Le contexte actuel fait travailler très fort les gestionnaires de fonds, dit Phil Mesman, associé principal et chef des stratégies, titres à revenu fixe, chez Picton Mahoney.
«Si j’étais un gestionnaire de fonds classiques, je partirais à la retraite, lance-t-il. Pour produire du rendement, il faut plus d’outils à sa disposition.»
Les fonds de notre palmarès possèdent ces outils. Il s’agit de la catégorie des fonds alternatifs liquides obligataires. Leurs gestionnaires peuvent investir dans n’importe quel titre obligataire dans le monde. Surtout, ils ont la possibilité de recourir au levier financier (jusqu’à trois fois l’actif sous gestion), de vendre à découvert (jusqu’à 50 % de l’actif) et d’utiliser au besoin d’autres instruments alternatifs (swaps sur défaillance de crédit, options, contrats à terme).
Rendement supérieur
Toutefois, ce n’est pas parce que le cadre réglementaire leur permet d’utiliser ces outils qu’ils le font nécessairement. Par exemple, les trois gestionnaires à qui nous avons parlé utilisent peu le levier financier.
Steve Locke, gestionnaire du Fonds à rendement absolu de titres de créance chez Placements Mackenzie, dépasse rarement 50 % de l’actif. Et il le fait seulement pour accroître le rendement dans des titres de qualité catégorie investissement. Pour sa part, Sandy Liang n’a pas du tout recours au levier. «Nous sommes des investisseurs, pas des amplificateurs de risque», indique le gestionnaire du Fonds d’occasions de crédit Purpose chez Purpose Investments.
D’emblée, on pourrait croire que ces gestionnaires font leurs choux gras essentiellement de la vente à découvert, surtout dans le marché actuel où tant d’entreprises sont en détresse. Ce n’est pas le cas.
«Oui, nous générons du revenu avec la vente à découvert, mais nous y recourons surtout pour gérer le risque», explique Phil Mesman, qui gère le Fonds alternatif fortifié de revenu Picton Mahoney. Il faut se rappeler que la vente à découvert d’obligations «signifie de sacrifier la valeur du coupon», souligne Sandy Liang.
Cependant, dans la mesure où «les coupons réguliers financent les coupons à découvert dans l’équilibre général du portefeuille», la vente à découvert sert autant au rendement qu’à procurer une «police d’assurance» au portefeuille, fait ressortir Phil Mesman. Ainsi, un gestionnaire peut, d’un côté, acheter l’obligation d’une société, de l’autre vendre à découvert l’action de cette même société, ou vendre à découvert la denrée de base qu’elle négocie (pétrole, or, etc.).
Ce jeu de manipulation d’outils alternatifs en vaut-il la chandelle ? Les trois fonds de nos interlocuteurs investissent dans tous les types de titres obligataires, sauf celui de Sandy Liang, spécialisé dans les obligations à haut rendement (32 % du portefeuille). Tous obtiennent une performance supérieure à celle des fonds obligataires traditionnels.
Et même, comme l’indique Steve Locke, «nous nous attendons à obtenir un rendement d’environ 150 points de base supérieur à celui d’un fonds classique. Nous visons à obtenir l’équivalent en rendement d’un fonds d’obligations à haut rendement, mais avec moins de volatilité et une plus faible corrélation au marché des actions.» (Il faut évidemment tenir compte du fait que la plupart de ces fonds existent depuis tout au plus un an et demi.)
Pour sa part, avec un fonds axé sur les titres à haut rendement, Sandy Liang dit viser un rendement absolu de 3 % à 7 % annuellement. Mais il a fourni une meilleure performance. Son fonds affiche un rendement composé annualisé de 8,8 % depuis sa création il y a six ans (au 31 août 2020), comparativement à 3,3 % pour son indice de référence (Bloomberg Barclays High Yield).
Le Fonds alternatif fortifié de revenu Picton Mahoney, de son côté, affiche un rendement composé annualisé de 5,8 % depuis sa création en juillet 2019 (au 30 septembre 2020), comparativement à 4 % pour son indice de référence (un composite de deux indices mondiaux).
Le potentiel de capture à la hausse de ces fonds n’est pas mirobolant. Par exemple, il s’établit à 0,47 pour le fonds de Picton Mahoney, mais il est compensé par un potentiel de capture à la baisse très faible (0,29). Le fonds géré par Sandy Liang est celui qui se distingue le plus : «Notre rendement historique est à peu près de 80 % du S&P 500, mais avec moitié moins de volatilité.»
Le comportement des trois fonds lors de la chute de mars dernier est éloquent. Le fonds de Purpose a accusé la plus forte baisse, soit -9,2 %. Celui de Mackenzie a encore mieux résisté, avec une baisse de -2,2 %. Tous se sont bien rétablis depuis, leur rendement pour l’année en cours s’élevant par exemple à 4,6 % pour le fonds de Mackenzie (au 31 août 2020), et à 7,65 % pour celui de Purpose (au 30 septembre 2020).
Prêts pour la reprise
La période actuelle se distingue par deux lignes de force : d’une part, les taux d’intérêt sont à un creux jamais vu, et d’autre part, les banques centrales soutiennent le marché, créant des conditions artificielles où les «lois du marché» n’opèrent plus.
Ces conditions font que, par exemple, les entreprises en détresse peuvent être «sauvées» à l’improviste par la banque centrale. Il en résulte «qu’il est très difficile de vendre à découvert à ce moment-ci», constate Steve Locke. Quant aux bas taux, «ça fait 10 ans que nous vivons dans cet environnement», dit-il.
Aucun des gestionnaires interviewés ne prétend que son fonds peut servir de base à la partie obligataire d’un portefeuille. Par contre, une gestion serrée du risque et une sélection judicieuse de titres peuvent faire qu’un tel fonds n’occupe pas une place marginale du portefeuille. Comme le dit Phil Mesman, «nous sommes une base étendue [core plus]».
Les trois gestionnaires se préparent pour une reprise susceptible de favoriser grandement leurs stratégies. Phil Mesman prévoit une reprise en forme de K, où les situations de détresse vont se multiplier, et multiplier du coup les occasions de vente à découvert.
Sandy Liang se frotte les mains face à ce qui lui apparaît comme un nouveau cycle économique, où les taux vont inévitablement remonter. Mauvaise nouvelle pour les fonds obligataires classiques, mais bonne nouvelle pour un fonds comme le sien. D’autant plus que «dans l’histoire du marché à haut rendement, en période de hausse de taux, celui-ci a surperformé les titres de qualité catégorie investissement 93 % du temps», dit le gestionnaire de Purpose Investments.