Plusieurs hommes et femmes d'affaires qui font un puzzle colorés.
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Les acquisitions du groupe financier Horizons par Great- West Lifeco et du Groupe PPI par iA Groupe financier ont suscité de l’inquiétude concernant la pérennité de la distribution indépendante en assurance de personnes.

«Les assureurs sans réseaux de vente pourraient éventuellement avoir de la difficulté à trouver leur place chez les agents généraux appartenant à des assureurs. Ça nous préoccupe. Est-ce que cela nuira à la concurrence ?» s’interroge Gino-Sébastian Savard, président de MICA Cabinets de services financiers.

Guy Duhaime, président-fondateur de l’agent général Groupe Financier Multi Courtage, évoque un scénario radical : «Rien n’empêcherait qu’Horizons évolue lentement vers la distribution plus exclusive de produits de Canada-Vie, Great-West et London Life. J’ai certaines craintes à ce sujet. Bien sûr, si ça arrivait, ce serait un processus évolutif de quelques années.»

Qu’en pensent Empire Vie et SSQ Groupe financier, d’importants assureurs sans réseau de distribution maison ?

«Je ne suis pas vraiment inquiet. Les conseillers indépendants peuvent encore choisir leurs agents généraux. Rien ne laisse croire que nous perdrons accès aux réseaux de Great-West et de PPI. Si un jour, il n’y avait plus que trois ou quatre agents généraux, ce serait différent… mais ce genre de scénario ne se réalisera pas à court terme», dit Doug Paul, vice-président – Ventes, produits individuels chez SSQ Groupe financier.

Vice-président principal, marchés individuels chez Empire Vie, Sean Kilburn dit ne pas s’inquiéter. Cependant, indique-t-il, il y a «toujours un risque» que les produits d’assureurs sans réseaux de distribution en viennent à perdre de la visibilité auprès d’agents généraux sous propriété d’assureurs.

Il est toutefois indéniable, dit Doug Paul, que les récentes acquisitions de Horizons et PPI ont fait «monter la pression».

Le responsable des ventes de SSQ évoque la possibilité théorique qu’Horizons décide, un beau jour, de proposer des offres avantageuses (special offerings) de Canada-Vie. «Afin de bénéficier de la même mise en valeur que Canada-Vie, dit Doug Paul, nos produits devraient être soutenables et aussi attrayants que ceux de Canada-Vie.»

Il y a plus. «La meilleure protection pour l’égalité des chances [entre assureurs] dépend de l’existence d’agents généraux forts, indépendants et qui veulent le rester», enchaîne Doug Paul.

Stratégies de renforcement

Empire Vie et SSQ signalent vouloir appuyer le maintien et le développement des agences générales indépendantes, principalement par voie de financement.

«Notre approche de soutien financier existe depuis un certain nombre d’années. Nous avons toutefois intensifié nos actions depuis les acquisitions de Horizons et PPI. Nous sentons que les agents généraux sont davantage à l’écoute», dit Sean Kilburn.

Chez SSQ, les soutiens financiers peuvent notamment prendre la forme de prêts à des agents généraux indépendants, désireux d’acheter des agences qui seraient éventuellement à vendre.

«En retour, nous demandons un droit de premier achat. Nous ne sommes pas intéressés à conserver des agences générales. Si on achetait des agences, ce serait pour les revendre à des agents généraux indépendants ayant la volonté et la capacité de prendre de l’expansion», précise Doug Paul.

SSQ envisage des formules de financement et de partage dans les technologies, un domaine où les coûts de développement sont élevés. L’assureur établi à Québec offre aussi des prêts aux conseillers indépendants désireux d’acheter des blocs d’affaires.

Sujet «épineux»

Ces formules de collaboration et de financement peuvent-elles contribuer à pérenniser la distribution indépendante ? La question reste entière.

Ex-vice-président exécutif chez AXA Canada, Robert Landry a déjà été impliqué dans les activités d’investissement d’AXA effectuées auprès des cabinets de conseillers. Il exprime certaines réserves.

«Quand un assureur prête ou investit de l’argent, c’est pour en retirer des bénéfices pour ses actionnaires. Est-ce pour protéger ses positions ? Dans ce cas, il n’y a rien à redire. Mais si c’est pour accroître son volume d’affaires, c’est autre chose puisque l’agent général qui favoriserait certains assureurs s’écarterait de sa mission… mais personne ne serait dupe. Les conseillers indépendants refuseraient de favoriser des assureurs en particulier. De plus, le régulateur est très vigilant», dit Robert Landry.

Tous les arrangements financiers entre assureurs et agents généraux constituent, par essence, un sujet «épineux», précise Robert Landry : «Même si certains arrangements financiers n’auraient rien de répréhensible, ils resteraient délicats. Étant connus, ils pourraient nuire à la perception de neutralité et de crédibilité des agents généraux.»

«Stratégie intelligente»

Les offres de financement d’assureurs suscitent la curiosité des agents généraux.

«L’offre de SSQ est intéressante. Les investissements de SSQ en technologies, ce qui semble inclure des applications en intelligence artificielle, pourraient être bénéfiques pour les agents généraux», dit Yan Charbonneau, président et chef de la direction de AFL Groupe financier.

Le droit de premier achat de SSQ pourrait-il diminuer les probabilités d’offres d’achat non sollicitées et partant de là, la valeur des agents généraux concernés ? «SSQ pourrait utiliser ce droit dans le cas d’offres provenant d’Industrielle Alliance ou d’Horizons, mais certainement pas si elles provenaient d’agents généraux indépendants comme BridgeForce Financial ou IDC Worldsource», dit Yan Charbonneau.

Pour sa part, Gino-Sébastian Savard salue la «stratégie intelligente» de SSQ en matière de financement d’achats de blocs d’affaires : «Ce n’est pas lié à l’atteinte de quotas de vente. Cela ne nuira pas à l’image de SSQ.»

Le volet de financement et de partage de technologies attire également ses compliments. «L’initiative est brillante», commente le président de MICA.

En revanche, ne lui parlez pas de la possibilité d’investir dans son entreprise. «Si je cédais 5 %, 10 % ou 15 % de la propriété de MICA au bénéfice d’un assureur, je perdrais alors mon indépendance !» s’exclame Gino-Sébastian Savard.

Lumière jaune

Vice-président au développement des affaires de la Financière S_Entiel, Frédéric Perman estime que toutes les formules de financement se trouvent dans des zones grises.

«Avec le financement, ce n’est jamais ni blanc, ni noir. Nous sommes dans des zones grises, car il y a divers moyens d’influencer l’agent général. Cela dit, toutes les entreprises peuvent avoir besoin d’argent. Il faut toujours agir avec prudence et viser à conserver son indépendance», dit-il.

De son côté, Christian Laroche, président d’Aurrea Signature, se dit d’accord avec les possibilités de financement d’agents généraux par des assureurs «à la condition que tous soient sur le même pied».

«Il ne faut pas que les formules de financement influencent la production et la rémunération», dit-il.

Les quotas de vente

Aux yeux de Guy Duhaime, la question fondamentale reste celle des quotas de vente.

«Si on obtient des contrats directs avec les SSQ, Ivari, Manuvie et autres assureurs de ce monde, nous aurons alors fait un grand pas vers la préservation des agents généraux indépendants. Pourquoi ne pas commencer par cela ?» demande Guy Duhaime.

Pour sa part, Caroline Thibeault, directrice générale du Groupe SFGT, met l’accent sur l’aide des assureurs à la création de lieux de formation pour futurs conseillers en sécurité financière.

«Il faut former des jeunes afin d’avoir une relève chez les conseillers indépendants. C’est la condition fondamentale pour qu’il y ait des agents généraux indépendants. Or, il se trouve que les agents généraux ont tenté de former une relève, mais que les moyens financiers ont manqué. L’aide financière des assureurs serait d’une importance monumentale pour la création de la relève !» dit Caroline Thibeault.

Et si les inquiétudes sur la pérennité de la distribution indépendante n’étaient pas fondées ? Tel est le point de vue de James McMahon, président pour le Québec du Groupe Financier Horizons.

«La stratégie de Great-West consiste à multiplier ses réseaux de distribution et à rejoindre le plus de conseillers indépendants possibles avec le plus de produits d’assureurs possibles. Les responsabilités en conformité des agences générales augmenteront sensiblement au cours des prochaines années. Ça prendra des agences générales de grande taille pour bien le faire», dit James McMahon.