Les quelques fonds d’investissement ESG (Environnement, Société, Gouvernance) au sommet de notre classement Fundata présentent une feuille de route remarquable pour la dernière année. C’est à l’image d’un secteur d’investissement relativement nouveau qui connaît une croissance très rapide, mais, malheureusement, quelque peu désordonnée.
Le secteur ESG est en forte expansion. Selon un rapport de l’Association pour l’investissement responsable du Canada publié le 26 novembre dernier, les actifs totaux sous gestion issus de l’investissement responsable sont passés de 2 132 G$ en 2017 à 3 166 G$ à la fin de 2019 au pays, soit une croissance de 48 %. Les chiffres absolus sont sensiblement plus modestes du côté des fonds communs de placement de particuliers en ESG, où l’actif est passé de 11,1 G$ à 15,1 G $au cours de la même période, soit une hausse de 36 %.
On peut croire que la superbe performance des trois fonds couverts dans cet article, dont les rendements s’étalent de 26 % à 68% au cours de la dernière année, viendra alimenter la tendance.
Chez Baillie Gifford Overseas, la firme d’Édimbourg qui gère le Fonds Desjardins SociéTerre Actions positives, qui trône au sommet de notre palmarès, la croissance est fulgurante. «Nous avons démarré dans le secteur ESG avec un capital de 8,5 M$ en 2017 et sommes maintenant rendus à 8,5 G$», affirme Catherine Flockhart, gestionnaire de portefeuille du fonds. L’ESG demeure toutefois une part modeste du portefeuille total de 443 G$ de la firme.
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Critères flous
Il résulte de cette croissance un certain désordre, où tout et son contraire tendent à faire partie de la grande catégorie «ESG». «On voit beaucoup de confusion dans le marché au sujet des critères ESG», constate Andrew Simpson, gestionnaire de portefeuille du fonds Catégorie IA Clarington Inhance PSR Actions mondiales chez Vancity Investment Management, à Vancouver.
Martin Grosskopf, vice-président et gestionnaire du Fonds d’actions mondiales Croissance durable AGF chez Placements AGF, à Toronto, est du même avis. «Ça devient un défi pour les investisseurs qui sont bombardés par d’innombrables propositions. Le potentiel de rendement du secteur a été nettement démontré; à présent, les craintes se transforment en avidité. Mais il faut toujours regarder sous le capot. La consigne demeure: ’Investisseur, sois avisé !’»
La question des critères ESG appliqués à un fonds devient donc cruciale. Les trois gestionnaires à qui nous avons parlé affirment tous être de parfaits investisseurs ESG. Cependant, ils se situent à deux niveaux distincts de la valorisation ESG. Martin Grosskopf adopte une position plus classique en recourant aux «cotes» ESG de MSCI, un des plus grands fournisseurs d’analyses ESG, de même qu’à Sustainalytics.
Toutefois, s’empresse-t-il de préciser, «nous ne sommes pas intéressés par les cotes de MSCI. Leurs analyses sont simplement un élément qui alimente notre processus de décision. Une cote ne touche pas l’essentiel de mon processus d’investissement, par exemple mon horizon d’investissement, ma lecture du marché, etc.»
Ainsi, ce gestionnaire n’analyse pas le profil ESG d’une entreprise en termes de «risque ESG», mais surtout d’«opportunité ESG». Il dit chercher des occasions d’investissement qui se situent à la pointe des préoccupations ESG, notamment dans l’énergie, en santé, dans la gestion de l’eau et des déchets.
«Nous n’allons pas détenir une Exxon et attendre qu’elle fasse sa transition vers les énergies renouvelables. Nous trouvons des entreprises qui sont déjà dans ces énergies et qui en tirent avantage», précise Martin Grosskopf.
Il donne le contre-exemple d’Amazon, qui se retrouve dans plusieurs fonds ESG d’importance. «Oui, Amazon a de bonnes opérations, reconnaît-il. Elle travaille sur son empreinte carbone et sur les conditions de ses employés. Mais elle ne nous intéresse pas, parce que l’impact social d’Amazon, surtout sur les détaillants locaux, ne peut pas être qualifié de durable.»
Catherine Flockhart est du même avis. «Beaucoup d’analyses ESG se concentrent sur les pratiques d’affaires et ne font pas de jugements de valeur sur les produits et les services fournis. C’est pourquoi certains fonds investissent dans British American Tobacco, qui a un bon niveau de satisfaction de ses employés et une splendide gouvernance, mais dont le produit est dommageable.»
Baillie Gifford Overseas ne recourt même pas aux analyses des MSCI de ce monde, souligne Catherine Flockhart. La firme effectue ses propres analyses ESG à partir de trois principes fondamentaux:les intentions de la direction, les pratiques d’affaires et le traitement des parties intéressées (clients, employés, actionnaires, communauté), ainsi que l’impact des produits et services. Tout comme Martin Grosskopf, cette gestionnaire est surtout à la recherche d’entreprises qui ont un «impact positif» dans la mise en place d’une nouvelle économie ESG en émergence, où l’on trouve des acteurs comme Tesla (véhicules électriques) et Moderna (pharmaceutique).
Vision plus large
Andrew Simpson ne loge pas tout à fait à la même enseigne.
Certes, il cherche lui aussi les occasions de pointe, mais ses évaluations ESG balayent plus large. En effet, celles-ci intègrent des acteurs que les deux autres gestionnaires ne considèrent pas.
Par exemple, «nous détenons Amazon en portefeuille. Nous ne visons pas la part ‘niche’ d’un portefeuille, mais plutôt sa part fondamentale». Ainsi, ce gestionnaire s’intéresse davantage à l’activité de transformation ESG de l’économie «traditionnelle» qu’aux performances d’entreprises à la pointe. Par exemple, Costco est un titre important de son portefeuille, un titre fort classique, auquel les deux autres gestionnaires ne s’attarderaient pas.
Pourquoi Costco ? Pour plusieurs raisons, explique Andrew Simpson. Par exemple, l’entreprise entretient un dialogue actif avec ses actionnaires. Sous la pression de ceux-ci, Costco a cessé de s’approvisionner auprès d’un fournisseur thaïlandais qui entretenait une force de travail composée d’esclaves. Par ailleurs, «Costco verse de bons salaires à ses employés et applique un plafond à son profit sur les produits vendus, poursuit le gestionnaire. Si un fournisseur dit qu’il peut donner une marge de bénéfice de 33 % sur un produit, le détaillant va plutôt abaisser le prix de 15 % et en faire bénéficier sa clientèle».