Le marché canadien des fonds négociés en Bourse (FNB) compte des centaines de fonds ayant un actif inférieur à 30 M$. En raison notamment de leur faible actif, ces produits se négocient peu entre détenteurs de parts. Une partie de leur liquidité provient principalement du travail des mainteneurs de marchés.
Dans l’industrie financière, certains désignent ces fonds comme des «FNB zombies» : il y a un fort risque qu’ils soient fermés ou meurent, en raison de leur modeste volume de négociation et de leur faible actif. D’où la comparaison entre ces FNB et ces créatures imaginaires mortes-vivantes.
D’autres sont beaucoup plus nuancés : ils refusent d’accoler une étiquette de FNB zombie à des fonds qui sont simplement trop récents ou qui n’ont pas encore trouvé un contexte économique favorable à la croissance de leur actif.
En tout, 45 % des fonds (soit près de 300 fonds) d’un échantillon de 666 FNB d’actions et de titres à revenu fixe enregistrés à une Bourse canadienne en mars 2019 avaient un actif sous gestion (ASG) inférieur à 30 M$, selon une liste publiée à ce moment par la Banque Nationale Marchés financiers.
Pour y voir plus clair, nous nous sommes entretenus sur ce sujet avec l’analyste Daniel Straus, vice-président, recherche sur les FNB et les produits financiers à la Banque Nationale Marchés financiers.
Finance et Investissement (FI) : Comment définiriez-vous un FNB zombie ?
Daniel Straus (DS) : Les FNB sont souvent lancés avec un capital de démarrage de 5 M$ en ASG. Habituellement, le mainteneur de marché ou le courtier désigné fournit ce capital d’amorçage. Si le fonds ne parvient pas à attirer des entrées au-delà de ce capital initial, le manufacturier de FNB pourrait alors décider de radier le FNB de la cote et de le fermer après quelques années. Un FNB zombie est un fonds qui pourrait être fermé dans un avenir proche, mais je préciserais que certains pourraient contester l’appellation de «zombie» donnée à de tels FNB.
Au Canada particulièrement, les investisseurs sont naturellement prudents. Bon nombre d’entre eux pourraient attendre un historique de rendements d’une année, ou même deux ou trois, avant d’investir dans un nouveau fonds qui n’a pas fait ses preuves. Il existe de nombreux exemples intéressants de FNB qui «ont ressuscité», pour ainsi dire : ils ont croupi avec leur capital de départ pendant longtemps avant que l’intérêt des investisseurs s’éveille. Plutôt que d’appeler «zombies» les petits FNB tombés dans l’oubli, je les qualifie parfois de «vilains petits canards» ; parce qu’on ne sait jamais, un jour, l’un d’eux pourrait croître et se métamorphoser en un beau cygne !
Par exemple, le fonds PDC d’Invesco [Invesco Canadian Dividend Index, à l’origine sous la marque PowerShares] a été lancé en 2011. Durant trois ans, il a lutté pour attirer des actifs, stagnant sous la barre des 30 M$ pendant longtemps. Puis, en 2017, il s’est mis à enregistrer des entrées significatives, probablement en raison de forts rendements réels que les investisseurs avaient remarqués. Maintenant, il affiche un ASG d’environ 680 M$. Il est le troisième FNB canadien de dividendes en importance, dans une catégorie qui compte de nombreux concurrents.
FI : À partir de quel niveau d’ASG un FNB n’est-il plus considéré comme un FNB zombie ? 10 M$ ? 30 M$ ?
DS : De nombreuses variables influent sur le «risque de dissolution» d’un FNB. Quelques manufacturiers de FNB m’ont dit que le seuil de rentabilité d’un fonds se situe habituellement autour de 50 M$, mais cela dépendra beaucoup des frais et autres coûts associés à la gestion du fonds.
Je dirais que la taille seule ne détermine pas le statut de zombie. Selon notre recherche, une combinaison de faible ASG, de long historique, de bas rendement, et de petit volume de transactions indique un risque accru de dissolution du fonds, mais aucune de ces variables en elle-même ne fait d’un FNB un zombie. D’ailleurs, il y a de nombreux exemples de FNB qui répondent à tous ces critères et qui n’ont pas été décotés… jusqu’à maintenant. En même temps, quelques FNB plus importants ont été radiés de la cote dans le passé.
FI : Un investisseur s’expose-t-il à un risque supplémentaire quand il investit dans un FNB dont l’ASG est très bas, comme un FNB zombie, plutôt que dans un FNB qui a davantage d’actif ?
DS : Le risque d’un FNB zombie est plus de représenter un désagrément qu’un vrai risque de perte. Dans le pire des cas, si le manufacturier de FNB ferme le fonds, tous les investisseurs restants récupéreront leur argent grâce à une unique distribution spéciale en espèces. À cet égard, ce n’est rien de plus qu’une «vente forcée», qui pourrait avoir des incidences fiscales négatives pour quelques investisseurs. Cependant, le risque est plus susceptible de se concrétiser dans les produits qui comptent peu de réels investisseurs en premier lieu ! Après tout, si le FNB n’a pas enregistré d’entrées au-delà du capital de démarrage, très peu de vrais investisseurs détiennent les parts de ces fonds, sauf les mainteneurs de marché du secteur bancaire.
FI : Un FNB zombie est souvent plus susceptible d’être fermé. Selon vous, quel est le plus important impact financier que subira un investisseur particulier ayant investi dans un FNB qui va fermer ?
DS : Comme une dissolution de fonds est essentiellement une «vente forcée», au pire, c’est un désagrément pour l’investisseur. En général, les dissolutions de fonds sont annoncées bien à l’avance, de sorte que les investisseurs ne perdent pas totalement le contrôle. Ils peuvent choisir d’attendre jusqu’à la date de dissolution pour encaisser le produit [de la dissolution]. Une autre possibilité : ils peuvent vendre leurs parts sur le marché ouvert en tout temps avant la dissolution, parce que les mainteneurs de marché sont encore engagés à fournir une cotation continue tout au long de la journée boursière. Il est intéressant de noter que si vous choisissez cette voie, vous devrez probablement accepter le prix de l’«offre» au plus bas de l’écart acheteur-vendeur du FNB. Si le fonds ralentit et distribue ses actifs nets en espèces, il est possible que les investisseurs finaux reçoivent des prix légèrement supérieurs en raison de l’économie d’échelle de la série finale de transactions de dissolution.
FI : Que devraient bien comprendre les conseillers en placement quand ils investissent dans des FNB ayant un ASG bas ?
DS : Ils doivent être conscients de plusieurs points :
La liquidité est déterminée par les actifs sous-jacents, et non par le volume de parts négociées du FNB.
Le «risque de dissolution» se retrouve toujours chez les petits FNB, à faible actif, à faible volume, et anciens, mais ce n’est pas un risque réel ; c’est davantage un désagrément qui comporte des incidences fiscales potentiellement négatives venant d’une disposition forcée.
Le fait qu’un FNB a peu d’actifs ne signifie pas nécessairement que l’idée qui le sous-tend est mauvaise. La réussite en investissement exige parfois d’aller à contre-courant.
Les fonds communs de placement peuvent être une structure de fonds plus risquée du point de vue de la «dissolution». S’il y a une vraie crise de liquidité dans les actifs sous-jacents et que le fonds commun doit faire face à une ruée sur les rachats, les gestionnaires de fonds communs peuvent ne pas avoir d’autre choix que de fermer le fonds à un certain moment. Cela est dû au fait qu’ils doivent satisfaire, en espèces, les premiers racheteurs ; ils financent cela en vendant d’abord les actifs les plus liquides. Les investisseurs qui sont «en second dans la file» du fonds pour le rachat de leurs parts détiennent des parts ayant des actifs sous-jacents progressivement moins liquides et potentiellement toxiques, ce qui favorise un cercle vicieux d’illiquidité effrénée du fonds. Cette situation s’est produite de multiples fois dans l’univers des fonds communs de placement, par exemple dans le cas de Third Avenue. Le mécanisme de création et de rachat des FNB élude ce problème.
FI : À votre avis, y a-t-il un risque d’accélération du nombre de fermetures de FNB au Canada, que ce soit des FNB zombies ou pas, sachant que même les grandes sociétés de fonds comme BMO ferment quelques FNB, tels que le ZEUS ?
DS : De temps en temps, nous assistons à ces vagues de fermetures qui viennent du fait que les manufacturiers de fonds rationalisent leur offre de produits. Nous considérons qu’il s’agit d’un «élagage» sain et qu’il est indicateur d’un marché robuste et en croissance. En 2017, iShares a radié de la cote un certain nombre de FNB redondants, parmi lesquels certains avaient des actifs non négligeables. Il pourrait arriver que les frontières entre les FNB et les fonds communs de placement s’estompent encore plus – les fonds communs ferment ou fusionnent tout le temps, et personne ne semble sourciller -, mais ce n’est peut-être pas demain la veille. Cela dit, des petits manufacturiers, comme Coin Capital et Equium Capital, ont retiré leurs FNB. Le marché est extrêmement concurrentiel, mais d’un autre côté, les investisseurs sont les bénéficiaires ultimes de cette concurrence en raison de frais plus bas.
FI : Un FNB zombie est-il plus difficile à gérer pour un mainteneur de marché ?
DS : Quand un nouveau FNB connaît une forte demande, les parts qui comprennent le capital de démarrage initial se vendent sur le marché à partir de l’inventaire du mainteneur de marché. Après cette étape, les mainteneurs de marché, étonnamment, maintiennent très bas, si ce n’est à zéro, l’inventaire des FNB qu’ils cotent en Bourse, se fiant au mécanisme de création et de rachat pour équilibrer leurs positions à la fin de chaque journée boursière. Ce scénario idéal est très efficient sur le plan des capitaux pour les mainteneurs de marché. En fait, quand nous commençons à voir de vraies entrées dans un nouveau FNB, nous savons généralement qu’à ce stade, les mainteneurs de marché ont liquidé leur capital de départ.
Ainsi, si un FNB n’a enregistré aucune entrée, alors les mainteneurs de marché doivent augmenter le capital pour conserver l’inventaire de départ dans leurs livres. D’un point de vue comptable et des capitaux, cela peut être coûteux, particulièrement pour les banques. Mais ce n’est pas toujours le cas, car elles concluent parfois une entente avec les manufacturiers de FNB pour atténuer ces coûts ou les partager. Cela étant dit, l’affichage des prix d’achat et de vente d’un FNB à faible volume, petit ou impopulaire n’est fondamentalement pas différent de celui de tout autre FNB ; tout dépend de la liquidité du marché sous-jacent.
FI : Quand on examine les données financières des FNB, on constate que les frais de transaction peuvent être assez élevés. Si un FNB enregistre de multiples petites transactions, ces frais pourraient engendrer un ratio des frais d’opération très élevé. Que pensez-vous de cet élément par rapport aux FNB ayant un ASG bas ?
DS : Les petits FNB sont susceptibles de déclarer des ratios des frais d’opération plus élevés dans leurs divulgations réglementaires, parce qu’ils pourraient avoir des coûts fixes comme des négociations de portefeuilles ponctuelles ou, très souvent, parce que le calcul est «annualisé» en fonction d’une formule réglementaire imparfaite. Nous prenons quelques-uns de ces chiffres avec un grain de sel, particulièrement dans le cas des fonds qui ont moins d’un an.