Prenez un engouement pour l’investissement tendance, combinez- le avec un marketing parfois trop zélé de la part d’émetteurs dont les frais de gestion sont sous pression et ajoutez une bonne dose de populisme dénonçant les élites et leur programme d’action pour le climat. Résultat ? Un contexte difficile pour faire certaines recommandations.
Qu’on l’appelle investissement responsable, investissement durable, critères ESG (critères en matière d’environnement, de société et de gouvernance) ou autre chose – et quelle que soit la façon dont on le perçoit –, on ne peut pas ignorer l’ESG. Selon un sondage réalisé par Gestion de patrimoine TD l’automne dernier, 62% des Canadiens fortunés et des jeunes Canadiens nouvellement fortunés ont déclaré qu’ils avaient l’intention de faire des placements responsables au cours de l’année suivante. Du 1er janvier au 31 juillet 2022, le fonds négocié en Bourse (FNB) qui arrive au deuxième rang au chapitre des créations les plus élevées parmi tous les FNB inscrits à la cote au Canada était un FNB indiciel ESG, selon Banque Nationale Marchés financiers.
« Nos recherches montrent que les investisseurs s’intéressent à l’ESG et veulent en parler avec leurs conseillers », déclare Marcus Berry, vice-président, spécialiste des FNB, chez Invesco, à Vancouver.
Les organismes de réglementation encouragent cette conversation. La connaissance du client et le guide de conformité de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) suggèrent que les clients doivent avoir la possibilité de faire part de leurs besoins en matière de placement et de leurs objectifs, notamment sur le plan des critères ESG.
Cependant, choisir un produit en se fondant sur ces conversations peut être compliqué, car l’investissement ESG revêt une signification différente selon les personnes. Les idées fausses des investisseurs – qui résultent en bonne partie du manque de divulgations normalisées sur les facteurs ESG et de mesures objectives dans ce domaine –, constituent un vrai problème.
« Les attentes des clients sont souvent différentes des produits que les gestionnaires d’actifs sortent sur le marché », dit Tim Nash, président de Good Investing Financial Planners, à Toronto.
Par exemple, les clients devraient comprendre que le marché secondaire n’est pas le bon endroit pour changer le monde, poursuit Tim Nash: « Ils peuvent avoir un impact beaucoup plus important par la philanthropie et l’investissement d’impact [privé]. »
« Aucun produit dans lequel vous pouvez investir ne résoudra d’un seul coup les problèmes », remarque Adam Murl, vice-président, recherche de détail et architecte principal de solutions, chez Guardian Capital, à Toronto. Une entreprise d’énergie solaire, par exemple, pourrait connaître des problèmes en matière d’ESG liés aux déchets ou à la main-d’œuvre. L’investissement ESG est « désordonné »et les progrès des entreprises concernant les facteurs ESG peuvent se faire « deux pas en avant, un pas en arrière », dit-il.
Toutefois, les initiatives des entreprises concernant l’ESG et le travail effectué sur les divulgations sont des preuves de progrès, selon lui. Il suggère aux investisseurs d’évaluer le programme des entreprises pour améliorer leur viabilité dans le temps, en étant conscients que les progrès s’accompliront probablement sur des années, non sur des trimestres.
À mesure que le domaine évolue et que les données ESG s’améliorent, les investisseurs seront de plus en plus à même de prendre des décisions de placement en connaissance de cause, ajoute Adam Murl.
Entre-temps, que doit faire un conseiller? Adam Murl suggère six étapes pour aider vos clients à choisir un fonds ESG.
- Informez-vous et informez vos clients
Pour commencer, mettez-vous à jour sur la multitude de termes utilisés dans le domaine, comme investissement d’impact, investissement avec filtre d’inclusion ou avec filtre d’exclusion, et obligations vertes.
« Vous devez être totalement prêt avant de commencer votre recherche [de produit] », dit Adam Murl.
Ces recherches vous seront également utiles quand vous aidez vos clients à déterminer leurs préférences et leurs attentes. Tout comme le cadre d’identification de l’investissement responsable basé sur la divulgation que le Comité de normalisation des fonds d’investissement du Canada (CIFSC) a publié plus tôt cette année. Il classe les fonds en fonction de leurs approches d’investissement responsable telles qu’elles sont énoncées dans les documents de réglementation.
Le cadre du CIFSC « contribuera à guider le conseiller, en utilisant la terminologie adéquate », dit Pat Dunwoody, directrice générale de l’Association canadienne des FNB (ACFNB), qui est membre du CIFSC. Étant donné que les clients peuvent éprouver des difficultés à formuler leurs préférences en matière d’ESG, les conseillers peuvent leur faire parvenir les catégories du CIFSC avant de les rencontrer, propose-t-elle.
Le CIFSC classe les fonds d’après six catégories d’investissement responsable qui ne s’excluent pas mutuellement:
- Intégration et évaluation des critères ESG (par exemple, fonds indiciels ESG ou fonds factoriels basés sur les principes de l’ESG);
- Investissement thématique en ESG (par exemple, fonds de technologies propres);
- Exclusions en ESG (filtre négatif);
- Investissement d’impact (par exemple, les fonds qui visent à produire un impact social mesurable);
- Les activités de mobilisation et de gérance liées à l’ESG (par exemple, les fonds dont les gestionnaires votent en faveur de projets liés au changement climatique);
- Meilleurs de leur secteur en ESG (filtre positif; par exemple, les fonds leaders en ESG).
Pat Dunwoody suggère également une première question facile à poser à un client, même s’il n’a pas manifesté d’intérêt pour l’ESG : y a-t-il des secteurs que vous voulez exclure ou appuyer ?
Généralement, selon Tim Nash, « la principale attente des clients touche la sélection négative ». Ils veulent se désinvestir totalement des combustibles fossiles, par exemple. (Pour vous assurer de la compréhension du client, pensez à lui parler de l’absence d’impact réel du désinvestissement, si l’impact est important à ses yeux.)
Un FNB indiciel ESG, fondé sur des règles et transparent, simplifie les choses, affirme Marcus Berry: » Il peut être très facile de déterminer quel est l’objectif de cette stratégie et si cela correspond aux objectifs et aux valeurs du client.
»Quelles que soient les préférences de votre client, acceptez-les, dit Tim Nash. « Si vous n’écoutez pas [les clients], ils vous quitteront. »Selon lui, le conseiller devrait éviter deux erreurs lorsqu’il parle d’ESG avec son client.
La première erreur est de couper la conversation avec le client ou d’être directif concernant les valeurs. « Il ne s’agit aucunement des valeurs des conseillers et de ce qu’ils pensent », dit Tim Nash.
Raconter n’importe quoi au client est la deuxième. « Soyez à l’aise de dire au client:“Je ne sais pas”, dit Tim Nash. Les clients n’ont pas nécessairement besoin d’un conseiller qui soit un expert dans ce domaine; toutefois, ils ont besoin d’un conseiller désireux d’apprendre et de travailler avec eux. »
- Fixez vos objectifs
À cette étape, il s’agit de déterminer où le client se situe entre les résultats financiers et les résultats sociaux, dit Adam Murl. Par exemple, veut-il consacrer 5 % de son portefeuille à l’investissement à fort impact, même si cela implique de sacrifier un peu de rendement ? Ou est-ce qu’un objectif financier, comme l’épargne-retraite, est prioritaire ?
Placez les fonds sur un spectre avec, à une extrémité, un fonds indiciel ESG à large base (sélection minimale, légère orientation ESG), et à l’autre extrémité, des fonds ayant plus de contraintes (sélection stricte, forte tendance ESG), suggère Tim Nash.
Plus le mandat d’un fonds comporte de contraintes, « plus il y a de compromis par rapport à l’indice de référence standard », dit Tim Nash. Ces compromis peuvent consister en une moins grande diversification, une plus faible exposition à l’énergie, des frais plus élevés et des rendements potentiellement plus bas.
« Faites connaître les compromis, parce qu’il y a parfois un peu de discordance », dit Tim Nash. Par exemple, le client peut avoir une forte préférence pour un fonds thématique, comme un fonds de technologies propres, mais avoir une faible tolérance au risque. Une solution potentielle pourrait être d’allouer une part plus importante aux titres à revenu fixe.
- Commencez la sélection
Créez une liste d’options de fonds en utilisant un outil de filtrage des critères ESG.
Pour un fonds donné, Tim Nash tient compte des notes ESG de quelques agences de notation ainsi que de paramètres comme le pourcentage de revenus provenant de combustibles fossiles.
Les méthodologies de notation des agences de notation varient (parlez-en à Elon Musk). Même si les notations ne devraient pas être le seul critère du choix d’un fonds, elles aident à situer les fonds sur le spectre, remarque Tim Nash.
- Vérifiez le fonctionnement du fonds
Examinez les principaux titres des fonds de votre liste pour vérifier s’ils sont conformes aux messages des fonds. « Si vous investissez dans un FNB de technologies propres, il serait préférable de trouver de nombreuses entreprises solaires et éoliennes en tête de liste, dit Adam Murl. Sinon, c’est juste du marketing. »
Un autre facteur à évaluer est la différenciation par rapport à l’indice. Si un fonds a les mêmes principaux titres que l’indice mais avec des frais plus élevés, le client peut avoir intérêt à détenir le FNB indiciel et à faire don des frais supplémentaires à un organisme de charité, dit Adam Murl.
- Évaluez les fondamentaux du FNB, y compris le coût
Il est toujours important d’évaluer le coût, que ce soit un fonds ESG ou non, étant donné son incidence sur les rendements.
Les recherches montrent que les fonds ESG ont souvent des frais plus élevés, affirme Adam Murl, c’est pourquoi les investisseurs doivent évaluer si des frais plus élevés sont valables compte tenu du résultat escompté. Par exemple, certains fonds utilisent une partie des frais pour investir dans des projets sociaux, poursuit-il.
La comparaison du coût d’un fonds à celui de son groupe d’homologues ou à celui de son équivalent non ESG peut fournir un contexte, selon lui.
Adam Murl suggère également d’utiliser des ordres à cours limité et de comparer les écarts cours acheteur-cours vendeur de différents FNB ayant des expositions similaires, qui peuvent varier considérablement. « Renoncer à ce rendement ne sert à rien si vous n’y êtes pas obligé », dit-il.
- Évaluez si le gestionnaire passe de la parole aux actes
Déterminez si le gestionnaire est actif auprès des entreprises pour qu’elles mettent en oeuvre le changement.
« Lorsque nous avons ces conversations avec les chefs de la direction et leurs conseils d’administration sur leurs émissions et leurs chaînes d’approvisionnement, cela nous mène à de meilleurs résultats dans le temps, dit Adam Murl. Les leaders en ESG seront transparents concernant leurs activités et produiront des rapports de mobilisation annuels ainsi que des politiques relatives aux votes par procuration et des lignes directrices en matière d’investissement responsable. »
Les investisseurs peuvent également considérer les engagements de la firme de gestion d’actifs, tels que les objectifs en matière d’émissions de carbone. De même, « les gestionnaires d’actifs qui prennent au sérieux les questions d’ESG auront des objectifs et des politiques identiques, déclare Adam Murl. En faisant des recherches à ce sujet, vous pouvez mieux vous assurer que la société de fonds est en phase avec vos valeurs. »
Si un client répond « non » lorsque vous lui demandez: » Voudriez-vous exclure certains secteurs ou en appuyer d’autres ? » cela peut clore la discussion temporairement. Mais précisez au client qu’avec l’investissement ESG il n’est pas seulement question de ses valeurs, mais aussi de la gestion du risque. Les entreprises qui gèrent efficacement leur risque ESG sont positionnées de manière à ce que leurs perspectives de bénéfices soient plus durables à plus long terme, ce qui est important pour l’investisseur à plus long terme, dit Adam Murl, de Guardian Capital.