L’écart entre l’étendue du service aux conseillers en fonds distincts et celle du service en fonds communs de placement pourrait-il nuire aux ventes de fonds distincts ? Difficile à dire, mais plusieurs ont une opinion sur la question.
« À mon avis, il n’y a pas assez de démarcheurs (wholesalers) en fonds distincts. Les gestionnaires de fonds distincts sont moins accessibles que ceux des fonds communs. Il me semble aussi que les compétences pointues, comme celles des fiscalistes, sont moins nombreuses en fonds distincts qu’en fonds communs », estime Paul Constantinescu, président et cofondateur du cabinet multidisciplinaire Financière 360.
Président du cabinet Groupe Conseil Savard, Louis-Xavier Savard se demande si les ventes de fonds distincts augmenteraient s’il y avait davantage de service aux conseillers. « Je m’intéresse de plus en plus aux fonds distincts en raison des garanties pouvant répondre aux besoins des entrepreneurs. Or, en fonds communs, il y a davantage de personnes attitrées pouvant rencontrer les conseillers afin de donner de l’appui. Et il y a davantage de formations pour les conseillers. L’industrie des fonds distincts gagnerait sans doute à s’inspirer du monde des fonds communs », dit-il.
Les assureurs peuvent-ils faire mieux ? Robert Lachance, vice-président aux ventes, investissements et retraite, au Groupe Cloutier, a des doutes.
« Les sociétés de fonds communs font des efforts de marketing intenses autour de leurs gestionnaires. Ils en font parfois presque des vedettes. On est loin des assureurs vie qui parlent davantage de garanties ! Quand vous popularisez vos gestionnaires, il faut les faire sortir de leurs bureaux et leur faire activement rencontrer les conseillers », signale Robert Lachance.
Soutien et rentabilité
Pour la plupart des experts interviewés par Finance et Investissement, l’élément clé de la disproportion de moyens entre manufacturiers de fonds communs et manufacturiers de fonds distincts réside dans leurs parts de marché.
Selon les données de Strategic Insight, l’actif sous gestion en fonds distincts individuels ne représente qu’environ 8 % de l’actif sous gestion en fonds communs de placement.
« En fonds communs, l’offre est presque infinie ! Par contre, on ne trouve que quatre ou cinq fournisseurs de fonds distincts ayant une gamme complète de produits », observe Caroline Thibeault, directrice générale et associée au Groupe SFGT.
Cette situation se reflète à l’intérieur des réseaux de distribution.
« Les fonds communs sont vendus en succursale bancaire, chez les courtiers en valeurs mobilières et chez les représentants en épargne collective. Comme ce sont de très gros réseaux, il faut donc plus de wholesalers pour couvrir le marché », ajoute Robert Lachance.
Le marché des fonds distincts n’est certes plus aussi attrayant qu’à l’époque où les produits de retraits garantis à vie faisaient la pluie et le beau temps, ajoute Éric Lauzon, vice-président au développement des affaires et au recrutement chez Gestion de patrimoine Assante.
« Si un marché est rentable, il y aura fatalement des démarcheurs, comme c’est le cas avec les fonds négociés en Bourse (FNB). Mon impression, c’est que les fonds distincts ne sont pas suffisamment rentables pour que la structure d’appui aux conseillers soit aussi forte qu’en fonds communs », dit Éric Lauzon.
Robert Lachance ajoute un élément d’explication additionnel : les assureurs supportent une structure de coûts différente de celle de leurs homologues en fonds communs. « Les assureurs doivent maintenir des réserves actuarielles. Ont-ils les moyens financiers de maintenir de grosses équipes de vente sur le terrain ? J’en doute », indique-t-il
Les grands y sont
En revanche, les plus grands acteurs en fonds distincts sont significativement présents sur le terrain. Certains ont les mêmes démarcheurs que dans leurs secteurs de fonds communs.
« Certains assureurs donnent accès à des spécialistes de haut niveau en planification avancée », témoigne Yan Charbonneau, président et chef de la direction du Groupe AFL.
Vice-président au développement des affaires chez Aurrea Signature, François Blanchet affirme que des assureurs mettent à la disposition des conseillers des ressources hautement spécialisées, comme des fiscalistes. « Leurs connaissances sont aussi approfondies que dans le secteur des fonds communs », dit-il.
Selon le vice-président au développement des affaires d’Aurrea, « le nombre et la visibilité » de ces spécialistes est ce qui différencie les manufacturiers de fonds distincts des manufacturiers de fonds communs.
Pour sa part, Sébastien Lafond ne fait affaire qu’avec deux fournisseurs de fonds distincts. « Les manufacturiers de fonds communs déploient généralement plus de ressources que les manufacturiers de fonds distincts. Toutefois, l’appui de mes fournisseurs de fonds distincts est sans faille et il s’applique à tous les volets du cabinet, comme la fiscalité et l’analyse de la répartition d’actif », dit le vice-président, Marketing et distribution de Lafond + Associés.
Selon Sébastien Lafond, une chose importante joue en faveur des démarcheurs de fonds distincts : « Ils ne pousseront jamais la vente de produits qui ne feraient que correspondre à la saveur du jour ! »
Sans aller jusqu’à prévoir une forte croissance en fonds distincts, Caroline Thibeault estime que cette industrie a encore de beaux jours devant elle : « Je vois un regain d’intérêt pour les fonds distincts chez les jeunes conseillers ayant les deux permis. Certains ont maintenant le réflexe de protéger une partie des portefeuilles de leurs clients en proposant des fonds distincts. »
En 2018, les ventes de fonds distincts traditionnels, lesquelles excluent les produits à garantie de revenu viager, ont atteint 0,3 G$, par rapport à des ventes moyennes annuelles de 1 G$ de 2014 à 2017, selon Strategic Insight.
L’ère des fonds distincts est d’ailleurs loin d’être terminée, ajoute Yan Charbonneau. Selon le patron du Groupe AFL, le vieillissement de la population devrait susciter une « certaine augmentation » des ventes au cours des prochaines années.