Plus du tiers des conseillers sondés dans le cadre du Top 12 des cabinets multidisciplinaires ont considéré que le projet de loi 141 est l’un des plus grands enjeux réglementaires du moment.
«Le projet de loi 141 fait partie des projets d’envergure, donc ce n’est pas vraiment une surprise qu’il soit placé au premier plan [parmi les inquiétudes des conseillers]», déclare Frédéric Pérodeau, surintendant de l’assistance aux clientèles et de l’encadrement de la distribution à l’Autorité des marchés financiers (AMF).
Quelques-uns des répondants de notre sondage annuel déplorent la disparition de la Chambre de la sécurité financière (CSF) : «c’était un de nos alliés». Mais les plus vives inquiétudes par rapport au projet de loi 141 concernent la vente d’assurance par Internet sans représentant.
«Si les personnes n’ont pas l’appui d’un conseiller, ça sera plus compliqué», dit l’un d’eux. «Le projet de loi 141 essaye de tout faire pour détruire le conseil. Il y a de l’injustice entre ceux qui ont un permis et ceux qui n’en ont pas mais qui peuvent vendre des assurances», ajoute un autre.
«Il y a une partie de cette peur qui est fondée, parce qu’on a toujours peur de l’inconnu. C’est le manque de communication de l’AMF qui fait peut-être le plus mal», analyse Adrien Legault, chef de la conformité chez Aurrea Signature.
Interrogée à ce sujet, l’AMF a assuré qu’elle organiserait des consultations pour bien comprendre les préoccupations des conseillers et proposer un cadre «moderne et tiré des meilleures pratiques». Elle a assuré que la protection du consommateur ne serait pas amoindrie.
L’AMF rappelle également qu’il ne sera pas permis d’offrir de l’assurance sans permis au Québec. «Nous allons poursuivre toute personne qui va offrir de l’assurance et des conseils dans le cadre d’une offre d’assurance, et qui n’aurait pas de permis», a confirmé Philippe Lebel, directeur général des affaires juridiques à l’AMF.
Pour Adrien Legault, la vente d’assurance par Internet n’a pas que des désavantages. Selon lui, elle offre des possibilités aux conseillers. «Le conseiller n’a plus besoin de vendre l’idée de s’assurer au client. Cette idée a déjà été vendue, mais lui arrive avec une meilleure solution», dit-il.
D’autant plus que le vocabulaire sur Internet est lourd et très précis pour des raisons légales. «Le client peut être complètement débordé par ça. C’est là qu’un humain devra intervenir. Le conseiller va toujours rester un bien meilleur vulgarisateur qu’un site internet», affirme le chef de conformité d’Aurrea.
L’AMF rassure les conseillers inquiets de la disparition de la réglementation par les pairs si la CSF venait à être abolie. «La déontologie que la CSF a adoptée, c’est clairement une chose que la loi conserve, dans le sens que les codes vont demeurer», explique Philippe Lebel.
«Sur le plan juridique, le projet de loi 141 propose une chambre disciplinaire à l’intérieur du Tribunal des marchés financiers afin que les représentants puissent être jugés par d’autres représentants», ajoute-t-il.
Abolition des commissions
L’abolition des commissions intégrées est une autre source d’inquiétude pour les conseillers interrogés. «Je préfère la méthode actuelle plutôt que d’être payé à honoraires», déclare un des répondants.
À ce propos, Adrien Legault reste positif : «Je pense que les meilleurs représentants vont être capables de s’en sortir, parce qu’ils sont capables de justifier les dépenses».
Sylvain Théberge, directeur des relations médias et affaires publiques à l’AMF, rappelle que, contrairement aux rumeurs qui circulent dans l’industrie, rien n’était arrêté dès le début. Il affirme que les régulateurs ont pris en compte les remarques des gens de l’industrie, et que celles-ci ont fait «partie de la réflexion à laquelle les régulateurs canadiens se sont livrés».
Rappelons que les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) évaluent, dans la consultation 81-408, l’option d’interdire les commissions intégrées, car elles entraînent un décalage entre les intérêts des clients et ceux de l’industrie financière. Des orientations réglementaires sont prévues en juin.
Trop de paperasse
Les répondants trouvent également qu’ils doivent fournir trop de paperasse, un enjeu qu’ils définissent comme un des plus importants enjeux réglementaires.
«À l’époque, on passait 66 % de notre temps avec le client et 44 % dans les tâches administratives, aujourd’hui c’est le contraire», «trop de papier… Je comprends pourquoi, mais c’est trop», affirment les conseillers interrogés.
Pour répondre à ces commentaires, Sylvain Théberge rappelle que l’AMF a alourdi le fardeau administratif après la crise financière de 2008, pour éviter qu’une autre catastrophe financière ne se produise. Philippe Lebel ajoute que l’augmentation du poids des tâches administratives ne vient pas toujours des régulateurs, mais peut venir de l’institution elle-même : «le régulateur va plus souvent réglementer par principe que par règle très détaillée. Et la règle poursuit le même objectif que les conseillers, celui d’aider le client».
Pour Adrien Legault, il s’agirait de transformer ces tâches en occasions. «Tant qu’à faire une analyse des besoins financiers, faisons-la au complet, peut-être que l’on se posera des questions auxquelles on n’aurait pas pensé.» Il suggère également aux conseillers qui ne sont pas intéressés à vendre d’autres produits de travailler en partenariat avec d’autres professionnels pour que l’analyse complète ait un sens.