L’investissement prenant en compte les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) est-il un facteur apte à générer une prime ?

Difficile à dire. Certains le croient, d’autres non. À l’occasion de l’événement virtuel «Inside ETFs», qui s’est tenu en novembre, et en marge de celui-ci, Finance et Investissement s’est intéressé à la question. Tour d’horizon.

L’investissement ESG est un facteur qui a été associé à des rendements plus élevés, selon Katrina Wilson, stratège en fonds négociés en Bourse (FNB) chez Fidelity Investments. «Non seulement il y a une prime de risque claire pour les entreprises qui ont de fortes caractéristiques ESG par rapport à celles qui en ont des faibles, mais on a été capable de déterminer des rendements supérieurs pour les entreprises qui amélioraient leurs caractéristiques ESG», déclarait-elle en novembre, dans une conférence où elle expliquait les résultats d’une étude de Fidelity.

Résumons la démarche. Fidelity a mis au point un filtre afin d’établir son propre segment de placements misant sur les critères ESG en fonction d’une approche «meilleur de sa catégorie» et qui exclut les entreprises dont les activités sont controversées ou qui sont impliquées dans d’importantes controverses.

Fidelity a découvert que la corrélation entre les critères ESG et les autres facteurs, comme la croissance, la valeur, le rendement en dividendes et le bêta, était assez faible, soit inférieure à 0,2. Rappelons qu’une corrélation positive parfaite est de 1 et une corrélation négative parfaite est de -1.

«Nous pouvons établir ce qui contribue directement à désigner un facteur propre à l’ESG à cause de cette faible corrélation», notait Katrina Wilson. Cette dernière a remarqué que l’ESG peut être perçu comme une façon de gérer le risque d’une entreprise. Or, le risque perçu est corrélé à la valeur d’une entreprise. On cherche à savoir à quel coût le capital d’une entreprise sera escompté.

«Plus le coût du capital va être haut, plus faible sera la valeur d’une entreprise», mentionnait-elle. En regardant des données d’octobre 2007 jusqu’à septembre 2020, Fidelity a discerné «une prime très claire ESG dans le marché» qui provient des performances des entreprises au chapitre de l’ESG. Or, cette prime s’est métamorphosée durant cette période.

«Lorsqu’on revient à 2007, la prime était négative. À ce moment, les actionnaires étaient récompensés pour les entreprises qui avaient des notes faibles en ESG par rapport à leurs pairs. Les actionnaires étaient compensés pour prendre des risques additionnels tels que des risques environnementaux ou de scandales d’entreprises», a-t-elle expliqué.

Or, en 2013, la prime cumulative ESG est devenue positive. «Alors maintenant, et probablement dans l’avenir, selon nos attentes, on serait récompensé pour détenir des entreprises qui ont des indicateurs positifs d’ESG par rapport à leurs pairs», a affirmé Katrina Wilson. Pour la période de 2007 à l’automne dernier, la prime cumulative était annualisée à 2 %, selon Fidelity.

«Toutefois, si on observe le moment où cette prime est devenue positive, soit au premier trimestre de 2013, la prime cumulative a augmenté à 3,7 %. C’est une contribution significative en ce qui a trait au potentiel de rendement des entreprises ayant des caractéristiques positives.»

Fidelity a aussi analysé les facteurs ESG du point de vue de l’élan (momentum). Sur une période de cinq ans, on a rééquilibré mensuellement un portefeuille en tenant compte des changements aux scores ESG d’une entreprise par rapport à la période précédente. «Et le rendement annualisé attribuable à cela était de 1,7%», a affirmé Katrina Wilson. La conférence ne contenait pas davantage d’éléments liés à la méthodologie.

Pas d’unanimité

Ce n’est pas d’hier que l’industrie est à la recherche de facteurs pouvant potentiellement générer une surperformance par rapport au marché en général. Les «nouveaux facteurs» sont parfois accueillis avec scepticisme, bien qu’ils puissent se révéler utiles.

À l’occasion d’«Inside ETFs», d’autres conférenciers se sont prononcés sur le sujet, dont ceux de la conférence sur l’investissement factoriel.

«L’ESG est un facteur. Évidemment, ESG et investissement socialement responsable sont des concepts qui veulent dire différentes choses pour différentes personnes. Selon moi, dès que vous déviez d’un indice de référence de marché large en éliminant certaines actions ou en surpondérant certaines actions, alors vous êtes en train de faire de l’investissement factoriel», a indiqué Alan Fustey, gestionnaire de portefeuille et stratège en FNB chez Adaptive ETF, une division de Bellwether Investment Management.

«Nous nous fions aux données pour évaluer ce qu’est un facteur. Parce qu’il n’y a pas de normes communes sur l’ESG, nous ne voyons pas encore l’ESG comme un facteur. Nous percevons cela comme un style d’investissement, un thème, un paramètre», a contredit Michael Nairne, président et chef des investissements de Tacita Capital.

Il convient que les avis divergent dans l’industrie. Selon certains, il existe une prime liée aux changements climatiques. D’après cette théorie, les entreprises qui sont moins exposées à ce risque devraient obtenir un rendement plus élevé. «Cela peut être un univers excitant de recherche», a-t-il ajouté.

Par ailleurs, on devrait investir selon une approche multifactorielle plutôt que selon une approche unifactorielle afin de gérer le risque lié à la sous-performance temporaire d’un facteur. C’est l’un des constats qui se dégagent de cette conférence. Le suivi d’un portefeuille semble aussi crucial, notamment afin d’éviter d’être surexposé à certains secteurs. Le rééquilibrage entre les différents facteurs peut aussi être envisagé. En marge de la conférence en ligne, Finance et Investissement a aussi invité Louis Philippe Gauvreau, responsable de la couverture des clients institutionnels chez le fournisseur d’indices MSCI, à se prononcer sur la question.

«Nous considérons l’ESG comme un facteur et avons récemment lancé un modèle d’analyse GEMLT+ESG, avec l’ESG comme 17e facteur dans le modèle. Nous reconnaissons l’importance croissante de l’ESG, car les investisseurs intègrent ces principes dans leur processus d’investissement et ont besoin d’un moyen clair d’attribuer l’impact des ESG sur leur risque et leur rendement», a-t-il écrit dans un courriel. Selon lui, le pouvoir explicatif de l’ESG en tant que facteur est similaire à certaines dimensions du facteur «qualité».

Ne pas sous-estimer le marché

La «prime ESG» est accueillie avec un certain scepticisme par Raymond Kerzérho, directeur de la recherche chez PWL Capital. «Les actions perçues comme étant ESG ont probablement une prime négative», a-t-il indiqué.

Selon lui, toute véritable prime repose sur des fondements théoriques solides. Elle est soutenue par des recherches universitaires et validée par les données les plus récentes. De plus, elle doit aussi être confirmée sur de longues périodes, dans de nombreux sous-échantillons de plusieurs marchés et ne pas être due au hasard.

Les propos de Lubos Pastor, professeur de finances à la Booth School of Business de l’Université de Chicago, exprimés dans un balado de Rational Reminder, résument bien sa pensée. Selon cet universitaire, si les firmes les plus vertes sont davantage demandées que celles qui le sont moins, les actions des firmes vertes auront des prix plus élevés et, par conséquent, leur rendement attendu sera plus faible.

De plus, si les firmes plus vertes sont moins exposées aux risques ESG, alors elles sont moins risquées et peuvent encore une fois offrir aux investisseurs des rendements espérés inférieurs. Bien qu’à long terme, les firmes vertes devraient sous-performer, il est possible que ces firmes surperforment durant certaines périodes «où il y aura un changement dans les goûts des investisseurs de manière inattendue», selon Lubos Pastor.

«Nous avons vécu une telle période ces dernières années. Il y a 10 ans, je n’aurais pas pu imaginer à quel point les gens se souciaient de notre planète et l’environnement. Il y a eu un changement inattendu dans les goûts vers les produits et les actifs verts. Et tant que ce changement dure, de manière inattendue, les choses vont bien», indiquait-il.

Selon lui, la question n’est plus de savoir si les gens vont passer des voitures alimentées par des combustibles fossiles aux voitures électriques:tout le monde le sait et cette information est aussi intégrée dans les prix des actifs. «La question est de savoir si cette évolution sera plus rapide que ce que le marché attend ou non. Si elle est plus rapide, les entreprises vertes continueront à être performantes. Si elle est plus lente, c’est le contraire qui se produira», a-t-il précisé.

D’après Lubos Pastor, pour que les actifs verts surperforment à long terme, il faudrait faire l’hypothèse peu probable qu’une part des investisseurs ignore le fait que le monde deviendra plus vert dans le futur.

L’investissement ESG a toutefois l’avantage d’accroître le coût en capital des firmes les moins vertes et ainsi les force à devenir plus vertes, selon Lubos Pastor. Même si les investisseurs ESG risquent d’en tirer des rendements inférieurs à long terme, ils peuvent en ressentir davantage de bonheur, ce qui est positif.