C’est encore plus le cas quand on en vient aux transferts de comptes clients entre firmes de courtage de fonds communs. Les choses peuvent traîner pendant 20, 30 jours, « on a même vu des délais s’étendre sur deux mois », remarque Yvan Morin, vice-président affaires juridiques chez MICA Cabinets de services financiers.
Voilà longtemps que le sujet des délais dans le transfert de comptes d’un courtier à un autre traîne dans l’air, rappelait Mark Salvarinas, gestionnaire de programmes chez WFG Valeurs mobilières, lors d’un événement organisé le 11 mai par l’Institut des fonds d’investissement du Canada. «Le sujet a commencé à gagner en intérêt en 2017 », précisait-il. Selon lui, certaines firmes affichaient systématiquement des délais de 15 à 30 jours, parfois de plus de 30 jours, ce qui frustrait les clients et les conseillers, et nuisait à la réputation de l’industrie.
En juin dernier, l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACFM) a fait connaître les commentaires de ses membres au sujet d’une consultation lancée un an auparavant sur le thème des délais de transfert.
Plonger dans le fatras
Ces commentaires laissent entrevoir, dans certains cas, un fatras de formulaires et des procédures très approximatives, différents d’un courtier à l’autre, le tout saupoudré des ingrédients universels que sont la mauvaise foi et la mauvaise volonté. Voici plus en détail les points qui ont émergé de la consultation.
Procédures manuelles. Bon nombre de participants à la consultation déplorent un processus de transfert dominé par des procédés manuels. C’est la principale cause des retards de transfert, juge-t-on. Ces procédés sont farcis de formulaires en papier qu’on s’expédie par la poste ou par télécopieur et qui peuvent se perdre ou ne pas être reçus à temps.
Documents défaillants. La plaie de cette paperasse tient aux documents dits NIGO {Not In Good Order, soit qui ne sont pas en règle), ce qui représente 45% des opérations, selon un répondant. Les documents défaillants sont alors rejetés et cela occasionne évidemment plus de paperasse. Certains participants ont fait remarquer que ces cas NIGO peuvent exiger l’échange de documents papier et peut-être de documents supplémentaires, comme des lettres d’instructions et des procurations.
Ces rebondissements sont évidemment exacerbés par « l’absence d’uniformité entre les divers formulaires de transfert » d’une firme à l’autre, peut-on lire dans le compte rendu de l’ACFM. « Cette situation provoque des erreurs dans la façon dont les membres cessionnaires remplissent les formulaires et le grand nombre de refus par les institutions cédantes. »
Ainsi, il survient souvent que des demandes de transfert soient refusées pour toutes sortes de motifs: formulaires illisibles, incomplets ou manquants, type de régime erroné, renseignements insuffisants relatifs au transfert partiel ou total, exigence d’une signature manuscrite au lieu d’une signature par télécopie ou électronique, exigence imposée au client de signer en personne le formulaire de demande de transfert.
Les choses ne s’arrêtent pas là, poursuit l’ACFM : «Pour traiter ces demandes de transfert refusées, les représentants doivent faire de nombreux appels téléphoniques ou envoyer des demandes de transfert par télécopieur ou par la poste à plusieurs reprises, sans recevoir de réponse.»
Différents régimes, différents procédés. La plupart des répondants relèvent que les délais de transfert sont sensiblement plus longs et plus compliqués pour les régimes immobilisés, les régimes enregistrés d’épargne-invalidité (REEI) et les régimes enregistrés d’épargne-études (REEE). Certains intervenants font état de délais de deux à six mois pour les régimes immobilisés, et d’un à trois mois pour les régimes de retraite.
Électronique tronquée. Là où les formulaires de transfert électronique sont acceptés – essentiellement pour les signatures électroniques -, les incohérences abondent. Là où elles sont reconnues, il faut les accompagner d’une garantie. Un répondant a relevé, au sein d’une même institution, des divergences dans l’acceptation des signatures électroniques.
Tactiques de rétention. Ce fatras paperassier est propice aux manœuvres de mauvaise foi pour conserver des comptes de clients, croient des intervenants. Certains se plaignent que des courtiers exigent de rencontrer le client avant que celui-ci ne quitte la firme, refusent les transferts de parts de fonds en nature, ou rejettent à répétition les documents soumis en prétextant qu’ils sont incomplets ou défaillants. Comme l’explique Yvan Morin, pendant que d’un côté on fait tramer les procédures, de l’autre « on gagne du temps pour contacter le client et tenter de le convaincre de ne pas transférer son compte ».
Plonger dans l’électronique
Au chapitre des solutions, le document de l’ACFM met de l’avant essentiellement trois mesures.
La première est que l’ACFM fixe des délais précis qui pourraient varier un peu selon les types de produits, mais qui seraient autant que possible uniformes. Mark Salvarinas note que le délai raisonnable le plus souvent proposé est de 10 jours. L’ACFM ne se prononce pas sur un délai précis, mais envisage d’« imposer des délais de transfert».
La deuxième mesure est qu’un système électronique unique, avec procédures standardisées et automatisées, soit déployé, sur le modèle du réseau ATON qu’on retrouve chez les membres de l’Organisme de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM). « C’est un système dont on parle du côté de l’ACFM, soutient Radek Loudin, chef de la conformité, distribution, au Mouvement Desjardins, dont Desjardins Cabinet de services financiers. Mais ça pourrait être aussi un outil transactionnel comme celui de Fundserv, qui faciliterait les transferts. »
L’ACFM fait ressortir que Fundserv a déjà mis en place des mécanismes dans ce sens (transfert de paiements en espèces, passation d’ordres, échange sécurisé de documents). D’autres projets à long terme conduiront à l’automatisation des transferts manuels et à la suppression étendue de documents papier. Ici aussi, l’ACFM envisage d’« imposer un processus automatisé de transfert de compte à tous les membres ».
La troisième mesure est que, comme le proposent les répondants, l’ACFM et les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) « coordonnent une réponse réglementaire aux initiatives sans papier ».
Au Québec, l’organisme de réglementation concerné est évidemment l’Autorité des marchés financiers (AMF). Nous lui avons demandé si elle compte agir à la suite du travail entrepris par l’ACFM. Elle répond en faisant d’abord cette mise en garde : « L’ACFM n’est pas un OAR reconnu au Québec. »
L’AMF poursuit: « L’Autorité suit attentivement la consultation menée par l’ACFM. » Elle note qu’il est attendu, par principe, que «la personne inscrite à titre de courtier, de conseiller ou de représentant est tenue d’agir de bonne foi et avec honnêteté, équité et loyauté dans ses relations avec ses clients ».
Cela suscite plusieurs questions pratiques, dont la suivante: un délai de transfert honnête et loyal doit-il être de 10, de 30 ou de 60 jours?