C’est devenu un classique : lorsque les taux d’intérêt montent, les gestionnaires de portefeuilles obligataires devraient réduire la duration de leur portefeuille obligataire pour éviter d’être exposés à ce vent contraire. Rappelons que le prix des obligations diminue lorsque leur rendement augmente.
Or, cette stratégie n’est pas optimale, affirme Alfred Lee, gestionnaire de portefeuille chez BMO Gestion d’actifs. Selon lui, trop de gens croient à tort que la duration est la seule donnée qui compte dans la gestion du risque de taux d’intérêt de leur portefeuille.
Lors d’une récente conférence organisée par BMO, ce spécialiste des titres à revenu fixe a expliqué que réduire systématiquement la duration d’une obligation lors d’une hausse des taux est un raisonnement simpliste, car il ne s’appuie pas sur des données empiriques.
«En considérant l’évolution des taux d’intérêt, les investisseurs devraient différencier les facteurs qui influencent les différentes parties de la courbe de rendement», souligne Alfred Lee en entrevue à Finance et Investissement.
Par exemple, la partie courte de la courbe des taux tend à être davantage touchée par ce que le marché anticipe par rapport à la politique monétaire de la banque centrale. En revanche, la partie longue de la courbe a tendance à être davantage influencée par les anticipations de croissance économique et d’inflation.
En 2017, la Banque du Canada a relevé deux fois son taux directeur, ce qui a fait grimper la courbe des taux à court terme, tandis que la diminution du PIB à la fin de l’année a entraîné une légère baisse de la courbe des rendements à long terme.
Autre point important : lorsque la banque centrale augmente ses taux, cela ne signifie pas pour autant que les taux augmenteront de manière égale sur toute la courbe des taux. Pourtant, des investisseurs obligataires se laissent prendre au piège, ce qui a un impact sur leurs rendements, insiste Alfred Lee.
Comme la Banque du Canada durcissait sa politique monétaire, de nombreux investisseurs ont supposé que la courbe des rendements augmenterait de manière parallèle, alors qu’elle s’est en fait aplatie : les taux à court terme ont augmenté et les taux à long terme ont légèrement baissé.
«Par conséquent, la partie courte de la courbe des taux, où de nombreux investisseurs étaient surreprésentés en 2017, était en fait le segment le moins performant de la courbe», dit-il.
La duration n’est qu’une des données
Michel Doucet, conseiller en placement et gestionnaire de portefeuille chez Valeurs mobilières Desjardins, est plutôt d’accord avec Alfred Lee.
«La duration est un outil parmi tant d’autres dont le gestionnaire de portefeuille et le conseiller en placement vont se servir au quotidien pour gérer leurs obligations en portefeuille», dit-il. Selon lui, il y a d’autres unités de mesure pour gérer le risque de taux d’intérêt :
l’évolution anticipée de la courbe de rendement, dont sa convexité ;
la longueur des échéances (court, moyen et long terme) des obligations du portefeuille ;
la qualité de crédit des types d’émetteurs (gouvernements, sociétés) ;
l’ampleur des écarts de crédit (différences de rendement entre les émetteurs) ;
la qualité de crédit des émetteurs corporatifs eux-mêmes (échéances, secteurs et analyse de risque, dont celui de défaillance).
Par exemple, l’anticipation d’une embellie dans le secteur d’activité d’une entreprise émettrice vient réduire son risque de défaillance et augmenter sa qualité de crédit. Comme le rendement des obligations de cette entreprise risque de diminuer, leur prix risque d’augmenter.
Christian Nols, directeur principal, gestion de portefeuille stratégique chez Banque Nationale Investissements, critique aussi la duration d’un portefeuille obligataire qui repose sur l’hypothèse d’un mouvement parallèle de toutes les échéances le long de la courbe de taux d’intérêt.
«Or, il est très rare que cette hypothèse se concrétise, souligne-t-il. Il est donc primordial de considérer plusieurs autres données dans l’analyse d’un portefeuille, entre autres l’exposition aux différents segments de la courbe de taux d’intérêt : court terme (de 0 à 5 ans), moyen terme (de 5 à 10 ans) et long terme (plus de 10 ans).»
Anticipation des courbes et diversification géographique
Dans ce contexte, quelles sont les meilleures stratégies pour investir ? «Dépendamment des perspectives envers la grande toile de fond économique et financière, il faut prendre position quant au mouvement anticipé de la courbe de rendement», affirme Michel Doucet.
Par exemple, dans le cas d’un déplacement parallèle de la courbe vers le haut, il faut considérer de diminuer la duration du portefeuille par rapport à son indice de référence.
«Dans ce scénario, il faudrait alors préférer les obligations à courte échéance pour réduire l’effet de la hausse des taux sur la valeur des obligations en portefeuille en privilégiant une durée plus courte», dit le gestionnaire de Desjardins.
L’inverse est aussi vrai lorsque les taux diminuent, ajoute-t-il.
«Par exemple, si le gestionnaire prévoit un aplanissement de la pente de la courbe via une hausse des taux courts et une stabilité ou une baisse des taux à long terme, la durée pourrait être neutre ou surpondérée à la durée de l’indice de référence.»
Pour sa part, Christian Nols plaide pour une bonne diversification des sources de risque dans le portefeuille, que ce soit la durée, le positionnement sur la courbe de taux d’intérêt, l’exposition au crédit corporatif ou aux obligations étrangères.
«Se concentrer uniquement sur la durée peut amener des résultats décevants, 2017 en est l’exemple parfait», dit-il.
Même si nous étions alors la plupart du temps dans un environnement de hausse de taux, l’aplanissement de la courbe de taux a pourtant fait en sorte qu’une stratégie de duration courte n’est pas arrivée à mieux performer que le marché.
«Cette hausse des taux d’intérêt s’est fait sentir sur les segments à court et moyen termes de la courbe, alors que les obligations de longue échéance ont connu le mouvement contraire (baisse des taux), explique Christian Nols. Celles-ci ont donc connu une performance bien au-delà de ce qui a été observé sur le reste du marché.»
La diversification géographique est un autre outil que le gestionnaire de la Nationale utilise pour limiter l’impact d’une hausse des taux d’intérêt sur un marché local, car les taux ne varient pas de la même manière dans l’ensemble des pays.
«Il est cependant primordial de bien gérer le risque de devise», affirme Chistian Nols.
Étant donné qu’il est parfois difficile de prévoir l’effet sur la courbe de taux des banquiers centraux, de l’inflation, de la conjoncture économique notamment, il vaut la peine d’envisager la gestion passive en matière de détention d’un portefeuille obligataire, d’après Alfred Lee.
Comprendre pourquoi les taux augmentent
Dans un contexte de hausse de taux d’intérêt, Alfred Lee affirme quant à lui qu’il faut se demander pourquoi les taux augmentent. Par exemple, est-ce en raison de la croissance économique ou en raison de l’inflation ?
Actuellement, le raisonnement qui sous-tend la hausse des taux d’intérêt au Canada et aux États-Unis est davantage motivé par le renforcement de la conjoncture économique.
«La demande de crédit devrait être forte dans ce contexte, et avoir une stratégie diversifiée qui offre également une exposition aux obligations de sociétés et aux obligations provinciales, où le resserrement des écarts de taux peut compenser le risque de taux d’intérêt», dit Alfred Lee.
Selon lui, les investisseurs devraient aussi envisager d’être exposés à des actifs qui se comportent bien lorsque les taux d’intérêt augmentent.
«Les catégories d’actifs telles que les actions privilégiées à taux révisable et les instruments à taux variable peuvent aider les investisseurs à compenser le risque lié à la duration dans un contexte de hausse des taux», dit-il.
Mesure de la sensibilité du cours d’une obligation ou d’un portefeuille obligataire aux variations des taux d’intérêt. La duration est exprimée en nombre d’années. Une duration de trois ans signifie que la valeur d’une obligation pourrait baisser d’environ 3 % si les taux d’intérêt montent de 1 point de pourcentage. Plus la duration est grande, plus le risque lié à l’obligation est élevé.
Sources : Morningstar, Formation mondiale CSI