La remise en question des frais d’acquisition reportés (FAR) par les régulateurs canadiens contribue à propager une structure de rémunération de rétrofacturation, aussi appelée de «décommissionnement» dans l’univers des fonds distincts. À qui profitera-t-elle ?
Les assureurs présentent cette forme de rémunération comme une alternative avantageuse à l’option de FAR.
Dans l’éventualité où le client liquiderait ses fonds moins de douze mois après la signature du contrat, l’assureur reprend généralement l’intégralité de la commission de première année avec ce type de rémunération. La reprise devient dégressive lors des années subséquentes, qui varient habituellement entre trois et cinq ans selon les assureurs et leurs produits.
La taille des commissions de première année et de suivi se compare la plupart du temps à l’option de FAR.
En avril dernier, La Capitale Assurance et services financiers a adopté une option sans frais de rachat entre trois et cinq ans après l’acquisition. «Les marchés financiers sont présentement en mutation et les autorités de réglementation appliquent une pression sur l’utilisation de l’option de frais au rachat. Nous constatons également depuis un certain temps un déplacement des ventes de l’option de frais au rachat vers les autres options à La Capitale», signalait alors l’assureur dans une communication aux conseillers.
En juin, c’était au tour de la Financière Manuvie d’introduire ce mode de rémunération. «Il s’applique à nos fonds distincts les plus populaires», dit Marie Gauthier, chef de la tarification et produits de placement garantis, chez Manuvie.
En octobre, Empire Vie a lancé sa propre formule d’achat de fonds d’investissement sans frais de rachat avec possibilité de récupération de commissions.
Cela dit, cette option n’est pas nouvelle. Elle existe depuis un certain temps chez d’autres assureurs.
Ainsi, iA Groupe financier l’applique depuis la fin des années 1990. SSQ Assurance la propose depuis «une dizaine d’années», signale son service de communications. BMO Assurance l’offre à ses clients depuis l’automne 2013, précise Daniel Walsh, vice-président au développement d’affaires chez BMO compagnie d’assurance vie.
Accès aux liquidités
Chez BMO Assurance, les ventes sans frais de rachat avec possibilité de récupération de commissions représenteraient entre 50 % et 60 % des ventes totales en fonds distincts. «Nous sommes assez heureux des résultats obtenus jusqu’à présent. Nos clients bénéficient des avantages de la liquidité et de la flexibilité», dit Daniel Walsh.
Même son de cloche chez Pierre Vincent, vice-président principal, assurance individuelle et rentes chez iA Groupe financier : «Nous vivons dans un monde où les consommateurs ont parfois rapidement besoin de liquidités. Cette formule de rémunération se rattache à une proportion importante de nos fonds distincts. Bien qu’elle existe depuis près de 20 ans, elle est encore en légère progression.»
Près de six mois après l’introduction de cette formule chez Manuvie, Marie Gauthier indique que son utilisation «répond à nos attentes». Ce type de rémunération «suscite beaucoup d’intérêt chez les conseillers, particulièrement les plus jeunes», ajoute-t-elle.
Prévoit-elle une croissance de sa popularité au cours des prochaines années ? «Il est vraiment difficile de se prononcer sur son avenir. Ce qui se décidera du côté réglementaire y sera pour beaucoup», note Marie Gauthier. Elle fait ainsi référence à l’actuel projet d’interdire les commissions selon le barème de FAR des Autorités canadiennes en valeurs mobilières. Comme l’Autorité des marchés financiers entend harmoniser l’encadrement des valeurs mobilières avec celui des fonds distincts, l’issue de cette réforme aura un effet sur la distribution de ces contrats.
Qui paiera la note ?
L’impact de la réglementation ne sera pas à négliger, d’après Robert Landry, consultant et ancien vice-président exécutif d’AXA Canada : «Les questionnements des autorités de réglementation pourraient éventuellement entraîner la fin des frais d’acquisition reportés.»
En revanche, avec la structure de rémunération sans frais de rachat avec possibilité de récupération de commissions, «les conseillers paieront la note dans l’éventualité où leurs clients quitteraient le bateau quelque temps après l’achat de fonds distincts», note-t-il.
Est-il sain, demande Robert Landry, de faire assumer par tous les conseillers le poids des retraits de fonds ?
«Il pourrait être injuste de pénaliser systématiquement l’ensemble des conseillers lors des retraits de fonds. Comment traiter le cas d’un conseiller dont le portefeuille est impeccable comparativement à celui d’un conseiller dont le taux de rétention de fonds est nettement inférieur à la moyenne ? En assurance vie, on tolère un certain niveau de lapses (défaillances). En fonds distincts, on ne ferait rien ?» se demande Robert Landry.
Président et chef de la direction d’AFL Groupe financier, Yan Charbonneau se pose le même genre de question que Robert Landry, mais sous un angle différent.
«La tendance est très claire, les frais d’acquisition reportés seront tôt ou tard éliminés. La grande question est la suivante : comment faire en sorte que les conseillers gagnent des revenus suffisants ?» dit Yan Charbonneau.
Ce dirigeant d’agence générale estime que le modèle sans frais de rachat avec possibilité de récupération de commissions finit par cautionner des décisions indéfendables de consommateurs.
«Supposons qu’un conseiller perd le portefeuille d’un client qui aurait plutôt décidé de le confier à son beau-frère ou à sa belle-soeur nouvellement dans l’industrie du conseil. C’est hors de contrôle du conseiller. Ça peut être très dur !» signale Yan Charbonneau.
Le monde du placement comporte un certain risque, ajoute Pierre Vincent : «On estime que les sorties touchent, sur une base annuelle, environ 10 % de l’actif en fonds distincts. Le risque est là ! Toutefois, le conseiller tirera son épingle du jeu s’il fait du bon travail, s’il suit ses clients et s’il leur donne confiance.»