Il y a deux ans, les actions privilégiées bénéficiaient de conditions optimales à la suite de la chute des évaluations de 2015 et en raison de la remontée des taux d’intérêt qui s’amorçait. Ces conditions ne prévalent plus, ce qui réduit l’attrait du secteur. Néanmoins, les actions privilégiées méritent encore l’attention des investisseurs.
Il y a à peine 10 ans, les actions privilégiées demeuraient la chasse gardée des investisseurs institutionnels. Les innovations du lendemain de la crise financière ont changé la donne.
Autrefois, les actions privilégiées perpétuelles à taux fixe, dont le taux de dividende était déterminé à l’émission une fois pour toutes, dominaient. Les nouvelles actions privilégiées à taux révisable ont modifié le contexte, en attirant les investisseurs individuels.
En effet, l’ajustement à intervalles de cinq ans du taux de dividende par les émetteurs change la dynamique de ce marché. Auparavant, les actions privilégiées étaient apparentées à des titres obligataires ; à présent, elles se rapprochent un peu plus des actions traditionnelles.
«Elles sont un hybride entre les obligations et les actions. Elles sont encore à 75 % comme des obligations, mais elles ont une volatilité plus proche de celle des actions», dit John Shaw, vice-président et gestionnaire de portefeuille chez Placements CI, à Toronto.
Cela leur procure une position particulière dans un portefeuille. John Shaw leur réserve une part dans la partie obligataire, mais modeste : 10 % tout au plus. Et les actions privilégiées «devraient être assignées de préférence à un portefeuille non enregistré, de façon à bénéficier du crédit d’impôt pour dividendes», ajoute le gestionnaire du fonds Mandat d’actions privilégiées Signature.
Un produit complexe
Le caractère révisable des actions privilégiées rend leur sélection plus complexe. «Ce n’est pas une catégorie d’actifs simple. C’est pourquoi il vaut mieux recourir à une gestion active pour faire le tri entre les nombreuses caractéristiques de chaque émission», soutient Terry Dimock, gestionnaire de portefeuille en chef chez Banque Nationale Investissements (BNI), à Toronto.
Cette complexité tient à de nombreux facteurs, notamment l’interaction du titre avec la direction générale des taux d’intérêt, le niveau d’ajustement futur du dividende, le taux réel de rendement du dividende et le rachat éventuel du titre par l’émetteur. À cela s’ajoute le fait que la révision du taux accroît l’intérêt d’échanger les actions privilégiées dans le marché secondaire.
En fait, tout allait bien pour le secteur des actions privilégiées jusqu’à ce que la Banque du Canada interrompe le mouvement de hausse des taux d’intérêt. «La montée des taux depuis quelques années favorisait cette catégorie. À présent, c’est l’inverse», dit Marc-André Gaudreau, vice-président et gestionnaire de portefeuille chez Gestion d’actifs 1832, à Toronto.
«Le marché anticipe même une baisse de taux de la Banque du Canada, et s’attend donc à une révision à la baisse. Ce qui entraîne aussi des évaluations plus basses», ajoute le gestionnaire du fonds Catégorie de rendement d’actions privilégiées Dynamique. Notre tableau illustre combien les prix ont été malmenés dans la dernière année.
Plutôt qu’une simple stabilisation des taux, comme l’annonce la Banque du Canada, une majorité d’acteurs du marché obligataire entrevoient une baisse en 2019. «Au Canada, 70 % des acteurs du marché prévoient une baisse, et aux États-Unis, 80 % des acteurs. On craint vraiment une baisse de la croissance mondiale», affirme Nicolas Normandeau, vice-président et gestionnaire de portefeuille chez Fiera Capital, à Montréal.
Les pressions à la baisse qui s’exercent sur les actions privilégiées se reflètent entre autres dans les obligations de cinq ans du gouvernement fédéral, dont les taux sont 35 points de base sous le taux directeur, signale Nicolas Normandeau, qui gère le fonds négocié en Bourse (FNB) Horizons Actif actions privilégiées.
De plus, «dans un petit marché de seulement 70 G$, on trouve beaucoup plus de vendeurs que d’acheteurs de titres, ajoute le spécialiste. Les gens prévoient un taux plus bas dans les révisions à venir et veulent vendre ou cherchent un prix plus bas pour compenser le dividende moins élevé.»
Évaluation positive
Cependant, tout n’est pas perdu. «Notre évaluation en termes relatifs demeure positive face aux marchés des actions, du crédit et des obligations à haut rendement, dit Marc-André Gaudreau. Le rendement est encore au-dessus de 5 % pour l’indice, et les évaluations des titres sont encore basses. Les autres catégories d’actifs peuvent être appelées à baisser davantage à cause de leurs évaluations plus élevées.»
John Shaw est du même avis. «Nous ne voyons pas l’économie tomber en récession et nous nous attendons à ce que les actions privilégiées nous donnent des rendements décents, soit entre 5 % et 6 %, avec un léger gain en capital en supplément. Ce n’est rien d’excitant, d’accord, mais rien de déprimant non plus.»
Marc-André Gaudreau se dit présentement plus enclin à acheter qu’à vendre, mais cela dépend du secteur. Celui de l’énergie est nettement plus attrayant que celui des banques, selon lui.
Ainsi, il privilégie Enbridge, dont les émissions emportent l’assentiment de tous nos interlocuteurs. Certes, reconnaît-il, la société a émis trop de titres afin de financer de gros programmes d’expansion. «Cependant, nous croyons que les flux de trésorerie provenant de ces investissements vont améliorer les risques de crédit et favoriser les actions privilégiées d’Enbridge. On négocie ici à un niveau de sweet spot [zone idéale] comme en 2015, avec une évaluation basse des titres autour de 18 $ et un rendement de dividende de 6 % à 6,25 %.»
John Shaw continue d’apprécier les émissions bancaires, d’autant plus qu’une émission de l’américaine Citigroup, acquise en octobre 2015, lui procure encore un rendement de dividende de 8,3 %. Ce n’est pas pour rien que cette émission occupe la deuxième place du portefeuille du fonds Mandat d’actions privilégiées Signature, avec une proportion de 3,70 % (en avril 2019), derrière Enbridge (4,14 %).
Au Canada, certaines émissions de la Banque Scotia retiennent son attention, d’autant plus qu’elles pourront profiter du rachat imposé par le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) pour le 31 octobre 2021.
«Le dividende de 4,5 % à l’échéance d’octobre 2020 n’est pas très élevé, reconnaît John Shaw, mais l’émission se négocie à 24,50 $, sous le prix d’émission de 25 $, et sera rachetée au pair [John Shaw en a la certitude à 99,5 %, même si cette émission spécifique ne sera pas encore soumise à l’exigence du BSIF]. Pour un titre qui n’a qu’un peu plus d’un an à courir, c’est attrayant, surtout au Canada.»