Depuis l’an dernier, la proportion moyenne de clients ayant plus de 250 000 $ à investir augmente dans le bloc d’affaires des représentants sondés dans le cadre du Top 12 des cabinets multidisciplinaires. Celle-ci s’élève à 19,9 % cette année.
Susceptibles d’avoir des besoins en assurance plus sophistiqués et davantage d’actif à investir, les clients aisés représentent à la fois une occasion de croissance et une menace étant donné la concurrence intense dans ce segment de marché. Pour bien les servir, conseillers et cabinets misent sur diverses stratégies, dont l’offre de plans financiers personnalisés. En voici quelques-unes.
Utiliser les placements privés
La peur de l’élimination des commissions intégrées a stimulé la création de blocs d’affaires de plus en plus gros, selon François Bruneau, vice-président administration – Investissement, Groupe Cloutier Investissements : «On est passé d’une game de vente, pour générer des commissions, à une game où on cherche à [faire] grossir l’actif.»
Pour profiter de la tendance, plusieurs manufacturiers de fonds ont lancé des plateformes de placements privés. Celles-ci permettent de facturer un honoraire basé sur l’actif à investir qui est négocié avec un client. «On est maintenant capable d’offrir des comptes à honoraires, ce qu’on ne pouvait pas faire avant dans des comptes client name», dit-il.
Le désintéressement progressif de certaines firmes de courtage de plein exercice pour les comptes de moins de 500 000 $ crée ainsi des occasions, note François Bruneau.
Offrir le courtage de plein exercice
Afin d’offrir toutes les valeurs mobilières, dont les fonds négociés en Bourse (FNB), quelques conseillers de différents cabinets s’intéressent au courtage de plein exercice, d’après les résultats de notre sondage.
L’intérêt est fort au Groupe Investors, et Claude Paquin, son président pour le Québec, anticipe une accélération du nombre de conseillers membres de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) d’ici 2020. «Dans cinq ans, de 50 à 80 % des conseillers seront sur la plateforme OCRCVM. C’est un mouvement majeur. Nous ne les obligeons pas à le faire. Ce sont eux qui se rendent compte qu’il y a une plus grande flexibilité pour servir les clients à valeur nette élevée», dit-il. Son défi est actuellement de régler les accros techniques et de déployer les ressources pour absorber ce volume de transferts, juge-t-il.
Selon lui, les conseillers de plein exercice adoptent des modèles de portefeuilles gérés plutôt que d’avoir «le nez rivé sur des écrans pour savoir quoi acheter». Ces solutions leur permettent de se concentrer sur la planification financière et fiscale de leurs clients.
Par ailleurs, un répondant de SFL, Partenaire de Desjardins sécurité financière (DSF) se plaint de ne pas avoir accès à une plateforme de courtage de plein exercice. Selon Michael Rogers, vice-président, ventes et distribution, réseaux indépendants, chez DSF, ce genre de demande ressurgit tous les 14 à 18 mois : «Les conseillers veulent tous l’environnement de l’OCRCVM. Mais quand on leur présente le cadre réglementaire plus limitatif et les contraintes du plein exercice, ils disent : « Je ne veux pas m’embarquer dans ce volet ».»
Le client aisé a besoin de conseil financier avant tout, mais si un jour le courtage de plein exercice devenait une nécessité pour lui, «il va falloir qu’on y arrive tôt ou tard», convient Michael Rogers.
Par ailleurs, aucun conseiller de SFL n’offre encore directement de FNB. Michael Rogers espère que les fournisseurs de logiciels d’arrière-guichet (back-office) résolveront les embûches technos qui empêchent les courtiers en épargne collective de distribuer des FNB : «Le plus tôt serait le mieux. Encore là, il faut que ce soit bien attaché et rodé du point de vue opérationnel, et c’est ce qui nous manque.» Rappelons que ces produits conviennent bien dans les comptes à honoraires, dont le nombre a doublé en 2016 et en 2017, par rapport à l’année précédente, chez SFL. La proportion des revenus en fonds communs de SFL qui proviennent des comptes à honoraires est passée de 0,75 % en 2015, à 2,17 % en 2016, à 4,72 % en 2017.
Cibler la famille
Pour bien servir les clients riches, les conseillers doivent servir leurs enfants, car ces derniers hériteront probablement des premiers, estime François Bruneau : «Même si ce n’est pas rentable à court terme. Si tu n’as pas établi de lien avec les enfants de tes clients, à leur décès, tu vas avoir une perte sèche alors qu’on est dans une game de [taille] d’actif.»
Pour les aider en ce sens, Groupe Cloutier offre depuis mars la solution numérique InvestiPLUS, qui a été développée par Invesco Canada. Celle-ci permet au client d’ouvrir un compte en ligne, indépendamment du conseiller, ce qui réduit les formalités et les coûts administratifs.
«C’est une façon ultrasimple de s’adresser aux milléniaux pour faciliter l’ouverture de compte», dit François Bruneau. Le client reçoit une invitation de son conseiller, remplit le questionnaire de profil d’investisseur et est orienté vers l’un des cinq portefeuilles de FNB, qui sont des fonds communs de FNB. Les signatures sont électroniques, ce qui évite les risques d’oublis lors de l’ouverture de compte.
«Pour 15 000 $ ou 20 000 $ [d’actif], la valeur ajoutée n’est pas dans la construction du portefeuille. Le client aura un portefeuille relativement simple. Ça permet de se concentrer sur [le conseil financier], qui créée vraiment de la valeur pour son client», note François Bruneau. Pour le client, les frais de gestion sont de 1,40 à 1,50 %, ce qui comprend la rémunération du conseiller.
Miser sur la planification financière
Pour se démarquer, plusieurs conseillers conçoivent des plans financiers personnalisés. Bâtir un portefeuille d’investissement ou accompagner un client dans la souscription d’une police ne suffisent plus.
Chez Groupe Investors, obtenir le titre de planificateur financier est nécessaire pour devenir conseiller ou le rester. Cette norme de compétence aide à répondre aux attentes des clients fortunés, lesquelles touchent notamment à l’efficacité fiscale des revenus de retraite et des dons caritatifs, note Claude Paquin.
Comme un conseiller ne peut être spécialisé en tout, travailler en équipe permet de mieux servir les clients fortunés, dit-il : «L’ère des one man show est terminée. Les gens fortunés sont mal à l’aise de voir un conseiller de 60 ou 65 ans arriver seul et sans plan de relève.» Son cabinet sensibilise ainsi les conseillers seniors à l’importance de s’entourer des bonnes recrues, notamment grâce à des tests psychométriques. Il offre aussi du coaching aux nouveaux coéquipiers.
Pour mieux gérer les relations clients, SFL mise entre autres sur divers outils technologiques, dont le logiciel Kronos. L’objectif est d’éviter qu’un client ne soit oublié après une vente et d’amener un conseiller à personnaliser son offre en fonction de l’évolution de ses besoins.
L’an dernier, SFL a ajouté le logiciel de suivi des affaires en assurance WealthServ. «Maintenant, peu importe le manufacturier, les conseillers peuvent rentrer dans une plateforme et savoir à quelle étape en est le dossier. Ils peuvent mieux gérer les attentes», dit Michael Rogers. Selon lui, il n’est pas nécessaire d’obliger les représentants à obtenir le titre de planificateur financier pour qu’ils offrent des services de planification financière. SFL, qui compte dans ses rangs 213 conseillers possédant le titre, encourage toutefois ses conseillers qui ne l’ont pas à l’obtenir et offre des formations en ce sens.
S’allier à des experts-conseils
Pour bien servir les clients fortunés, plusieurs cabinets offrent l’appui de spécialistes en fiscalité, en droit, en assurance et en investissement. Certains conseillers y ont recours, d’autres non, entre autres parce que ces derniers cultivent leur propre réseau d’experts non liés au cabinet, révèle notre sondage.
Chez Groupe Cloutier, des spécialistes soutiennent les conseillers pour des questions fiscales, par exemple sur les meilleures stratégies lors de la vente de l’entreprise d’un client.
Le Groupe Investors a réorganisé son réseau de spécialistes récemment, confirme Claude Paquin : «Des ressources ayant une expertise précise fonctionnent encore mieux si on les a directement dans les bureaux régionaux.» Ces ajustements ont plu aux répondants de ce réseau qui accordent une note élevée à l’appui d’experts (9,2 points sur 10).
Chez SFL, la récente réorganisation vise notamment à offrir un service d’experts-conseils uniforme parmi les centres financiers, explique Michael Rogers : «Dans le passé, certains centres financiers avaient une offre de service très avancée, et d’autres, une offre moins étoffée. Nous changeons pour créer des centres financiers ayant une masse critique leur permettant d’offrir les services auxquels les conseillers ont le droit de s’attendre.» Ces ressources aideront les conseillers à fonder des relations clients sur la planification financière et à mieux servir la clientèle cible des gens aisés, a-t-il précisé.
Offrir un large éventail de produits
Pour rivaliser avec les institutions financières, plusieurs conseillers liés à des cabinets multidisciplinaires peuvent offrir, directement ou par l’intermédiaire de références, divers produits, dont des prêts hypothécaires, des certificats de placement garanti (CPG) et des comptes bancaires.
C’est le cas chez Groupe Cloutier, où les conseillers peuvent aussi offrir de l’assurance collective pour les propriétaires d’entreprise. Pour les clients fortunés, on promeut l’utilisation de l’assurance vie comme un actif, explique François Bruneau : «Prenons le cas d’un client fortuné qui veut léguer de l’argent à sa succession et la protéger, car au moment de son décès, il va avoir une facture fiscale. L’assurance vie peut être fiscalement plus avantageuse qu’un CPG dans un compte non enregistré.»
Le Groupe Investors offre notamment des marges de crédit, des prêts hypothécaires et des comptes tout-en-un grâce à l’affiliation en marque blanche (whitelabelling) avec une banque, dit Claude Paquin : «C’est un must pour travailler dans ce créneau de marché.»
«Banking, prêts hypothécaires, comptes chèques : on doit être capable de tout offrir par référencement, explique Christian Laroche, président d’Aurrea Signature. Pourquoi laisser la chance à une institution financière de rentrer chez ton client ?»
D’ailleurs, malgré ses liens étroits avec le Mouvement Desjardins, SFL n’envisage pas d’offrir des services bancaires à court terme.
Ajuster sa mise en marché
Pour recruter des clients aisés, certains cabinets déploient un plan marketing adapté. Le Groupe Investors sensibilise par exemple les firmes comptables afin qu’elles comprennent sa proposition de valeur. Des conseillers de la société organisent ou participent à des événements et à des conférences destinées aux clients aisés.
Chez SFL, on aide les conseillers à créer un marketing destiné aux clients fortunés. Le réseau envisage aussi de revoir sa propre image de marque : «On a un branding SFL, Partenaire de DSF. On a DSF qui se positionne comme Desjardins Assurance. Ça devient mêlant pour le client. En plus, il y a le logo du cabinet. On va possiblement revoir notre logo pour l’épurer, le simplifier. On veut lancer le message qu’on peut faire une offre complète en gestion de patrimoine.»