ! On peut s’y impliquer et avoir de l’impact. Je suis écouté quand j’exprime des avis, mais il faut s’impliquer, intervenir. L’indifférence est liée à une méconnaissance ou à un désintérêt envers les mécanismes. »
De son côté, la CSF essaie de multiplier les occasions de renforcer le lien avec ses membres. Elle organise des tournées en région et a mené quatre campagnes téléphoniques en 2018 « afin de sensibiliser les membres à leurs différentes obligations », précise Marie Elaine Farley. D’ailleurs, la CSF a mis en place un tout nouveau colloque de formation, qui se tiendra le 8 octobre prochain. Maxime Gauthier considère ces initiatives comme importantes, car « si les conseillers n’ont que l’expérience des procédures d’enquête disciplinaires avec la Chambre, ils garderont une mauvaise image ».
Or, prévient Gino-Sébastian Savard, « il faut que les conseillers fassent des efforts pour mieux comprendre leur organe d’autorégulation et s’y investir ».
Pas du tout satisfait 11,7 %
Peu satisfait 1,7 %
Ni satisfait ni insatisfait 60 %
Satisfait 15 %
Très satisfait 11,7 %
Source: Sondage mené par Finance et Investissement