Les clients qui souhaitent miser de façon concentrée sur des pays ou des régions spécifiques ne sont pas très bien servis dans la gamme de fonds communs canadiens, à moins qu’il ne s’agisse de pays ou de régions «évidentes», comme les États-Unis ou l’Europe – et bien sûr, le Canada. Fundata Canada ne répertorie pas, par exemple, de fonds d’actions investissant principalement dans des titres britanniques ou français. Les titres de ces pays prennent place dans quelques grandes catégories comme les actions globales, les actions internationales ou les actions européennes.
Il existe cependant une catégorie de fonds communs où certains pays et régions sont représentés, et cette catégorie s’appelle «actions géographiques». «On y trouve les fonds dont les portefeuilles sont trop concentrés dans un pays ou dans une région pour prendre place dans un fonds d’actions globales ou internationales», explique John Krisko, directeur, analytiques et données, chez Fundata Canada. Mais la sélection est petite : on n’y trouve que sept fonds, concentrés au Japon, en Amérique latine, en Inde ou en Chine, dont un qui chevauche l’Inde et la Chine.
Un grand oublié
Au sommet du classement de Fundata prend place le Fonds d’actions japonaises RBC avec, en troisième place, le Fonds Fidelity Japon. Il existe un autre fonds, de BMO, dont la feuille de route très courte (il a été créé en août 2017) l’empêche d’apparaître ici. Il est étonnant qu’un pays aussi important soit si faiblement représenté, ce qui tient sans doute à la profonde perte d’intérêt que les investisseurs ont eu à l’endroit du pays du Soleil levant depuis le krach de 1990.
Par contre, on note un regain d’intérêt pour ce pays – ce qui explique probablement l’arrivée du fonds de BMO – à cause de la forte performance de l’indice Nikkei au cours des 18 derniers mois. D’un creux de 14 952 en juin 2016, l’indice a grimpé à 22 725 au début de décembre 2017, un bond spectaculaire de 52 %. «La politique monétaire accommodante de la Banque du Japon a dévalorisé le yen, ce qui s’est traduit par une reprise des profits d’entreprises», explique Tomonori Kaneko, gestionnaire du portefeuille de RBC, à Hong Kong.
Cette évolution a également contourné un problème majeur de l’économie nippone : sa démographie défavorable en raison de sa population vieillissante. «Plusieurs entreprises ont étendu leur pénétration outre-mer, ce qui compense le marché domestique qui rétrécit», ajoute-t-il.
La nouvelle lancée boursière redore la réputation du Japon, mais d’autres facteurs y contribuent aussi. En premier lieu, rappelle Tomonori Kaneko, les produits japonais demeurent fortement concurrentiels dans plusieurs segments de première qualité. De plus, ajoute-t-il, «les entreprises nippones deviennent plus attentives aux questions de rendement pour les actionnaires, d’efficacité des structures de capital et de gouvernance d’entreprise.»
Chevaucher deux géants
Le Fonds Chinde Excel occupe une place très particulière, à cheval sur les deux pays les plus populeux du monde. D’un côté, la Chine accuse un ralentissement marqué, tandis que l’Inde est en pleine explosion.
Cependant, l’investisseur averti ne doit pas être désorienté par le ralentissement chinois, avertit Christine Tan, chef des investissements chez Excel Funds, à Toronto. «Dans une économie aussi vaste, je n’ai pas à détenir l’ensemble de l’économie pour bien performer», dit-elle.
La Chine, qui a retenu toute l’attention au cours des 15 dernières années, est effectivement en déclin, et son secteur bancaire présente des signes d’engorgement qui ne laissent pas Christine Tan indifférente. Cependant, certains facteurs permettront au pays de contenir toute crise financière, croit-elle : le fait que la Chine est un système relativement clos, ce qui donne beaucoup de latitude au gouvernement pour intervenir, et le fait que le taux d’épargne de la population est encore de 35 %.
Par ailleurs, on assiste à l’émergence d’une Chine nouvelle, axée sur les industries de pointe. Certes, le déclin démographique de l’empire du Milieu en préoccupe certains, mais pas Christine Tan. «Dans les années 1980 et 1990, la force de travail venait de la campagne. Aujourd’hui, les nouveaux travailleurs sont armés de bacs et de maîtrises, et ils se lancent dans les technologies, la fabrication haut de gamme et la finance.»
Et le terrain de jeu des secteurs de pointe est grand ouvert, juge-t-elle, contrairement à ce qu’on trouve dans les économies avancées. «Aux États-Unis, quand Amazon croît, c’est parce qu’une foule de commerçants se font défoncer. L’équivalent d’Amazon en Chine, Alibaba, avec sa croissance annuelle de plus de 65 %, ne nuit à personne encore, puisqu’il s’étend dans les zones rurales où aucun acteur n’est présent.»
Quant à l’Inde, tout est à faire. «La croissance est plus largement répartie qu’en Chine, et la plupart des secteurs connaissent une solide montée.» Ici, la spécialiste d’Excel mise sur le consommateur naissant, dans un pays où le PIB par habitant n’est que de 1 800 $ US, alors qu’il atteint 18 000 $ US en Chine.
C’est ainsi qu’un des secteurs privilégiés du fonds d’Excel est l’automobile, tout particulièrement le titre de Maruti Suzuki, un choix qui recoupe celui de Tomonori Kaneko. Un des titres préférés de ce dernier est celui de Suzuki, justement à cause de son partenariat indien. «Sa croissance est propulsée surtout par sa part majoritaire dans Maruti Suzuki, le plus important constructeur automobile de l’Inde.»
«Avec des ventes de 11 G$, cette société a beaucoup de possibilités de croître», renchérit Christine Tan. Celle-ci rapproche deux chiffres : le taux de pénétration de l’auto en Inde n’est que de 1,8 %, mais cela équivaut déjà à la totalité du marché canadien où le taux de pénétration automobile est de 65 %. Dans un marché potentiellement gigantesque comme l’Inde, gagner une part de marché de 1,8 point de pourcentage équivaut déjà à la totalité du marché canadien.
Avancée prodigieuse
Comme le Japon, l’Amérique latine connaît un remarquable rebond, surtout le Brésil, première économie du sous-continent. C’est une relancée que reflète la remontée spectaculaire de l’indice brésilien Bovespa qui, depuis janvier 2016, a progressé de 89 %. L’indice général de l’Amérique latine (MSCI Latin America) montre une montée presque aussi vigoureuse, de 72 % pour la même période.
Depuis 2010, «la région a connu une transition pénible avec la correction du prix des denrées de base, rappelle Warren Skillman, directeur senior chez Boston Co, qui gère le Fonds Amérique latine pour CIBC. «L’ajustement a été pénible pour beaucoup d’entreprises, mais celles qui restent sont beaucoup plus fortes et concurrentielles.»
Toutefois, ce ne sont pas les denrées qui retiennent la faveur de ce gestionnaire de portefeuille. Il est plutôt attiré par deux autres secteurs, les services publics et les sociétés industrielles. Ceux-ci ont le vent dans les voiles grâce à des bilans fortement allégés par le taux directeur brésilien qui, dans la dernière année, est passé de 14,25 % à 7,5 %.