Depuis quelques années, la proportion de revenus à honoraires des conseillers en placement est en forte croissance, d’après les sondages du Top des courtiers québécois de Finance et Investissement. En 2016, en moyenne, 71,7 % des revenus bruts des répondants provenaient de rémunérations à honoraires et de commissions de suivi. Cette proportion est passée à 82,5 % en 2018, soit 63,7 % en honoraires et 18,8 % en commission de suivi.
Trois principaux facteurs récents expliquent cette progression. D’abord, bon nombre de courtiers ont ajusté leur grille de rémunération aux conseillers afin de les inciter financièrement à passer aux honoraires. Cette rémunération est à la fois plus transparente pour le client et une source de revenus mieux prévisible pour les courtiers. Ensuite, un nombre croissant de conseillers en placement sont devenus gestionnaires de portefeuille dans le but de gérer davantage d’actif et de manière plus productive, et ont adopté les honoraires pour les comptes à gestion discrétionnaire, selon les dirigeants de cabinets rencontrés. Enfin, les changements en matière de réglementation ont été un catalyseur à l’adoption des honoraires, comme en fait foi notre sondage.
D’ailleurs, beaucoup de répondants ont affirmé que la deuxième phase du Modèle de relation client-conseiller n’avait eu aucun impact ou peu d’impact sur leur pratique, nombreux soulignant qu’ils avaient alors déjà ajusté leur pratique pour être conformes.
Le Top 8 des courtiers québécois de cette année révèle aussi que si les régulateurs abolissaient les commissions intégrées sur les fonds d’investissement, plusieurs conseillers migreraient complètement leur pratique vers les honoraires, dans certains cas, au détriment des comptes de petite taille. Une partie significative des conseillers sondés semble déjà prête à cette éventualité.
La perspective d’une abolition des commissions intégrées sur les fonds d’investissement ne semble pas avoir été un facteur significatif sur l’ajustement du modèle d’affaires ou sur l’adoption de la rémunération à honoraires, estiment les dirigeants de cabinets rencontrés.
D’ailleurs, plus de 80 % des revenus de Valeurs mobilières Desjardins (VMD) proviennent de comptes gérés et de commissions de suivi, confirme Luc Papineau, vice-président, courtage et gestion privée chez VMD. C’est supérieur à la moyenne de l’industrie, car, en septembre dernier, 70 % des revenus des firmes de courtage de plein exercice provenaient de ces deux sources, selon Strategic Insight.
«La réglementation a stimulé l’adoption de la rémunération à honoraires, mais la montée en force des conseillers-gestionnaires et de la gestion discrétionnaire a aussi nourri cette tendance», estime Luc Papineau.
Chez VMD, le nombre de conseillers en placement devenus aussi gestionnaires de portefeuille est passé d’une trentaine à plus de 100 dans un intervalle de quatre à cinq ans.
Les conseillers ont aussi compris et communiqué l’avantage de la transparence du compte à honoraires, dit le vice-président : «Le client ne pourra jamais dire que le conseiller a négocié dans son compte parce qu’il voulait faire sa fin de mois. Le conseiller n’a aucun incitatif à faire ou ne pas faire une transaction, car l’honoraire est le même».
Chez Gestion de patrimoine TD, de 75 à 80 % des revenus sont issus de la rémunération à honoraires, évalue Stéphan Bourbonnais, premier vice- président et directeur régional pour l’Est du Canada. Selon lui, l’environnement réglementaire a accéléré l’adoption des honoraires, tout comme l’évolution du modèle d’affaires des conseillers.
«Ça fait des années qu’on parle à nos gens de la transparence des frais et du fait qu’ils doivent être capables d’exprimer la valeur ajoutée de leur service. La gestion de portefeuille s’est imposée, car elle permet de standardiser le travail et de dégager du temps pour s’asseoir avec le client et analyser sa situation», affirme-t-il. Stéphan Bourbonnais a d’ailleurs vu le nombre de ses gestionnaires de portefeuille doubler au cours des dernières années.
Cependant, le courtier a récemment cessé d’offrir un incitatif financier qui favorise la rémunération à honoraires. Alors que le taux de commission était plus élevé pour les honoraires par rapport aux comptes transactionnels, le courtier a établi, selon la fourchette de revenu brut, le même taux de commission, «peu importe que le conseiller soit transactionnel, à fonds communs de placement ou à honoraires», dit Stéphan Bourbonnais.
«D’un autre côté, on voulait lancer comme message que l’organisation ne veut pas nécessairement se diriger vers les honoraires, mais bel et bien là où le client veut qu’on se dirige. Et on voulait supprimer tout conflit d’intérêts qui aurait pu découler d’une quelconque orientation», explique-t-il.
Pour Charles Martel, directeur exécutif pour le Québec, chez CIBC Wood Gundy, l’élément déclencheur de la conversion au mode de rémunération à honoraires a été «la mise en place de beaucoup de formation pour inciter nos gens à devenir des gestionnaires de portefeuille».
Au Québec, sur 125 conseillers en placement, 58 sont aussi gestionnaires de portefeuille. Quant aux revenus générés sur une base d’honoraires, ils s’élevaient à 55,4 % à la fin de janvier 2018, ce qui représente une croissance de 45 % par rapport à la même période de l’année précédente.
«Nous sommes en mode rattrapage», confirme-t-il néanmoins. Il attribue cette situation au fait que la société a adopté la gestion discrétionnaire plus tard que certains concurrents, «parce qu’on n’avait pas la plateforme technologique adéquate pour aider nos conseillers à lancer cette pratique».
La situation pose d’ailleurs un défi de croissance à la firme en matière technologique. «Il y a cinq ans, il n’y avait pas d’argent sous gestion dans cette plateforme, ou très peu, et du jour au lendemain, on s’est retrouvé avec plusieurs milliards de dollars, alors il faut déjà la revoir.»
Charles Martel souligne que des conseillers et des clients n’opteront jamais pour la rémunération à honoraires et qu’il faut respecter cette décision. Des incitatifs financiers existent dans la grille de rémunération pour encourager les conseillers à adopter le mode de rémunération à honoraires, notamment en compensation différée en actions de la CIBC.
Une révision de la grille de commissions est cependant en cours pour l’année financière 2019. «Le régulateur regarde les modes de rémunération de toutes les firmes de courtage et se demande si les incitatifs sur les honoraires rejoignent les objectifs de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) quant à la protection des clients. On va suivre ces objectifs», confirme Charles Martel.
Chez BMO Nesbitt Burns, le directeur général, premier vice-président, Sylvain Brisebois, constate aussi que le travail du conseiller est maintenant beaucoup plus axé sur la planification que sur les transactions. Pour cette raison, «les conseillers d’expérience ont fait une transition vers ce système de rémunération et ceux qui sont plus récemment entrés dans l’industrie commencent déjà les conversations avec leurs clients de cette manière».
Il évalue que sur 950 représentants, 350 sont des gestionnaires, et estime à 70 % la proportion des revenus découlant de la rémunération à honoraires. «Ce qui a vraiment aidé cette conversation auprès des clients, c’est qu’il s’agit de frais qui sont pour la plupart déductibles d’impôt», dit-il.