Certains jugent que oui et l’ont signifié aux ACVM à l’occasion de cette consultation. «Si les ACVM sont sérieuses et veulent réfléchir à la structure d’encadrement des OAR, elles doivent ouvrir le débat et appeler au décloisonnement. Autrement, ce sera une occasion ratée», lit-on dans le mémoire de Mérici Services Financiers.

Selon ce courtier, le consommateur est mieux servi par des régulateurs qui ne sont pas limités à encadrer les valeurs mobilières, mais peuvent aussi intervenir en assurance, entre autres.

Le cadre multidisciplinaire du Québec, avec notamment la Chambre de la sécurité financière (CSF), devrait servir d’exemple, car il permet entre autres d’exclure un individu déviant de plusieurs disciplines à la fois, juge Mérici:«Cet encadrement multidisciplinaire est une réalité unique au Canada et nous nous désolons qu’elle n’ait pas été mentionnée au document de consultation puisqu’elle reflète une réalité trop souvent oubliée ou méconnue:de nombreux inscrits oeuvrent dans plus d’une discipline à la fois.»

Rappelons que les ACVM veulent améliorer l’encadrement de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) et de l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACFM). Elles visent notamment à ce que ce cadre réduise au minimum les redondances n’apportant aucune valeur et les possibilités d’arbitrage réglementaire. Celui-ci devrait offrir aux investisseurs un accès homogène à des produits et à des services similaires, et laisser place à l’innovation tout en protégeant les investisseurs.

La consultation ne fait que brièvement mention du modèle québécois, excepté pour rappeler que l’ACFM n’est pas reconnue au Québec, et que les sociétés sont réglementées par l’Autorité des marchés financiers (AMF), et les représentants, par la CSF. On y lit aussi que, selon une association du secteur des valeurs mobilières, ce régime distinct ajoute à la complexité du cadre réglementaire, ce qui peut accroître la confusion chez les investisseurs. Selon Mérici, toutes les provinces et tous les territoires devraient entreprendre une action politique et législative afin d’offrir au consommateur «le même degré de protection et d’encadrement, sans égard au produit ou à la certification du professionnel devant lui». Les ACVM s’attaqueraient ainsi au risque d’arbitrage réglementaire entre les valeurs mobilières et certains produits d’assurance (dont les fonds distincts) ou bancaires.

À la défense du modèle québécois

D’autres vantent les forces du régime québécois. «[L’AMF] a fait la démonstration de l’utilité d’avoir un régulateur intégré qui encadre toutes les disciplines touchant aux finances personnelles. Un tel régulateur a une meilleure vision d’ensemble de toutes les sphères d’activité et est ainsi plus en mesure de coordonner ses actions de manière à les rendre plus pertinentes et éviter l’arbitrage réglementaire», écrit le Groupe Cloutier Investissements. Selon cette firme, on devrait envisager d’étendre les responsabilités de la CSF aussi aux courtiers. Le modèle québécois donne d’excellents résultats et toute tentative de bouleverser cet équilibre risquerait d’avoir des conséquences néfastes pour les Québécois, d’après l’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF). Le cadre actuel de l’OCRCVM et de l’ACFM est tiré d’une autre époque. Il favorise les sociétés bancaires et considère les conseillers comme des «employés», écrit-elle:«Dans ce système, les conseillers sont considérés comme des subalternes et ne participent pas de façon démocratique à l’amélioration des pratiques, à la déontologie, à la formation continue, à la prévention et à la reconnaissance de leur professionnalisme, et à l’indépendance du conseil financier.» L’APCSF s’oppose à une fusion OCRCVM-ACFM notamment en faisant circuler une pétition à ce sujet: «Nous redoutons [que cette fusion] favorisera les plus grands joueurs qui sont tous membres de l’OCRCVM et forcera les conseillers en épargne collective du Québec à se retrouver supervisés par l’OCRCVM 2.0 plutôt que par notre organisme professionnel québécois: la CSF.»

Une telle éventualité créerait certes des économies, selon une étude d’impact menée par Deloitte (voir le texte «Vers une fusion des OAR ?»), mais aurait des conséquences négatives pour d’autres, selon le Groupe Cloutier.

Cette firme est membre de l’ACFM pour ses activités extérieures au Québec et craint de devoir consacrer des efforts financiers à se familiariser avec les règles de l’OCRCVM, la privant de ressources pour se développer.

«Au même moment, les grands groupes financiers intégrés réduiront leurs coûts d’opération et augmenteront leur profitabilité en profitant d’un OAR unique. Les économies des uns se feront carrément au détriment des autres et ceci nous apparaît totalement inacceptable», note le Groupe Cloutier. D’autres soulignent ce risque de déséquilibre concurrentiel, dont l’APCSF: «En forçant l’établissement de nouvelles règles sur le territoire québécois dont les répercussions risquent de nuire à la survie des courtiers de petite taille, les OAR canadiens et les ACVM vont favoriser la mainmise des grands groupes financiers sur le secteur des valeurs mobilières, laissant le marché devenir de plus en plus concentré.»

Les OAR canadiens devraient, d’après Mérici, permettre aux organisations de mettre en place des passerelles informatiques afin d’alléger les coûts des technologies de l’information et la complexité des systèmes tout comme un meilleur arrimage des exigences des différents OAR «plutôt que par une refonte structurelle profonde qui déstabiliserait beaucoup d’inscrits pour satisfaire les gros joueurs oeuvrant dans plus d’une catégorie d’inscription».

Selon l’OCRCVM, advenant une fusion OCRCVM-ACFM, les courtiers en épargne collective autorisés par l’AMF et qui exercent des activités à l’extérieur du Québec continueraient de relever de la CSF et de l’AMF en ce qui concerne leurs activités au Québec. Quant à leurs activités à l’extérieur du Québec, elles relèveraient du nouvel OAR fusionné.

«Les décisions à propos du Québec incombent aux autorités du Québec, et cette question n’est pas visée par la consultation», écrit l’OCRCVM.

Quoi qu’il en soit, une consolidation de l’OCRCVM et de l’ACFM nuirait au Québec et menace l’autonomie professionnelle de ses représentants, selon le Groupe Financier Multi Courtage, Planifax et un groupe de représentants qui ont envoyé un mémoire commun: «Au terme de l’exercice annoncé, l’OAR fusionné sera contrôlé à Toronto. Ensuite, après avoir obtenu des délégations de pouvoirs de toutes les autres provinces, le Règlement 31-103 lui permettra de facto d’occuper le rôle de régulateur national en valeurs mobilières.»

«Comme des milliers de mes collègues professionnels, je crois qu’il faut bloquer toute tentative unilatérale de bouleverser notre environnement professionnel et éviter par la même occasion une perte d’influence réglementaire substantielle pour le Québec, son OAR en épargne collective, son industrie financière et son public», lit-on.

Dans les mémoires remis aux ACVM, peu traitent des questions du Québec. Or, dans ceux qui le font, certains n’adhèrent pas aux visions précédentes. Le Mouvement Desjardins est favorable à la consolidation de l’OCRCVM avec l’ACFM, notamment pour les assujettis québécois faisant affaire dans l’ensemble du Canada.

Or, le groupe coopératif note que le modèle québécois «empêche la réalisation des objectifs relatifs à la simplification réglementaire». «La remise en question de l’encadrement québécois suscite des débats, mais il aurait été important pour les ACVM d’aborder directement cet aspect pour se permettre de faire une analyse complète de la situation, écrit Desjardins. Si toutefois les ACVM allaient de l’avant, un OAR consolidé devrait inclure un bureau fort au Québec pouvant garantir une expertise en français, conjugué à une représentativité significative sur son conseil d’administration et dans le processus décisionnel de celui-ci.»

Raymonde Crête et Cinthia Duclos, toutes deux avocates, professeures et codirectrices du Groupe de recherche en droit des services financiers (GRDSF) de l’Université Laval, prônent aussi la création, telle que proposée par l’ACFM, d’un nouvel OAR qui encadrerait un éventail plus large d’intermédiaires et la mise en place d’une réglementation commune.

Si l’AMF refusait de reconnaître le nouvel OAR, les courtiers en épargne collective menant des activités au Québec et ailleurs au Canada continueraient d’être encadrés par quatre organismes, soit l’AMF, le Tribunal administratif des marchés financiers, la CSF et le nouvel OAR pancanadien, soulignent-elles, ce qui perpétuerait «les problèmes liés à la multiplicité des autorités d’encadrement».

Si l’AMF reconnaissait le nouvel OAR, le projet de réforme pourrait maintenir les avantages de la régulation de proximité en intégrant, au sein de celui-ci, des structures sectorielles établies dans chacune des provinces, d’après le GRDSF. «Une piste de solution alternative consisterait à élargir les pouvoirs de la CSF afin de reconnaître celle-ci comme OAR à l’égard des trois groupes d’acteurs en épargne collective, soit les courtiers, leurs dirigeants et leurs représentants exerçant leurs activités au Québec», selon le GRDSF.

Or, cette solution perpétuerait le dédoublement de l’encadrement à l’égard des courtiers et des représentants qui exercent leurs activités au Québec et ailleurs au Canada. La CSF n’a pas déposé de mémoire dans le cadre de cette consultation.