Se conformer aux nouvelles exigences de connaissance du produit ainsi qu’aux autres éléments des réformes axées sur le client (RAC) a coûté cher en ressources et en temps aux courtiers. Et malgré tout, certains responsables de la conformité ne sont toujours pas convaincus que leur préparation à l’entrée en vigueur de ces règles soit adéquate.
C’est l’un des constats tirés du sondage en ligne mené auprès de responsables de la conformité pour le Pointage des régulateurs 2022 et d’entretiens menés en marge de cette enquête.
« En 25 ans de carrière, je ne me suis jamais sentie aussi impuissante pour aider nos conseillers et leur fournir des guides concrets », dit Nancy Lachance, chef de la conformité de MICA Cabinets de services financiers. Selon elle, l’Autorité des marchés financiers (AMF) aurait dû fournir à l’industrie de tels guides pour éviter l’ambiguïté par rapport à ses attentes.
Après avoir analysé les documents réglementaires qu’elle juge théoriques, elle comprend que les autorités veuillent qu’un conseiller démontre qu’il connaît les produits qu’il offre et qu’il en fasse le suivi.
« Pour chaque produit que vous vendez, vous devez non seulement démontrer sur papier que vous connaissez les caractéristiques par cœur, mais vous devez gérer et administrer les changements importants et significatifs à venir, comme les changements au ratio des frais de gestion (RFG) ou à l’équipe de gestionnaires de portefeuille. Imaginez le travail pour les conseillers ! », note Nancy Lachance.
Selon elle, la réglementation n’exige pas qu’un conseiller compare les produits entre eux, mais admet qu’elle se trompe peut-être. « On va devoir s’ajuster lors de la prochaine inspection de l’AMF et, à ce moment, ça se peut qu’on demande autre chose des conseillers. Ça m’a rendue très anxieuse », ajoute-t-elle.
Or, Nancy Lachance estime que les obligations de connaître le client ont plus de sens et amèneront les conseillers à structurer leur pratique, par exemple en bâtissant des portefeuilles modèles et en évitant de vendre la saveur du jour.
La chef de la conformité n’est pas la seule à désigner les RAC, dont leurs exigences de connaissance du produit, comme un point douloureux de la dernière année. C’est la conclusion de quelques autres répondants. Ils se plaignent du coût de mise en place d’outils technologiques pour s’y conformer, des coûts de formation ou encore de difficultés de compréhension des attentes de l’AMF.
C’est en octobre 2019 que les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) publiaient pour la première fois les RAC. Elles constituaient le fruit d’importantes consultations menées auparavant, dont la consultation 33-404 d’avril 2016. Les responsables de la conformité ont dû se préparer à l’entrée en vigueur progressive des RAC tout en composant avec les nombreuses contraintes découlant des mesures sanitaires.
En 2020, les services de conformité ont commencé à s’y préparer, mais c’est en 2021 que le choc entre la théorie et la pratique s’est matérialisé et que les outils et procédures ont été implantés. Ceci a accru le volume de questions aux organismes de réglementation.
Un sondé fait cette rétrospective: « Le processus de consultation est adéquat, mais pour les RAC, puisque la majorité des impacts concrets ont été compris avec les Questions et réponses, il était un peu trop tard pour revenir sur les bases du règlement. »
L’AMF réplique que les RAC ont fait l’objet de plusieurs consultations et d’un dialogue proactif avec les membres de l’industrie tout au long du processus, avant et après l’adoption des modifications aux règlements. « Tout changement de cette ampleur aux obligations envers le client prend un certain temps à opérationnaliser, et nous considérons que la foire aux questions, régulièrement mise à jour, constitue un outil efficace pour les personnes inscrites. Nous avons d’ailleurs reçu plusieurs remerciements de l’industrie en remerciements de l’industrie en ce sens », écrit l’AMF.
Le régulateur répond aussi à ceux qui jugent que les RAC sont théoriques:» L’Instruction générale 31-103 fournit des indications concrètes et étoffées sur des sujets importants, et cela est enrichi au fil du temps grâce à la foire aux questions, qui se veut encore plus pratique sur le plan des informations transmises à l’industrie. Nous nous efforçons d’utiliser un langage clair et simple dans nos avis et dans les réponses aux questions posées. »
Il reste que les règles des ACVM offrent aux sociétés inscrites la souplesse nécessaire pour instaurer un processus de connaissance du produit qui soit adapté à leur modèle d’entreprise. Ceci expliquerait l’incertitude concernant les exigences des RAC.
Coûteux outils
Pour se conformer aux RAC, certains courtiers ont conçu ou adopté un outil technologique qui permet aux conseillers de comparer les fonds d’investissement et les valeurs mobilières entre eux.
Par exemple, CI Gestion de patrimoine Assante a opté pour l’outil développé par InvestorCOM, soit le fournisseur qui aidait déjà les conseillers d’Assante à acheminer l’aperçu du fonds au client. « Il a fallu trouver [et implanter] un outil techno qui faisait la job. Ça implique des coûts, plein d’heures de magasinage et de formation avec les conseillers. C’est beaucoup de temps et d’argent », dit Éric Lauzon, vice-président développement des affaires et recrutement de la firme.
Malgré tout, on se demande si on a fait ce qu’il fallait, poursuit-il, « parce que les directives sont quand même un peu larges et [qu’]il y a place à interprétation ». « Les organismes de réglementation ne nous disent pas comment y arriver. Ils nous disent de mettre des outils en place, mais ils ne nous les fournissent pas », complète Lilly Marcotte, directrice de succursale, conformité chez Gestion de patrimoine Assante. Elle ajoute que les conseillers ont en main les outils qu’il faut actuellement pour répondre aux réformes.
L’effet des RAC a été différent selon le modèle d’entreprise et les ressources des courtiers. Par exemple, un répondant dont le courtier n’offre pas de logiciel de relation avec les clients à ses conseillers a jugé que ces réformes ont engendré un fardeau important par rapport à sa taille.
Règles plus prescriptives
Les RAC ont aussi forcé l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) à ajuster ses règles pour s’y arrimer. Résultat, bon nombre de courtiers de plein exercice ont eux aussi créé des outils technos afin de permettre à leurs conseillers de comparer les produits qu’ils offrent.
« Les changements technos sont très coûteux et ce ne sont pas des choses qui se font rapidement », explique Julie Gallagher, présidente du conseil de la Section du Québec de l’OCRCVM, vice-présidente principale et chef de la conformité d’iA Gestion privée de patrimoine. Elle souligne que les RAC font que les règles sont plus prescriptives et plus précises, ce qui est inhabituel, car les règles de l’OCRCVM sont davantage par principes.
Pour aider les conseillers à se conformer, certains ont bonifié leur logiciel de gestion de relation avec les clients ou ont conçu leur propre outil de comparaison de produits.
Lorsque le Règlement 31-103 a été finalisé, aucun fournisseur externe n’offrait une manière de comparer toutes les catégories de produits, note Julie Gallagher: « Plusieurs firmes ont décidé soit de le bâtir à l’interne, soit, avec un fournisseur externe, d’améliorer le système fourni par ce fournisseur pour couvrir toutes les gammes de produits. »
En effet, alors qu’il était plus simple de trouver une base de données comparatives de fonds communs, ça devenait plus compliqué pour les actions, les produits structurés ou les portefeuilles internes dont l’information n’est pas publique. D’où l’idée de personnaliser l’outil avec des données internes. « L’outil KYP que les firmes utilisent souvent va extraire de l’information auprès de plusieurs plateformes, dit-elle. Il n’y a pas que de bâtir à l’interne qui est coûteux, mais aussi les licences avec les fournisseurs de données. »
Par ailleurs, même si les communications entre l’AMF et l’OCRCVM ont été bonnes tout au long de l’implantation des RAC, l’urgence de la date butoir a entraîné certains défis, selon Julie Gallagher: « [Dans les derniers mois de 2021], ça commençait à être plus pressant, ça nous coûtait des sous, on faisait des changements, et on n’avait pas toujours des réponses rapidement. »