L’espérance de vie s’accroît de manière continue, et avec elle, le risque pour les clients de survivre à leur épargne.
C’est préoccupant, d’autant que de nombreux retraités n’ont pas suffisamment géré ce risque dans leurs plans financiers.
Historiquement, les gens travaillaient de 30 à 35 ans environ et prévoyaient profiter d’une retraite de 15 à 20 ans, puisque l’espérance de vie était moindre. Or, on vit de plus en plus longtemps.
Au Québec, l’espérance de vie moyenne à la naissance est passée de 72,9 ans en 1977 à 82,5 ans en 2023, selon l’institut de la statistique du Québec. Les projections de l’institut de planification financière suggèrent que si une personne atteint 65 ans, elle a 25 % de chances de vivre jusqu’à 94 ans pour un homme et jusqu’à 96 ans pour une femme.
Il devient donc crucial de repenser la planification financière pour cette période, qui peut souvent s’étendre sur 30 ans ou plus.
Il existe trois catégories de stratégies pour la gestion de l’épargne à la retraite. Premièrement, l’approche des retraits progressifs consiste à retirer des sommes de manière régulière tout en maintenant une gestion des actifs restants. Ce modèle peut inclure le report du moment où un client commence à recevoir ses rentes publiques (Régime de rentes du Québec [RRQ] et pension de la Sécurité de la vieillesse [PSV]) pour maximiser leur rendement.
Deuxièmement, souscrire une rente viagère est une stratégie qui consiste à convertir une partie ou la totalité de l’épargne en un revenu garanti à vie, éliminant ainsi le risque de survie à son épargne.
La troisième approche est une combinaison des deux premières, soit le report du moment où on perçoit les rentes publiques et l’achat d’une rente viagère à un âge avancé avec une partie de l’épargne disponible, maximisant ainsi la sécurité financière tout en maintenant une certaine flexibilité dans la gestion de l’épargne restante.
L’approche optimale dépendra de la santé physique (son espérance de vie) et de la santé financière de votre client.
Coûteuse longévité
Considérant que vivre longtemps est onéreux, il existe des outils pour gérer ce risque.
Cela implique notamment d’envisager certains produits garantissant un revenu stable à long terme, comme une rente viagère traditionnelle, une rente viagère différée à un âge avancé (RVDAA) ou une rente viagère à paiements variables (RVPA), aussi désignée rente dynamique.
Avant de considérer ces outils, il est généralement recommandé de retarder le moment où vos clients commencent à toucher leurs prestations de la PSV et du RRQ, car ces prestations représentent des revenus viagers indexés à l’inflation auxquels la plupart des gens ont accès.
Dans les conversations avec les clients, il faut faire la distinction entre prendre sa retraite et la date du début des versements. En d’autres termes, nous ne suggérons pas de retarder le début de la retraite.
Bien que l’augmentation des besoins en épargne soit évidente avec l’amélioration de l’espérance de vie, cela ne signifie pas nécessairement qu’il faudra travailler plus longtemps. En effet, une analyse du moment optimal pour débuter ses prestations publiques de retraite effectuée par la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques montre que de le reporter est souvent plus avantageux financièrement que de l’anticiper, sauf pour les personnes à faible revenu ou en mauvaise santé. Pour des clients en santé et ayant des revenus moyens ou élevés, l’épargne privée nécessaire pour financer une retraite peut être moindre lorsque le report des rentes publiques est optimisé.
Un autre aspect à considérer est la communication des recommandations au client. Dans une situation où l’épargne est disponible, il est probable que l’option la moins risquée devrait être présentée comme étant celle du report des prestations publiques et l’option sans report, la plus risquée.
Une étude de l’institut canadien des actuaires le confirme : « Même dans le cas extrême d’une personne qui souhaite ne pas reporter ses prestations du Régime de pensions du Canada (RPC) par exemple dans les situations où l’espérance de vie est faible et le rendement des placements est très élevé-une personne a une probabilité de 50 % de recevoir un revenu plus élevé en reportant ses prestations du RPC, tout en présentant le risque de se retrouver dans une situation bien pire ».
Selon cette étude, compte tenu des attentes de longévité de la population en général, le report est manifestement une stratégie avantageuse.
L’ajout d’une rente viagère peut non seulement aider à gérer le risque de longévité, mais aussi le risque relié aux placements ou le risque de déclin cognitif et même le risque d’erreur.
L’un des avantages de cette rente est qu’elle permet une mutualisation des risques de longévité. Les personnes qui décèdent plus tôt « financent » celles qui vivent plus longtemps, leur permettant de bénéficier de revenus garantis jusqu’à la fin de leur vie. Cette mutualisation permet de sécuriser le revenu pour les gens qui risquent de vivre bien au-delà de l’espérance de vie moyenne, et constitue un filet de sécurité.
Autrement dit, ceux qui vivent plus longtemps bénéficient des « crédits de mortalité » des autres, une sorte de redistribution qui profite à ceux qui atteignent un âge avancé.
Le moment où l’on souscrit cette rente est important. Il y a le versement de charges administratives supplémentaires inutiles pour la période du début de la rente. De 60 à 75 ans, les probabilités de décès sont relativement faibles. Disons, de manière très approximative, qu’elles sont de moins de 10 % pour les non-fumeurs en bonne santé.
L’achat d’une rente viagère peut donc devenir attrayant, surtout après 75 ans. À cet âge, la « mutualisation des risques » devient plus avantageuse.
Étude de cas
Prenons le cas d’un homme retraité de 65 ans qui envisage d’investir dans une rente viagère 100 000 $ de son REER. La rente pourrait lui verser 525 $ par mois avec une garantie de 120 versements mensuels. Cette garantie signifie qu’il recevrait environ 63 % de la prime versée, sans intérêt après la période de dix ans.
Autre option : il pourrait retirer uniquement le revenu de placement sur son capital, soit 250 $ par mois à un taux de rendement de 3 %. Ou encore, il pourrait étaler le capital jusqu’à 90 ans et retirer 475 $ par mois. Enfin, il pourrait choisir de décaisser progressivement son capital jusqu’à 94 ans, ce qui lui permettrait de retirer environ 433 $ par mois avec une probabilité de survivre à son capital de l’ordre de 25 %.
L’écart entre les versements d’une rente et ceux d’un décaissement est notable, soit 92 $ (525 $433 $) par mois. C’est une privation de 18 % par rapport à la rente viagère. De plus, ce client devra composer jusqu’à cet âge avec les tracas des marchés financiers.
Le taux de rendement interne (TRI) de la rente variera dans le temps. Il peut être négatif si la personne décède dans les premières années, mais plus la personne vit longtemps, plus ce même TRI devient avantageux. Reprenons notre cas, le TRI sera de -9,67% pour les dix premières années. Il va graduellement monter et atteindre 0 % à 82 ans, 1,89 % à l’espérance de vie et 4,35 % à 95 ans.
Dans ce cas, la rente viagère pourrait améliorer de façon importante la viabilité du plan de retraite, réduisant ainsi le risque de manquer de capital à un âge avancé. La rente offrirait une stabilité que les autres options ne garantissent pas, particulièrement au-delà de 94 ans.
À mesure que les clients vieillissent, leur besoin d’intégrer une rente viagère à leur portefeuille devient plus pertinent. En effet, l’idée de conserver une latitude durant la première période de la retraite et de se procurer un revenu garanti pour la deuxième période apparaît comme une solution intéressante.
Cette stratégie permet de gérer efficacement le risque de longévité tout en assurant un revenu stable et durable. Elle permet certainement de diminuer l’anxiété des clients en faisant que le revenu à compter d’un âge précis, soit 70, 75 ou 80 ans, est déjà prévu. En attendant plus tard pour se procurer une rente viagère, le client dispose de la latitude de ses actifs en début de retraite et se garantit un revenu à un moment où les décisions financières sont parfois plus difficiles.
Mélanie Beauvais, FICA, FSA, M. Fisc, est Pl. Fin. chez Bachand Lafleur, groupe conseil