Les autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont signalé leur intention d’interdire la vente de fonds d’investissement avec l’option de frais d’acquisition reportés (FAR). Cette abolition possible s’appliquera-t-elle aussi aux fonds distincts, étant donné l’intention des ACVM d’harmoniser la réglementation entre les fonds distincts et les fonds d’investissement ?
Le Groupe Cloutier est aux aguets. «Nous disons à nos conseillers en sécurité financière qu’il faut se préparer à quitter le modèle des commissions de vente et à entrer dans celui des honoraires. En conséquence, il faut penser à faire grossir la taille de l’actif géré … et vite !» dit Robert Lachance, vice-président, ventes, investissements et retraite, chez Groupe Cloutier.
Selon lui, l’élimination des commissions de vente fait partie des tendances mondiales. «Personne ne connaît l’avenir. Mais selon ce que l’on peut déduire, les ACVM devraient éventuellement abolir les frais d’acquisition reportés en fonds distincts», dit Robert Lachance.
Pour bien des conseillers, ajoute-t-il, le chemin de la conversion sera ardu : «Les conseillers en sécurité financière qui n’ont pas quatre ou cinq millions en actif sous administration auront de la difficulté à rester en affaires».
Opinions divergentes
Selon les données de Strategic Insight, les FAR se taillent la part du lion en fonds distincts.
En décembre 2016, cette structure de rémunération constituait 72 % de l’actif sous gestion en fonds distincts. Les frais d’acquisition réduits, mieux connus sous leur désignation anglaise low load, représentaient alors 6 % des actifs. À titre comparatif, les FAR ne représentaient que 31 % des actifs en fonds communs de placement (FCP) et les low load, 11 %, d’après une présentation de cette firme lors d’une récente conférence de la Canadian Association of Independent Life Brokerage Agencies (CAILBA).
L’importance des FAR a toutefois diminué avec le temps. En décembre 2011, cette forme de rémunération représentait 80 % de l’actif en fonds distincts, et les low load, 4 %. À la même date, les FAR constituaient 45 % de l’actif en FCP, et les low load, 10 %.
Aux yeux de James McMahon, président pour le Québec du Groupe Financier Horizons, la suprématie des FAR en fonds distincts tire à sa fin.
«La direction est très claire. Les ACVM veulent harmoniser la réglementation entre les fonds distincts et les fonds communs. Les frais d’acquisition reportés disparaîtront», dit James McMahon.
En revanche, Maxime Gauthier, chef de la conformité chez Mérici Services Financiers, ne partage pas cette vision des choses : «Beaucoup d’eau coulera sous les ponts avant l’élimination des frais d’acquisition reportés de l’univers des fonds distincts.»
Les dés ne sont pas encore jetés, estime Flavio Vani, président et porte-parole de l’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF) : «Par exemple, le gouvernement de l’Ontario se dit en désaccord avec l’idée d’abolir les commissions intégrées. D’autres intervenants pourraient se faire entendre. Rien n’est coulé dans le ciment !»
Le responsable de l’APCSF martèle que l’élimination des FAR nuirait aux intérêts des clients. «Les frais d’acquisition reportés forment une barrière aux retraits en cas de baisse des marchés. Éliminer les frais d’acquisition reportés encouragerait des clients à retirer leurs billes en cas de crise ou de correction boursière», précise Flavio Vani.
Le débat sur la pertinence des FAR en fonds distincts est loin d’être clos, comme le montre la réaction d’Aurrea Signature.
François Blanchet, vice-président, développement des affaires chez Aurrea Signature, signale «être en principe contre les frais d’acquisition reportés, car les clients en paient souvent la note». Il fait référence aux frais de sortie qui s’enclenchent lorsque les clients liquident leurs placements en fonds distincts avant la fin de la période de détention de sept ans.
Entre l’abolition et le maintien des frais d’acquisition reportés, Marie-Claude Poulin, directrice, produits d’épargne et de retraite individuels chez iA Groupe financier, propose plutôt le réaménagement de cette formule controversée de rémunération.
«Les clients questionnent de plus en plus leurs conseillers au sujet des frais. En conséquence, nous observons que l’utilisation des frais d’acquisition reportés diminue chez les conseillers en sécurité financière. Toutefois, je crois que les frais d’acquisition reportés ont encore leur place dans un contexte où les options disponibles sont discutées avec le client», dit Marie-Claude Poulin.
Solution émergente
Selon bon nombre, les assureurs pourraient favoriser l’objectif de transparence des frais poursuivi par les ACVM en adoptant un mode de rémunération dit de «décommissionnement» (chargeback).
Adoptée par quelques assureurs dont iA Groupe financier, cette rémunération fait en sorte que le conseiller reçoit une forte commission de première année, à quoi s’ajoute une petite commission de service s’étalant sur quelques années. Si le client décide de vendre ses fonds distincts avant la fin de la période de détention prévue au contrat, l’assureur demande alors au conseiller de rembourser la portion de commission au prorata des mois écoulés.
Par exemple, iA Groupe financier propose deux formules de décommissionnement, soit une sur trois ans et l’autre sur cinq. Dans le cas d’un client qui vendrait ses fonds distincts après deux ans, il y aurait reprise de commission pour une période d’un an ou de trois ans.
«Avec cette formule, les clients n’ont aucune barrière à la sortie et peuvent se sentir davantage en confiance», commente Marie-Claude Poulin.
Selon François Blanchet, cette forme de rémunération a de l’avenir : «C’est une tendance en développement. Si tous les assureurs l’offraient, il est certain qu’on en ferait la promotion auprès de nos conseillers, particulièrement les jeunes. Cette forme de rémunération permet aux conseillers en début de carrière de toucher une rémunération plus élevée lors de leurs premières années d’activité.»
Même son de cloche chez Robert Lachance : «La rémunération avec récupération de commissions montre à quel point les assureurs ont évolué positivement au cours des dernières années.»
Toutefois, le conseiller prend le risque que des clients fassent faux bond lors d’une baisse des marchés. «Au conseiller de suivre ses clients de près, notamment en les informant sur les marchés», rétorque François Blanchet.
Marc-Étienne Legault Salvail est l’un des visages les plus prometteurs de l’avenir de la profession. Lauréat du Prix Relève 2017 décerné par la Chambre de la sécurité financière, il est président et associé principal du cabinet de services financiers GestionFTM. Il est en faveur de la rémunération avec récupération de commissions.
«Cela rejoint le meilleur des deux mondes. Les clients ne sont pas menottés et les conseillers sont incités à suivre davantage leurs clients. Il faut leur parler et prendre le temps de participer à leur éducation financière afin qu’ils ne quittent pas le bateau en cas de turbulence ou de mauvais rendements de fonds. Et cela donne aux jeunes conseillers l’occasion de faire de meilleurs revenus à leurs débuts dans la carrière», dit Marc-Étienne Legault Salvail.