La disparition des produits autonomes d’assurance soins de longue durée (ASLD) manufacturés par la Financière Manuvie et de Desjardins Sécurité financière (DSF) pourrait forcer les assureurs à redéfinir cette protection mal aimée du public et des conseillers.
Fin novembre, Manuvie mettait fin aux nouvelles souscriptions de SoinsVie, un contrat individuel d’ASLD. Deux semaines plus tard, DSF annonçait le retrait en juin prochain de son produit individuel d’ASLD appelé Vie autonome.
Ce faisant, l’offre de produits individuels d’ASLD rétrécit. Elle se réduit maintenant aux produits offerts par La Capitale, la Croix Bleue et la Financière Sun Life.
Dans une communication aux courtiers, Kathy Schmidtke, directrice principale des relations avec les distributeurs et formation de Manuvie, a invoqué la faiblesse des ventes ainsi que la législation fédérale restreignant l’accès des assureurs aux renseignements médicaux.
Selon des données datant de 2016, les ventes en ASLD tournent autour de 10 M$, soit quelques gouttes d’eau dans l’océan des quelque 2 G$ annuels en primes d’assurance vie. La législation fédérale, à laquelle se réfère la responsable de Manuvie, interdit désormais la transmission, aux assureurs, des résultats de tests génétiques.
En revanche, Manuvie n’a pas aboli ses contrats individuels d’assurance invalidité et maladies graves ayant des options de soins de longue durée. Et chez DSF, confirme Nathalie Tremblay, chef de produits d’assurance santé, «nous conservons Vie Option autonomie dans sa forme actuelle», soit en tant que police d’assurance permanente dotée d’une option en cas de perte d’autonomie.
Selon des observateurs, l’avenir de l’ASLD réside dans des produits hybrides combinant l’ASLD à d’autres protections comme l’assurance invalidité, l’assurance vie et l’assurance maladies graves.
«Les produits autonomes d’ASLD coûtent plus cher [aux assureurs] que ce que les actuaires avaient prévu. Ça s’explique notamment par l’augmentation de l’espérance de vie. Le prix de ces protections est très élevé. Les produits hybrides favoriseront la pérennité de l’ASLD en la combinant à des produits plus rentables et plus abordables», estime le consultant Robert Landry, ex-vice-président exécutif d’AXA Canada.
Selon lui, le repositionnement de Manuvie pourrait même inspirer d’autres assureurs. «En étant un leader de marché, Manuvie donne le ton. Les produits hybrides ou transformables pourraient être la planche de salut de l’ASLD», dit Robert Landry.
Maintenant consultante après une fructueuse carrière à l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes à titre de vice- présidente aux affaires québécoises, Claude Di Stasio pense également que les produits autonomes d’ASLD ne sont pas rentables. «En assurance collective, certains assureurs intègrent l’ASLD dans leur offre à titre de loss leaders (produits d’appel)», dit la présidente de CDS Services Conseils.
Dans les faits, Manuvie offre maintenant la protection de SLD par l’intermédiaire des séries Procadres et Franprise, des produits d’assurance invalidité transformables en couverture de SLD grâce à l’option Soins futurs. De plus, il est possible d’ajouter une couverture d’ASLD à l’assurance maladies graves Chèque-Vie.
Chez DSF, Vie Option Autonomie peut procurer une rente mensuelle équivalant à 1 % du montant d’assurance vie, jusqu’à un montant maximal de 2 500 $ par mois. L’assurance maladies graves permanente de DSF inclut également une protection contre la perte d’autonomie.
«Les produits hybrides ou transformables sont en harmonie avec le cycle de vie du client. Voilà l’avenir de l’ASLD !» s’exclame Frédéric Perman, vice-président au développement des affaires de Financière S_Entiel.
Selon lui, cette approche contribuera à mieux vendre l’ASLD, notamment par son abordabilité : «Par exemple, en achetant une protection contre les maladies graves au début de la quarantaine, on couvre un premier besoin. L’assurabilité des clients en soins de longue durée est plus facile à atteindre, et les primes sont moins élevées. Parler d’ASLD à des clients de plus de 65 ans est une mauvaise idée, car cette protection est alors énormément chère.»
Viser les femmes
Vice-présidente aux ventes de l’agent général Groupe Financier Horizons, Louise-Marie Rousseau ajoute que les assureurs devront revoir leur cible de marketing : «Les femmes auraient dû être visées par les spécialistes de mise en marché des compagnies d’assurance. Les femmes sont les aidantes naturelles, pas les hommes. Et pourtant, les assureurs ont préféré s’adresser aux conseillers en majorité masculins. C’était une erreur».
Louise-Marie Rousseau ajoute que «les femmes consommatrices sont assurément à la recherche d’un produit qui préserverait leur dignité et leur indépendance dans une situation difficile de SLD».
Claude Di Stasio estime elle aussi que les femmes seront les aidantes naturelles : «Mais j’ajouterais que l’espérance de vie des femmes est également plus élevée. Et ça, il faut le dire aux hommes de façon à les sensibiliser au fait qu’ils ne seront plus là le jour où leurs conjointes auront besoin des soins couverts par l’ASLD.»
La consultante ajoute que les assureurs ne devraient pas négliger d’autres cibles lors de campagnes de mise en marché, tels que les conjoints homosexuels et les adultes qui interrompent leurs activités afin d’aider des parents en fin de vie. «Une amie a pris soin de sa mère pendant deux ans. Des ASLD sur la tête de parents peuvent aider financièrement ces aidants familiaux», dit Claude Di Stasio.
L’avenir de l’ASLD passe aussi par un changement de mentalités. «Parler de droit de transformation en ASLD ne fait pas partie de la culture des conseillers. Il faudra beaucoup d’éducation pour changer leur vision des choses», dit Frédéric Perman.
Et il en faudra beaucoup pour changer la perception du public. «Quand on a un peu d’argent, les soins en CHLSD ne sont pas gratuits. Qu’en sera-t-il dans 15 ou 20 ans ? Ça ne sera pas moins cher. Prendra-t-on le risque de faire disparaître l’héritage qu’on voudrait léguer ? Il faut présenter cette éventualité à ceux qui ont les moyens de s’offrir l’ASLD», estime Robert Landry.