Les agents généraux (AG) assument de plus en plus de responsabilités en conformité auprès des représentants. Bon nombre évoquent l’arrivée à petits pas d’une nouvelle ère, celle de l’agent général unique, où un conseiller en sécurité financière devrait obligatoirement faire passer ses affaires par l’intermédiaire d’un seul et même AG.
Dans un document de discussion publié en mai dernier, le Conseil canadien des responsables de la réglementation d’assurance (CCRRA) évoque «la possibilité que des intermédiaires fassent l’objet de plusieurs audits de la part d’organismes de réglementation, d’organismes d’autoréglementation et d’assureurs au cours d’une année donnée».
En théorie, les agents généraux pourraient ainsi être audités chaque année, par chaque assureur qu’ils représentent. En plus des vérifications des autorités de réglementation !
«Il y a cinq ans, les assureurs ne nous demandaient rien. Aujourd’hui, certains assureurs comme la Financière Sun Life viennent nous rencontrer à nos bureaux afin de nous poser des questions sur ce que l’on fait et comment on le fait. Je m’attends à ce que ce genre de visites d’assureurs prenne de l’ampleur à court ou à moyen terme», dit Yan Charbonneau, président et chef de la direction d’AFL Groupe financier.
Chef de la conformité chez Aurrea Signature, l’avocat Adrien Legault signale que la «plupart des assureurs nous demandent d’être proactifs afin de détecter certaines tendances inappropriées dans les pratiques des conseillers, par exemple des taux inhabituels de résiliation de polices (churning). En conséquence, il faut parfois contacter des assureurs en leur faisant part de nos inquiétudes», indique-t-il.
«Risque de surcharge»
À l’instar de la Financière MSA, la plupart des agents généraux ont récemment investi davantage de ressources en conformité.
«Au cours des dernières années, nous avons enrichi nos ressources humaines de spécialistes de la conformité, incluant des avocats. Nous avons modernisé nos infrastructures électroniques. Nous avons même modifié l’emplacement de serveurs informatiques et de bureaux de façon à ce que certains écrans ne soient pas visibles !» dit David Benamron, directeur des affaires en prestations du vivant et dossiers avancés de la Financière MSA.
Cela dit, la capacité de répondre à la hausse quantitative et qualitative de demandes en conformité n’est pas infinie.
Grand connaisseur de l’industrie avec une trentaine d’années de métier, le consultant Sylvain Gagné estime qu’il y a «risque de surcharge».
«Si chaque assureur et organisme de réglementation demande un rapport de conformité différent, les petits agents généraux ne fourniront plus à la tâche. Ils pourraient devoir céder leur place. Chose certaine, il faudra simplifier et uniformiser les demandes d’audits», dit Sylvain Gagné, ex-directeur général associé de l’agent général BBA Groupe Financier et ex-vice-président régional d’Empire Vie.
L’autorité québécoise de réglementation indique être consciente du défi que les agents généraux devront relever dans l’éventualité où plusieurs intervenants pourraient leur demander divers rapports de conformité.
«Le CCRRA et les organismes canadiens de réglementation en assurance invitent les intervenants à faire des suggestions pour trouver solution à cette préoccupation», indique Sylvain Théberge, porte-parole de l’Autorité des marchés financiers (AMF).
Une solution se profile-t-elle à l’horizon ? Se parle-t-on suffisamment pour la trouver ? Sylvain Gagné ne cache pas son scepticisme. «Je ne vois pas, à ce sujet, l’ombre d’une concertation entre assureurs et autorités de réglementation. Mais qui sait… il est possible que les régulateurs s’attaquent au rôle des agents généraux en conformité après le débat de la distribution sur Internet !» évoque-t-il.
Vers l’agent général unique ?
Adrien Legault rappelle que les AG n’ont pas d’existence légale dans l’encadrement du secteur financier. Ils n’existent que par l’intermédiaire du contrat qui les lie aux assureurs. Par exemple, le projet de loi 141 n’en fait pas mention. Et lorsque l’AMF effectue des vérifications en conformité auprès d’agents généraux, il les fait au même titre que s’il s’agissait de cabinets de deux associés.
Toutefois, ajoute-t-il, il y a dans l’industrie une certaine logique à l’oeuvre favorisant la naissance d’un nouveau modèle, celui de l’agent général unique.
«Plus les agents généraux s’impliqueront en gestion de conformité des conseillers indépendants, plus ils réclameront l’exclusivité auprès des conseillers. Il est difficile de vérifier la conformité de 25 % ou 30 % du chiffre d’affaires d’un conseiller», dit le chef de la conformité d’Aurrea Signature.
Selon d’autres acteurs, les demandes accrues en conformité pourraient inciter les conseillers à confier leurs affaires à un seul agent général.
Tel est le cas de David Benamron, qui estime que «la tendance consiste clairement – et de plus en plus ! – à responsabiliser les agents généraux pour la conformité des conseillers indépendants». Et il est logique, ajoute-t-il, que les conseillers désirent éventuellement faire affaire avec un seul agent général : «Par exemple, supposons qu’un régulateur veuille consulter les documents des six derniers mois de tel ou tel conseiller. Nous ne pourrions l’aider qu’à la condition d’avoir la totalité de ses affaires.»
Yan Charbonneau va plus loin. «Les autorités de réglementation et les assureurs savent à quel point il est difficile d’auditer des conseillers indépendants. Et ils savent que les agents généraux ont accès aux dossiers des conseillers. Le chemin vers l’agent général unique est ardu, mais il est en train de se faire… lentement mais sûrement !» dit le patron de AFL Groupe financier.
Vice-président au développement des affaires chez Financière S_entiel, Frédéric Perman surenchérit.
«Le législateur envisage la possibilité de donner accès à un seul agent général, un peu comme ce qui se fait en épargne collective. Cela coïnciderait aussi avec la tendance des conseillers les plus jeunes, notamment les membres de la génération Y, à ne travailler qu’avec un seul agent général», indique-t-il.
James McMahon, président pour le Québec du Groupe Financier Horizons, est encore plus direct : «L’agent général unique pourrait être une réalité d’ici trois ans. L’impulsion viendra des autorités de réglementation, possiblement du CCRRA en raison des besoins en conformité. Les petits agents généraux n’auront pas les moyens financiers d’assumer ces coûts.»