Plusieurs mains tenant une flèche en carton qui fait une courbe vers le haut.
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Les quotas de production assignés par les assureurs aux agents généraux font réagir. Est-il possible, et même souhaitable, de les remplacer par d’autres exigences ?

Observateur chevronné, Sylvain Gagné compare l’industrie de l’assurance de personnes au système de franchisage d’une importante chaîne de cafés.

«La maison mère de Tim Hortons aimerait que ses franchisés tiennent davantage de cafés, par exemple une dizaine au lieu d’un seul. La recherche d’efficacité et les exigences de conformité poussent également les assureurs à traiter avec le moins d’agents généraux possible. C’est pourquoi ils augmentent leurs quotas de production», signale l’ancien vice-président régional chez Empire Vie et ex-directeur général associé de l’agent général BBA Groupe Financier.

En revanche, cette voie est «insoutenable», affirme Caroline Thibeault, directrice générale de l’agent général Groupe SFGT, situé à Coaticook.

«Un agent général regroupant une centaine de conseillers ne peut pas atteindre les seuils minimaux de production requis par tous les assureurs. C’est impossible ! Dans l’éventualité où de petits agents généraux favoriseraient tel ou tel assureur afin de conserver leurs contrats, cela pourrait causer des problèmes éthiques», dit Caroline Thibeault.

Le conseiller en sécurité financière Léon Lemoine, qui dirige son propre cabinet, Gestion Ethik, s’inquiète : «Des directeurs d’agences générales me disent qu’ils doivent favoriser les produits de certains assureurs, sinon ils risquent de perdre leurs contrats. Voilà qui soulève les questions de responsabilité fiduciaire et de protection du public. Les quotas de vente ont des effets beaucoup plus pernicieux que les concours de vente !»

Responsable de l’agent général Groupe Financier Multi Courtage, de Saint-Hyacinthe, Guy Duhaime évoque des cas «d’annulation de contrats de distribution par des assureurs en raison de volumes de ventes jugés insuffisants». Il ajoute : «les agents généraux d’envergure régionale paient le gros prix d’une politique de concentration que je trouve économiquement incompréhensible et nuisible à la concurrence».

Président de l’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF), Flavio Vani estime que les quotas ont un impact négatif qui touche les consommateurs. «Les exigences de volumes de ventes très élevés nuisent à la diversité de l’offre. Les produits de masse prennent le dessus», dit-il.

Que faire ?

Afin de mettre les conseillers à l’abri des pressions pouvant s’exercer dans la foulée des quotas de vente, Léon Lemoine suggère l’adoption de la rémunération à honoraires en assurance de personnes, de sorte que le client paierait directement son conseiller. «Avec l’abolition des commissions et des bonis, les assureurs n’auraient plus le gros bout du bâton. On réglerait définitivement le problème de responsabilité fiduciaire des conseillers», dit-il.

Les autorités de réglementation devraient-elles s’intéresser à la question des quotas de vente ?

«Il leur serait difficile de le faire, puisque la loi ne donne pas aux agents généraux d’existence légale. En conséquence, les régulateurs n’ont pas la capacité d’intervenir», rétorque Guy Duhaime.

Si c’était possible, ajoute Guy Duhaime, il faudrait alors définir les caractéristiques de ce que devrait être un agent général digne de ce nom : «Il y aurait, entre autres choses, la capacité à fournir des services de formation aux conseillers ainsi que des services de maintien en vigueur des polices existantes, des systèmes informatiques pouvant communiquer avec les systèmes des assureurs, et même la réputation.»

La directrice générale du Groupe SFGT souhaite l’instauration d’un cadre réglementaire qui préciserait le champ d’action des agents généraux. «Ce ne serait plus aux assureurs de spécifier un certain volume de ventes. Toutefois, les assureurs pourraient demander aux agents généraux que les propositions soient transmises électroniquement. Ils pourraient également leur demander de s’occuper de la gestion de la conformité des conseillers indépendants», dit Caroline Thibeault.

En fin de compte, le sérieux des agents généraux serait garanti par leurs systèmes informatiques et par leur capacité à assurer la conformité des conseillers.

Aux yeux de Sylvain Gagné, il revient aux autorités de réglementation de répondre aux questions ultimes soulevées par la problématique des quotas de production. «C’est au régulateur d’évaluer les risques que comportent les quotas de vente. Veut-on que les petits agents généraux survivent ? Veut-on conserver le modèle de la distribution indépendante ?» s’interroge le consultant.

«Nous sommes conscients des effets indésirables que pourraient avoir des quotas de vente. Les clients sont-ils traités correctement malgré ces quotas ? Nous voulons que l’industrie prenne le temps d’en discuter et d’en débattre dans le cadre d’une réflexion dirigée sur la gestion des incitatifs qui se déroulera au cours des prochains mois», signalait, à l’automne dernier, Louise Gauthier, directrice principale des politiques d’encadrement de la distribution chez l’Autorité des marchés financiers.

Au cabinet conseil Derome & Lachance spécialisé en fusions et acquisitions, Martin Luc Derome a une longue histoire en assurance de personnes.

Propriétaire d’une firme d’agence générale acquise par la Financière Horizons en 2008, devenu vice-président exécutif de la Financière Horizons, poste qu’il a occupé jusqu’en 2012, Martin Luc Derome approuve la démarche des assureurs en matière de quotas de vente. «Si j’étais assureur, je pourrais exiger des quotas et j’encouragerais ainsi la croissance», dit-il.

Cela ne veut pas dire que les plus petits agents généraux perdraient leur place dans l’écosystème de l’assurance de personnes. «Les petits agents généraux survivront en se spécialisant. Par exemple, un tel pourrait devenir la référence en invalidité, un autre dans les produits de SSQ Assurance, et ainsi de suite. Les gros producteurs des Horizons de ce monde pourraient y déplacer une partie de leur chiffre d’affaires en raison de l’expertise et de la connaissance des produits qu’ils y trouveraient», dit Martin Luc Derome.

Ce n’est pas tout. «A-t-on encore besoin de la structure appelée agence générale ? La reconnaissance légale et l’intervention des autorités de réglementation ne sont pas nécessaires. Les conseillers ont besoin de services et de soutien. Un regroupement de courtiers spécialisés pourrait très bien y arriver, sans avoir à créer une agence générale», dit Martin Luc Derome.