Dans l’ouragan qui secoue les marchés, certains fonds alternatifs liquides (FAL) multistratégies se présentent comme un havre de paix relative où bien des investisseurs auraient sans doute aimé être amarrés.
La vente des FAL a reçu le feu vert des autorités canadiennes de réglementation il y a un peu plus d’un an, de telle sorte que nous commençons à pouvoir nous faire une idée de leur performance. Nous avons choisi d’aborder une des catégories les plus intrigantes du secteur : les fonds multistratégies.
Avec de tels fonds, nous entrons dans un monde souvent bien différent de celui auquel les lecteurs de cette chronique sont habitués.
Leur caractéristique principale ne repose pas tant sur les catégories d’actifs elles-mêmes – notamment les actions et obligations, secteurs, régions, tailles de capitalisation – dont on traite normalement. Certes, ces actifs continuent de jouer un certain rôle, mais la clé des fonds multi-stratégies tient souvent davantage à leur structure et aux instruments auxquels ils recourent : levier d’endettement, vente à découvert et instruments financiers dérivés.
Un exemple entre mille : dans le Fonds alternatif fortifié multi-stratégies de Picton Mahoney, le gestionnaire recourt aux actions, mais il le fait le plus souvent en achetant un titre (par exemple, Coca-Cola) et en vendant à découvert un autre titre apparenté (par exemple, PepsiCo). Cela change complètement la dynamique d’investissement.
Du coup, «votre portefeuille ne dépend plus de la direction du marché, explique Michael White, gestionnaire du portefeuille. Vous ne faites plus de l’argent sur la montée de Coke ou sur la descente de Pepsi, mais sur l’écart entre les deux titres qui s’élargit ou rétrécit.»
Plus classique, moins résistant
Par ailleurs, certains fonds de la catégorie sont de nature plus classique. C’est le cas du fonds Friedberg Asset Allocation, premier au classement de notre tableau, qui répond tout juste aux exigences de sa catégorie en intégrant des marchandises aux actifs traditionnels des actions et des obligations. Mais même là, il s’agit d’actions d’entreprises de denrées de base plutôt que des marchandises elles-mêmes.
Par contre, ce fonds n’a rien de classique par la nature de certains actifs et par son degré de concentration inhabituels. Par exemple, le gestionnaire du portefeuille Albert Friedberg, au lendemain de la crise de 2008, a engrangé le fonds négocié en Bourse (FNB) américain Homebuilders ETF jusqu’à ce qu’il atteigne 42,4 % du portefeuille à la fin de 2017, position qu’il a liquidée depuis. Le fonds achète aussi des obligations de banques grecques et brésiliennes.
Avec une composition aussi peu orthodoxe, il a parfois donné des rendements intéressants, soit de 17 % en 2013 et de 20 % en 2017. Par contre, dans la chute actuelle, il ne fait guère mieux que ses pairs traditionnels. Au moment où le S&P 500 et le S&P/TSX perdaient entre 20 % et 25 % depuis le début de l’année (au 12 mars 2020), le fonds Friedberg sombrait de 26 %.
Volatilité plus faible
Ce n’est pas le cas du FNB d’investissements alternatifs liquides BNI qui, depuis le début de 2020, présente un léger gain de 0,94 % (au 12 mars), indique Pierre Laroche, vice-président, recherche et stratégie, de Banque Nationale Investissements.
Ce fonds obtient ce résultat remarquable par une gestion «active» à base d’algorithmes statistiques qui cherchent à déceler les tendances dans cinq catégories d’actifs : obligations, devises, et trois marchandises (énergie, produits agricoles, métaux). Le FNB fait également appel à l’effet de levier, et peut aussi bien acheter que vendre à découvert.
Sa principale caractéristique tient à l’utilisation de contrats à terme de 22 types, toujours les mêmes, à la Bourse de Chicago. Les sommes des investisseurs sont déposées dans des bons du Trésor canadiens de trois et six mois, cet argent servant de marge pour les contrats à terme.
L’objectif principal du fonds est d’assurer une corrélation en deçà de 0,2 (un indice de 1,0 correspond à une corrélation parfaite) et une volatilité autour de 10 %, «soit environ la moitié de la volatilité typique des actions, qui est de 18 à 20 %», précise Pierre Laroche.
Par ailleurs, le rendement visé est l’équivalent de celui des bons du Trésor canadiens, plus 1,5 à 2 points de pourcentage. «Ce n’est pas le genre de produit dont on doit attendre des rendements faramineux, mais on vise une performance solide peu corrélée», souligne-t-il.
Diversification maximale
Le Fonds alternatif fortifié multi-stratégies Picton Mahoney mise lui aussi sur une faible corrélation.
Dans notre classement, ce fonds est celui qui correspond le mieux au libellé de sa catégorie : il ne fait pas que multiplier les catégories d’actifs, il multiplie aussi les stratégies.
Ainsi, le portefeuille est bâti sur neuf catégories d’actifs de base qui sont peu corrélés entre eux : actions de marchés développés, actions de pays émergents, écarts entre titres de revenu fixe de qualité investissement et titres de haut rendement, énergie, métaux industriels et précieux, grains, taux d’intérêt.
Ce large registre d’actifs englobe, d’une part, les marchandises elles-mêmes (mais non les actions d’entreprises les exploitant), et d’autre part, des produits dérivés exploitant non pas les tendances de certains actifs (taux d’intérêt, titres de dette), mais les écarts entre actifs. À ce panier s’ajoute le recours à un niveau de levier pouvant atteindre 300 % et à la vente à découvert pouvant s’élever jusqu’à 50 % du portefeuille.
En plus de ces actifs de base, le gestionnaire multiplie les stratégies qui visent une diversification maximale, notamment en recourant à cinq facteurs d’investissement : valeur, momentum, écart et portage, volatilité, taille.
«Nous nous efforçons de réduire la volatilité et de mettre au point des stratégies qui ne sont pas directionnelles, par exemple les marchés d’actions neutres, l’arbitrage de fusions et acquisitions, l’achat et la vente à découvert de crédit, explique Michael White. Nous tâchons d’éliminer la vulnérabilité aux tendances de marché tout en produisant de bons rendements.»
Quel résultat donne ce travail dans la tempête actuelle ? Nous n’avons pas de chiffres pour mars, mais à la fin de février, le fonds accusait une baisse représentant la moitié de son indice composé de cinq sous-indices mondiaux, soit -1,75 % par rapport à -3,77 %.