C’est ce que révèlent les sondages menés dans le cadre du Pointage des courtiers québécois et du Pointage des courtiers multidisciplinaires de 2022.
En tout, 61 % des conseillers liés à un courtier multidisciplinaire ont dit l’avoir fait, comparativement à 53 % l’année précédente. Chez les conseillers en placement, ce sont 49 % qui en ont un, par rapport à 48 % l’an dernier.
Ces hausses sont encourageantes, mais un spécialiste de l’industrie doute qu’elles reflètent la réalité.
En général, ceux qui ont un plan de relève l’ont fait dans une optique de continuité des affaires, en cas de décès ou d’invalidité. Certains le jugent nécessaire, notamment pour conserver la valeur de leur bloc d’affaires ou éviter qu’un conseiller inexpérimenté ne s’occupe de leurs clients. Un groupe de répondants ont déjà désigné le repreneur de leur bloc d’affaires, qui est parfois leur fils ou leur fille.
Ceux qui n’ont pas de plan de succession s’estiment souvent trop jeunes, se qualifiant parfois eux-mêmes d’issus de «la relève». Certains croient que l’élaboration d’un tel plan est de la responsabilité de leur courtier. D’autres n’en ont pas fait parce qu’ils sont en train de succéder à un de leur pair. Quelques-uns prévoyaient en faire un en 2022, à la demande de leur courtier. D’autres savent qu’ils doivent agir, mais procrastinent.
Les sondages présentent certaines positions disparates. Bon nombre de conseillers de plus de 60 ans affirment ne pas avoir de plan de relève, alors que d’autres dans la trentaine ou moins en ont établi un. Par exemple, un conseiller de 61 ans dit ne pas avoir de plan parce qu’il ne dispose «pas de soutien relève». Un autre, de 63 ans, lance:«Je suis loin de la retraite !»
Comme un testament
«Ça ressemble à la situation des gens qui n’ont pas de testament, affirme Robert Ruffolo, vice-président, développement des affaires du Groupe financier PEAK. Seulement 40 % des Canadiens ont fait un testament, semble-t-il. C’est la situation de plusieurs conseillers, même à 60 ans. Ils me disent: “Je sais que je dois avoir une succession, mais je vais y voir à 65 ans”.»
Certes, selon Robert Ruffolo, des raisons bien concrètes, autres que la simple paresse, expliquent le taux relativement faible des plans de succession. «Le processus n’est pas facile, reconnaît-il:il faut trouver quelqu’un qui partage une même approche avec les clients, qui possède une même vision des marchés. Il faut négocier tous les détails de la vente d’un book. C’est plus facile de penser qu’on va tout voir ça dans cinq ans.»
Le cadre réglementaire contribue également à cet état de fait. «C’est gris de ce côté», juge Louis H. DeConinck, président d’Investia Services financiers. En effet, d’une part, comme l’indique ce dernier, les conseillers sont indépendants. «Nous faisons affaire avec des entrepreneurs qui gèrent leur propre business, contrairement à un employé dans une banque. Ultimement, c’est leur business», fait-il ressortir.
Par contre, la responsabilité de la continuité des affaires repose entièrement sur la firme de courtage. «Au bout du compte, c’est Investia qui est responsable de la continuité, souligne Louis H. DeConinck. Si un conseiller se fait frapper par un autobus, c’est Investia qui doit assurer le suivi auprès de ses clients.»
La Chambre de la sécurité financière le confirme. «Le représentant n’a pas la responsabilité d’assurer sa relève, affirme Geneviève Fontaine, directrice des communications de l’organisme d’autoréglementation. En épargne collective, le contrat est avec le courtier; c’est celui-ci qui doit assurer la continuité. En assurance, c’est l’assureur qui doit s’occuper de la continuité dans le cas d’un conseiller exclusif. Pour un conseiller indépendant, c’est chaque assureur qui doit le faire.»
Un autre obstacle, lié à la réglementation, tient à la disparition des modèles de commission permettant à un conseiller débutant de se constituer rapidement un revenu, signale Gino-Sébastian Savard, président de MICA Cabinets de services financiers. L’abolition possible de la rétrofacturation pour les fonds distincts en est la plus récente manifestation. Comme certaines formes de commissionnement sont en train de disparaître, «ça va rendre plus difficile la relève; ça va être très difficile pour un jeune de débuter en carrière», dit-il.
Toutes les raisons énumérées plus haut expliquent un taux de 61 % de plans de succession. En fait, commente Louis H. DeConinck, «j’aurais tendance à penser qu’à 60 % ou 65 %, c’est une bonne proportion».
Robert Ruffolo le voit d’un autre oeil et lance un pavé dans la mare: «Je serais d’avis que la proportion, en réalité, est plutôt de 25 %. Il y a plusieurs façons d’avoir un plan de relève. Certains y pensent, d’autres en parlent, mais de tels plans sont seulement verbaux; ils ne sont pas officiels. Des plans comprenant une entente ferme de travailler ensemble avec les clients et avec un contrat signé, je serais très étonné que ça s’élève à 61 %.»
Les propos de Robert Ruffolo servent peut-être à expliquer les grandes différences de résultats au sondage d’une firme à l’autre. Par exemple, chez IG Gestion de patrimoine, la proportion de conseillers dotés d’un plan s’élève à 33 % des participants au sondage; au Groupe financier PEAK, elle atteint 68,8 %. Cependant, aucune firme n’affiche un pourcentage plus élevé que celui d’Investia, où les détenteurs de plans se chiffrent à 84 %.
Louis H. DeConinck détaille de nombreuses mesures que met de l’avant sa firme pour encourager les conseillers à préparer leur relève. «À toute nouvelle recrue, on demande:“As-tu un plan de relève ? As-tu un plan d’assurance invalidité ?” Chaque année, le représentant est soumis à un questionnaire de revue des activités professionnelles et il doit se “déshabiller” et faire savoir s’il a un plan de relève. Chaque année, également, on rencontre nos représentants et on traite des questions de relève et d’achat et vente de listes de clients.»
La réalité du terrain favorise aussi, sinon la création de plans de relève, au moins la continuité des services. «Nos conseillers travaillent à l’intérieur d’équipes, très peu sont isolés, signale Louis H. DeConinck. Qu’il s’agisse d’adjoints ou de juniors, l’équipe peut prendre la relève. De plus, on a une succursale dont les employés sont spécialement affectés au soutien des clients qui n’ont plus de conseiller et qui travaillent à leur en trouver un.»
Avec le vieillissement de la population, poursuit le gestionnaire, «on doit devenir la référence de l’industrie en fait de relève et de succession. Il y a un marché important pour ça et on peut faire valoir qu’on finance jusqu’à 100 % d’un bloc de clients, qu’on a des conseillers partout. C’est avec ça qu’on peut améliorer notre taux de 61 %.»
Comme soutien à la relève, PEAK a mis en place il y a environ deux ans un programme d’aide à l’achat/vente de clientèle. «Ça donne une façon systématique de trouver une relève», note Robert Ruffolo. D’autres initiatives dans la même veine proposent un «service de rencontre»entre acheteurs et vendeurs potentiels «puisque nous savons qui ils sont», une aide d’évaluation de blocs d’affaires, des gabarits de contrats d’achat/vente et des ententes de confidentialité.