Des agents généraux risquent d’écoper de la popularité des séries de fonds distincts avec reprises de commissions, aussi appelés «fonds en rétrofacturation».
Ces séries comportent une commission concentrée sur quelques années, habituellement entre deux et cinq ans. Si le client décide d’abandonner ses fonds, le conseiller doit alors rembourser la portion de commission correspondant à la période restante au contrat.
«Nous refusons de distribuer les fonds à récupération de commissions sur cinq ans. Le risque est trop grand. Ce risque se trouve non seulement chez le conseiller qui fait la vente, mais également chez les agents généraux sur le plan des transferts de blocs de clientèle», dit François Bruneau, vice-président, administration au Groupe Cloutier.
Sans frais d’entrée ni de sortie, ces séries de fonds distincts sont peu à peu en train de se tailler une place dans le marché, particulièrement auprès des clientèles plus fortunées. Elles reçoivent aussi un accueil favorable auprès des conseillers en début de carrière, à cause de la concentration des revenus générés pendant les quelques années de reprises possibles de commissions, s’étalant entre deux et cinq ans.
En revanche, des agents généraux sont sur le qui-vive. Certains pensent que cette structure de rémunération, lorsqu’elle est ramenée à cinq ans, pourrait leur faire du tort à l’heure où les transferts de blocs de clientèle se font plus nombreux que jamais.
François Bruneau donne l’exemple d’un conseiller ayant vendu des fonds à récupération de commissions de cinq ans chez l’agent général ABC. Un jour, ce conseiller décide de se joindre à l’agent général XYZ. Si certains de ses clients retirent ensuite leurs fonds, il reviendra alors à l’agent XYZ de rembourser les commissions aux assureurs… même si elles avaient déjà été payées à ABC !
«Avant d’accepter des transferts de blocs de clientèle, l’agent général devrait les examiner afin de déterminer le risque de récupération de commissions de cinq ans. Or, à ma connaissance, personne dans l’industrie n’effectue ce genre de vérifications», dit François Bruneau.
Systèmes d’information imprécis
Divers agents généraux confirment que les systèmes informatiques ne sont pas en mesure de cerner la part des blocs d’affaires pouvant être reliée à des fonds à récupération de commissions.
«À l’heure actuelle, les outils informatiques n’ont pas ce genre de fonctionnalité. Il faut donc faire ces examens à la mitaine», dit Yan Charbonneau, président et chef de la direction d’AFL Groupe Financier.
En conséquence, les transferts de blocs d’affaires peuvent devenir problématiques, ajoute-t-il : «Les périodes de récupération de cinq ans peuvent nuire aux agents généraux qui prennent de nouveaux blocs d’affaires puisqu’ils deviennent alors responsables du remboursement de commissions déjà payées.»
La capacité de vérification informatisée des blocs d’affaires reste élémentaire concernant des fonds à récupération de commissions, convient Dominic Demers, président de la Financière S_Entiel : «Il faut poser des questions. Si des conseillers vendent des produits d’assureurs qui offrent des commissions pouvant être récupérées sur de longues périodes, il faut alors regarder les blocs de plus près. Il reste que ces méthodes d’investigation sont plutôt élémentaires.»
Il est difficile de définir le poids des fonds à récupération de commissions à l’intérieur des blocs d’affaires, confirme Adrien Legault, directeur des finances et chef de conformité chez Aurrea Signature : «Les processus de transferts de blocs sont ardus. Lors de ces processus, les nouveaux agents généraux ne reçoivent généralement pas l’information relative aux structures de commissions rattachées aux fonds distincts.»
Par conséquent, les séries de fonds distincts avec reprises de commissions de cinq ans sont des «produits à risque», poursuit Adrien Legault : «Nous connaissons nos conseillers. À l’heure actuelle, ces ventes sont très limitées et nous voulons garder les choses comme ça. Chose certaine, nous ne pensons pas que les conseillers devraient bâtir leurs pratiques en se concentrant sur ce type de rémunération. Le danger est trop grand.»
Les séries de fonds distincts avec reprises de commissions pourraient devenir «un gros mal de tête» dans le milieu des agents généraux, ajoute Roger Boulos, directeur général du Groupe Financier Boulos : «Chez nous, pour l’instant, c’est du cas par cas. Nous suivons nos ventes de très près. Il serait dangereux qu’un courtier vende principalement des fonds à récupération de commissions sur cinq ans. Nous sommes également très vigilants dans le cas des transferts de blocs d’affaires.»
Roger Boulos précise que les périodes de récupération de cinq ans pourraient devenir «un grand problème» si elles gagnaient en popularité. «On ne voudrait pas se transformer en banque !» lance-t-il.
Directrice générale du Groupe SFGT, Caroline Thibeault se dit peu concernée par les risques des séries de fonds distincts avec reprises de commissions sur cinq ans.
«Ces fonds peuvent constituer un certain danger chez les agents généraux dont les effectifs manquent de stabilité. Au Groupe SFGT, notre taux de rétention des conseillers est élevé, ce qui fait que nous ne pensons pas que nous serions touchés par des problèmes de reprises de commissions. En dernière instance, ce genre de risque fait partie du risque d’être en affaires !» dit-elle.
Pour sa part, Gino-Sébastian Savard, président de MICA Cabinets de services financiers, doute de la dangerosité de ces séries : «Cela ne nous touche pas. Les agents généraux qui n’ont pas confiance en leurs conseillers devraient se questionner quant à leurs relations d’affaires avec ces derniers.»
Solution mitoyenne
Quel type de risque le Groupe Cloutier est-il prêt à assumer ?
«Nous sommes prêts à gérer le risque de produits ayant un horizon de remboursement de commissions sur deux ou trois ans. Mais pas de cinq ans», rétorque François Bruneau.
Selon lui, une formule de reprises de commissions sur deux ou trois ans pourrait avoir du bon.
«Ce genre de structure de rémunération permet à des petits investisseurs de bénéficier plus facilement de conseils. Pour cette clientèle, les honoraires ne sont pas une solution optimale. Avec un échéancier de récupération étalé sur deux ou trois ans, les conseillers pourraient répondre à leurs besoins tout en dégageant un revenu acceptable et en mitigeant le risque autant pour le conseiller que pour l’agent général», explique-t-il.
François Bruneau élargit le débat. Il ajoute que les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) auraient pu s’inspirer de l’univers des fonds distincts et de sa formule de reprises de commissions sur deux ou trois ans.
«Nous sommes extrêmement déçus que les ACVM n’aient pas retenu cette option dans le secteur des fonds communs de placement. Les ACVM ont choisi d’éliminer les fonds à frais d’acquisition reportés sans offrir de solutions de rechange. Or, sans possibilité de tirer un revenu intéressant en lien avec de plus petits comptes, nous craignons que les petits investisseurs soient davantage laissés à eux-mêmes», dit François Bruneau.