Le 8 février dernier, le Programme des gestionnaires en émergence du Québec (PGEQ) annonçait la sélection de la firme Evovest, de Montréal, pour la gestion d’un mandat en actions mondiales.
Fondée en 2017 par Carl Dussault, son PDG, Evovest a lancé son premier fonds alimenté par l’intelligence artificielle (IA), le fonds Evovest Actions Mondiales, en février 2019.
«Start-up locataire de notre Station FinTech, Evovest, avec sa technologie novatrice, démontre l’immense potentiel de l’intelligence artificielle pour le secteur de la gestion d’actifs. Cette reconnaissance témoigne du dynamisme de l’entrepreneuriat financier au Québec», déclarait Jacques Deforges, directeur général de Finance Montréal, en marge de cette annonce.
Ce témoignage de Finance Montréal, qui a contribué à la création du PGEQ, illustre bien dans quelle mesure le recours à l’IA dans le secteur financier se démocratise.
«Montréal est devenue une plaque tournante de la recherche en intelligence artificielle, et son écosystème en IA est en plein essor», affirme Investissement Québec, qui parle du Québec comme d’un pôle mondial de l’IA.
La société d’État en veut pour preuve la présence à Montréal des principaux acteurs du secteur de l’IA, dont DeepMind, Facebook, Google, Microsoft, Samsung et Thales, ainsi que la reconnaissance dont bénéficie la métropole relativement à ses chercheurs émérites en reconnaissance automatique de la parole, en vision par ordinateur, en traitement du langage naturel et en apprentissage par renforcement.
«L’Université McGill et l’Université de Montréal comptent plus de 250 chercheurs et doctorants dans des domaines liés à l’intelligence artificielle, soit la plus grande communauté universitaire en IA au monde», écrit Investissement Québec.
Les domaines d’application de l’IA sont multiples, par exemple celui de la santé, du transport et même militaire. Mais ses utilisations possibles en matière bancaire et financière sont aussi fort nombreuses. Cela inclut le traitement d’énormes masses de données et l’automatisation de diverses tâches répétitives.
«[On] peut avancer que les services financiers constituent un des secteurs à l’avant-garde de la transformation causée par la montée en puissance de l’intelligence artificielle», affirmait le CIRANO dans une étude traitant des incidences de l’IA sur la gestion des compétences dans le secteur des services financiers, publiée en septembre 2020.
Il n’est donc pas surprenant de constater la multiplication des projets de recherche appliqués au domaine financier.
L’Institut de valorisation des données (IVADO) a par exemple conclu un partenariat avec Quantolio en novembre 2019. Cette firme de technologie financière indépendante établie à Montréal se spécialise dans le développement de logiciels axés sur l’IA pour les gestionnaires d’actifs et de risques. Le partenariat, qui implique aussi le réseau Fin-ML (Machine Learning en Finance), cherche à améliorer les processus et stratégies d’investissement en intégrant les dernières technologies en IA.
L’Université de Sherbrooke a elle aussi conclu un partenariat visant à créer de nouveaux algorithmes IA au service de la finance. Elle le fait avec Laplace Insights, une firme émergente en intelligence d’investissements de Sherbrooke, par l’entremise d’une collaboration étroite de la firme avec le professeur Shengrui Wang, chercheur au Département d’informatique de la Faculté des sciences de l’Université de Sherbrooke.
Depuis 2017, 18 étudiantes et étudiants en informatique, en mathématique, en finance et en génie informatique venant du baccalauréat, de la maîtrise et du doctorat ont contribué à ce projet, dans le cadre de stages coopératifs ou en tant que membres du personnel de recherche.
Pour leur part, les institutions financières, à l’instar des assureurs, ont créé sous différentes formes des équipes spécialisées de chercheurs et d’ingénieurs en IA afin de concevoir des produits compatibles avec l’IA. La Banque Royale du Canada a par exemple créé Borealis AI, dont le réseau de laboratoires est présent à Vancouver, Waterloo, Toronto et Montréal.
«La performance de nos équipes TI, les algorithmes que nous avons développés et l’intelligence artificielle que nous utilisons pour concevoir nos nouveaux produits sont les éléments clés qui permettent à Humania Assurance d’augmenter sa productivité tout en optimisant sa gestion des risques», indique Stéphane Rochon, président et chef de la direction de l’assureur.
Humania, avec le lancement d’HuGO en 2016, est devenue la première compagnie d’assurances au Canada à avoir utilisé l’analyse prédictive pour rendre une décision finale et non seulement stratifier le risque. Grâce à l’IA, HuGO permet d’émettre un dossier en quelques minutes dans la vaste majorité des cas, alors qu’il fallait auparavant 30 jours en moyenne pour le même genre d’émission.
«Au moment même où plus de 75 % des demandes d’assurance reçues au siège social sont traitées de façon automatique et émises en quelques minutes, cette approche numérique nous permet de rapidement supporter une hausse des ventes sans impact majeur sur l’entreprise», affirme Stéphane Rochon.
Pour la portion restante, Humania n’a pas cherché à programmer le dernier élément qui permettrait à l’IA d’agréger suffisamment d’information pour prendre une décision.
«Ce n’était pas logique et ça coûtait trop cher pour les bénéfices potentiels. Il est encore trop tôt pour le faire, à la fois chez Humania et pour l’industrie, alors c’est là que l’humain prend sa place. Cela étant dit, dans quelques années, nous pourrons aller vraiment plus loin», indique Stéphane Rochon.
Et les conseillers ?
Au cours des dernières années, l’attitude et les comportements des consommateurs vis-à-vis des questions financières en relation avec la technologie ont évolué, et la crise sanitaire qui a marqué les derniers mois a certainement accéléré cette tendance.
Une tendance qui s’accentue au moment où le Comité consultatif sur un système bancaire ouvert de Finances Canada poursuit ses consultations amorcées en janvier 2019, la deuxième phase de consultations s’étant tenue à la fin de 2020. La mission de ce comité consiste à examiner les divers aspects de la mise en oeuvre d’un système bancaire ouvert (open banking) au pays.
Dans un tel contexte, où les clients pourraient être en mesure de déterminer comment leurs données personnelles sont partagées depuis des fournisseurs existants, que ce soit leur institution financière, leur assureur ou leur gestionnaire de portefeuille, avec des tiers, comment les conseillers peuvent-ils faire évoluer leur pratique en conséquence ?
Simon Boulet, PDG de Wealthica, estime que la technologie apporte d’emblée de nombreuses possibilités aux conseillers, et que ceux-ci auraient «intérêt à explorer et apprivoiser les outils existants».
À cet égard, Simon Boulet affirme que les conseillers qui ont adopté son application, «qui permet aux conseillers et aux investisseurs d’avoir une vue d’ensemble sur leurs placements, voient la possibilité d’agréger les données de leurs clients comme un avantage compétitif et une façon de se démarquer».
Au sujet de l’open banking, Simon Boulet juge que son adoption au Canada est incontournable. «Ça va se faire, c’est juste une question d’années», analyse-t-il.
L’accès aux données qui sera alors rendu possible et les capacités en matière de traitement apportées par l’IA «vont clairement ouvrir le marché à de nouvelles occasions pour les conseillers, par exemple une plus grande facilité de consolider l’ensemble du portefeuille d’un client».
Bien que certains conseillers observent encore l’IA d’un oeil méfiant, celle-ci peut également s’avérer un «outil d’analyse sophistiqué»présentant d’énormes avantages dans la gestion du portefeuille de leurs clients, indique pour sa part Jean-Marc Patenaude, président de Laplace Insights.
L’IA propose à cet égard au conseiller un volet d’analyse fondée sur les mathématiques et des statistiques reposant sur des milliers d’événements financiers historiques. Un volet qui s’ajoute aisément à des outils bien établis, tels que l’analyse technique, fondamentale ou quantitative.
La capacité d’apprentissage et d’adaptation de l’IA offre ainsi au conseiller un outil de détection de nouvelles tendances et occasions qui, ultimement, complémente son processus d’analyse traditionnelle en lui suggérant une perspective différente fondée sur la combinaison de statistiques et la capacité d’identification des anomalies les plus pertinentes dans les marchés boursiers.
«Ces informations offrent une profondeur d’analyse fondée sur les statistiques et la science plutôt que sur des opinions humaines souvent assujetties aux biais et aux émotions», selon Jean-Marc Patenaude.
Il ajoute toutefois que le conseiller demeure le seul à bien connaître son client. «Son jugement s’avère donc d’autant plus pertinent.»