Ceux qui lisent régulièrement cette chronique ont dû remarquer dans quelle mesure on y traite souvent de l’espérance de vie et, plus précisément, du risque de survie.
Il s’agit d’un sujet récurrent principalement pour deux raisons : d’abord en raison de la matérialité de ce risque, ensuite parce que, de l’avis de nombreux particuliers, comme ce risque paraît contre-intuitif, sa gestion cause souvent des soucis.
Survivre à ses épargnes
Dans sa plus simple expression, ce risque se résume à ceci : survivre à ses épargnes. Sans surprise, c’est souvent à l’aube de la retraite, ou durant celle-ci, que les particuliers seront le plus sensibilisés à ce risque. On notera que la nature des sources de revenus d’un particulier aura une grande incidence sur l’importance qu’il devra accorder à la gestion de ce risque.
- Celui qui a eu la chance de participer longtemps à un régime de retraite à prestations déterminées (PD) tirera une portion importante de ses revenus de retraite de sources essentiellement garanties (le régime PD et les prestations des régimes gouvernementaux). Un tel particulier n’aura habituellement pas trop à se soucier du risque de survie.
- Au contraire, celui qui financera une portion importante de ses revenus de retraite à même ses investissements (REER, CELI, régime de retraite à cotisations déterminées [CD], RVER, etc.) sera habituellement exposé à un plus grand risque de survie.
Outils de gestion de risque
Certains outils sont mis à la disposition des particuliers qui voudront gérer ce risque. L’un d’eux est la rente viagère. Qu’il s’agisse d’une rente viagère classique ou d’une rente viagère différée à un âge avancé, annoncée au budget fédéral de 2019, ce type de produit transfère une partie du risque de survie à un assureur.
Une autre option de gestion du risque de survie existe pour les particuliers : le report des prestations des régimes gouvernementaux. Cette option, particulièrement le report des prestations du Régime de rentes du Québec (RRQ), a notamment fait l’objet d’une chronique antérieure. Pour qu’un tel report soit profitable, au moins deux conditions préalables sont nécessaires :
- Une espérance de vie « normale »;
- L’accès à d’autres sources de revenus durant la période de report.
Si ces deux conditions sont réunies, la mathématique est claire : un tel report s’avérera souvent profitable tout en diminuant le risque de survie.
Objections des particuliers
Les particuliers à qui on recommande un tel report invoquent parfois certaines objections, dont celles-ci (avec un contre-argument entre parenthèses):
- « Mon beau-frère a touché sa rente du RRQ à 60 ans et il en est bien content ! »(Qui ne serait pas content de recevoir un chèque [ou un dépôt direct] ? Ça ne constitue pas un argument financier pour autant.)
- « J’ai peur que le régime soit éventuellement coupé. »(La pérennité du régime n’est pas en jeu, les évaluations actuarielles récentes du régime le démontrent.)
- « Je préfère avoir l’argent dans mes poches que de le voir dans celles du gouvernement. » (Il s’agit bel et bien d’un fonds séparé du fonds consolidé du gouvernement.)
- « Et si je mourais trop tôt, j’aurais laissé de l’argent sur la table. »(Arrêtons-nous, ci-après, à cette dernière objection.)
La crainte de laisser de l’argent sur la table
Il est rigoureusement exact de dire que, en situation de report, un décès prématuré ferait que le RRQ aurait moins déboursé pour ce participant. Est-ce à dire qu’on devrait anticiper le versement des prestations pour éviter un tel scénario ? La réponse est non.
Permettez-moi une analogie. En se basant sur les indices S&P/TSX et FTSE Universe Bond, un portefeuille équilibré composé à 60 % d’actions canadiennes et à 40 % d’obligations canadiennes a possiblement produit en 2021, avant frais, un rendement légèrement supérieur à 14 %. Un portefeuille investi en totalité en actions canadiennes a possiblement produit un rendement en 2021, toujours avant frais, légèrement supérieur à 25 %. Le retraité de 60 ans qui possède comme seule épargne et principale source de revenus un portefeuille REER de 100 000 $ croit-il avoir « laissé 11 000$ de rendement sur la table » s’il avait été investi dans une approche équilibrée plutôt qu’à 100% dans la Bourse canadienne ? Non, parce qu’en gestion de risque il aurait probablement été impensable pour ce retraité d’avoir la totalité de son capital retraite investi à la Bourse.
La même logique devrait pouvoir s’appliquer. La crainte de potentiellement laisser de l’argent sur la table en raison d’un décès prématuré si on reportait le début de la prestation de retraite du RRQ ne devrait pas pousser le particulier à anticiper le versement de cette prestation.
En conclusion
Il existe certaines raisons pour lesquelles l’anticipation du paiement des prestations du RRQ pourrait être pertinente, mais les quatre objections évoquées ci-dessus n’en font certainement pas partie.
Martin Dupras, A.S.A., Pl. Fin., M. Fisc, ASC, Fellow de l’IQPF, président de ConFor financiers inc.