Où sera la voix des représentants à l'AMF?
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Certains conseillers francophones qui travaillent au sein de firmes dont le siège social est établi à l’extérieur du ­Québec grincent des dents. On se plaint du soutien informatique et de celui en provenance d’experts, qui sont parfois offerts uniquement en anglais. On mentionne le fait que des outils et des formations ne sont pas traduits. On regrette que la langue de travail soit trop souvent l’anglais. On déplore également que la qualité du français laisse à désirer dans certaines communications destinées à des clients francophones, d’après une minorité de répondants au Pointage des courtiers québécois et au ­Pointage des courtiers multidisciplinaires 2023 de Finance et Investissement.

Ces frustrations sont à ce point irritantes que certains jugent que les francophones devraient faire partie d’un groupe minoritaire et que les considérations à leur endroit devraient figurer aux politiques de leur courtier en matière de diversité, d’équité et d’inclusion (DEI), selon quelques répondants.

Ces plaintes liées au français ne sont pas nouvelles. Par le passé, à l’occasion du sondage mené pour ces deux études, des répondants déploraient les mêmes problèmes de manque de soutien dans la langue de ­Molière et la piètre qualité de la traduction de certains documents ou l’absence de celle-ci. De plus, on retrouvait de rares cas où un conseiller anglophone déplorait le ­non-bilinguisme d’une firme établie au ­Québec.

Or, en 2023, davantage de répondants ont soulevé spontanément une lacune liée au français au sein de leur firme. Dans tous les cas, ­ceux-ci formaient un groupe minoritaire parmi les sondés d’une firme donnée, soit de 2 % à 32 % d’entre eux, selon le cas. Ce ne sont pas toutes les firmes ayant leur siège social à l’extérieur du ­Québec qui voient des répondants dénoncer des lacunes sur le plan du français. De plus, on retrouve plus d’insatisfaits à cet égard parmi les conseillers liés à des courtiers de plein exercice que parmi les conseillers liés aux courtiers multidisciplinaires.

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Notons que ­Finance et ­Investissement n’interroge pas ses répondants à proprement dit sur la qualité des services reçus en français de leur courtier. Les conseillers sondés ont donc spontanément ciblé ces enjeux soit à travers les commentaires portant sur d’autres critères d’évaluation, comme ceux en matière de technologies ou de soutien, soit en nommant les aspects que leur firme devrait améliorer.

« ­Il est très difficile d’avoir de l’assistance, tout est en anglais et peu pratique », dit un conseiller à propos du soutien informatique reçu de sa firme. « L’intranet et certaines applications sont uniquement en anglais. Les personnes au soutien sont souvent anglophones et on doit aller vers l’anglais », dit un autre répondant. « ­Il est déplorable d’avoir à communiquer en anglais pour obtenir un retour de courriel dans des délais raisonnables », ajoute un troisième à propos de son système d’­arrière-guichet (back office).

« ­Ma clientèle est francophone. Je ne suis pas capable d’écrire les noms de mes clients correctement, car il n’y a pas d’accent sur mon clavier », soutient un autre.

Certains jugent que les formations aux représentants ou les outils de développement des affaires devraient être offerts en français ou complètement traduits, ce qui n’est pas toujours le cas.

Certains critiquent la qualité du français dans les communications. À l’égard de certains relevés envoyés à des clients, des répondants disent ceci : « ­Le français qu’on utilise doit être grandement amélioré. » « ­On envoie des lettres en anglais, alors qu’elles devraient être en français », regrette un autre. « ­La documentation doit être dans un bon français », souligne un autre.

Selon des répondants, un courtier ne traduit pas certains documents qui les aideraient à mieux servir leurs clients en français, par exemple un résumé du budget d’un gouvernement.

Pas étonnant que certains répondants se désignent comme un groupe minoritaire et expriment même parfois un malaise à l’égard des politiques en matière de ­DEI de leurs firmes.

« ­Les ­Québécois, on se sent en minorité », écrit un conseiller. « ­La diversité a beaucoup de place, sauf pour les francophones, qui ne sont pas considérés comme étant une minorité », ajoute un deuxième. « ­On finit par se demander si les francophones sont en minorité », dit un troisième.

« À part pour les questions en lien avec le fait de servir une clientèle francophone de façon appropriée, la firme est très ouverte à la diversité et à l’inclusion », observe un quatrième.

Un représentant d’Assante soulève, à propos du soutien fourni par la firme à ses conseillers, que « 95 % est en anglais, ce qui n’est pas l’idéal » . Ce commentaire étonne Éric ­Lauzon, ­vice-président, développement des affaires à ­CI ­Gestion de patrimoine ­Assante. « C’est un peu exagéré. ­Est-ce qu’il se peut que ce conseiller ait eu de la difficulté à avoir une formation précise en français au moment où il le désirait ? C’est possible », ­dit-il. Il ajoute qu’il y a une quinzaine d’années, environ 20 % du soutien aux conseillers d’Assante, dont le siège social se trouve à Toronto, était en français comparativement à 90 % aujourd’hui.

La ­Charte de la langue française « prévoit que les entreprises assujetties à la démarche de francisation, y compris celles de compétence fédérale, doivent démontrer que le français est la langue utilisée dans leurs activités, notamment dans les communications à leur personnel, dans les documents et les outils de travail utilisés et dans les technologies de l’information. Une fois certifiée, une entreprise doit remettre tous les trois ans un rapport de suivi de sa situation linguistique à l’Office québécois de la langue française (OQLF) », indique ­Chantal ­Bouchard, porte-parole de l’OQLF.

Consolidation de l’industrie

Le fait que cinq des six grandes banques servant le marché québécois soient établies à ­Toronto a une incidence sur l’utilisation du français dans l’industrie, estime le consultant en gestion de patrimoine ­Jean ­Morissette. « ­Les principales plateformes technologiques utilisées par les conseillers sont en anglais. Elles sont mal adaptées aux particularités de la langue française, telles que l’accentuation », ­dit-il.

Les outils informatiques se sont adaptés du côté des grandes plateformes, ­poursuit-il. Le problème vient plutôt des plateformes plus marginales et des systèmes hérités dans les firmes plus petites, qui n’ont pas les moyens de suivre la parade. Par ailleurs, il y a parfois des délais importants pour obtenir de la formation sur certains outils en français, rapporte le consultant.

Une autre critique porte sur le fait que le service de soutien aux conseillers n’est pas toujours disponible en français pour le système d’intégration des clients et que les mots qui devraient avoir des accents ne les ont pas. Stéphan ­Bourbonnais, ­vice-président exécutif d’iA ­Gestion de
patrimoine
, est au courant du problème. « C’est une erreur. À la quantité d’argent levée au ­Québec, il faut absolument offrir une expérience en français parfaite avec nos outils pour soutenir nos conseillers en placement. Ce sont des choses qu’on suit », ­précise-t-il.

L’enjeu du français ne concerne pas seulement les technologies. D’autres particularités touchant la clientèle francophone, comme la fiscalité propre au ­Québec ou encore les fonds de travailleurs, sont également peu prises en compte par les plateformes, signale ­Jean ­Morissette. Les ressources professionnelles au niveau général sont aussi moins accessibles en français dans certaines institutions financières, ­souligne-t-il, notamment les services fiscaux et légaux, qui sont souvent situés à Toronto.

Le phénomène de consolidation de l’industrie a eu un effet certain sur les services en français pour les conseillers, ajoute l’expert. Au cours des dernières années, plusieurs cabinets francophones ont été acquis par des organisations canadiennes qui fonctionnent uniquement en anglais. Cette réalité est encore plus marquée pour les cabinets en région, qui servent une clientèle majoritairement francophone, mentionne-t-il.

La langue fait partie intégrante de la diversité, considère Sema ­Burney, spécialiste en ­DEI et président de ­Burney Conseil.

« ­La diversité ne se limite pas aux femmes ou aux groupes racisés. Elle inclut tous les éléments pour lesquels on est unique. La langue est donc un aspect important de la diversité, en particulier au ­Canada, où deux langues officielles cohabitent », signale la consultante.

Cela peut conduire certains employés francophones à se trouver dans un contexte où leur langue est minimisée. « Ce sont souvent les francophones qui ne se sentent pas inclus, parce qu’ils ne peuvent pas avoir accès à une formation ou à des documents en français. Ce sont toujours eux qui doivent changer de langue. Or, ce n’est pas facile de parler dans une langue qui n’est pas sa langue maternelle. C’est toujours un obstacle de plus, même quand on est bilingue. »

Les firmes qui font la sourde oreille à cet enjeu risquent de « perdre leurs bons éléments », dit ­Jean ­Morissette. Un luxe qu’elles peuvent difficilement se permettre alors que la guerre des talents fait rage dans l’industrie. Les organisations qui voient dans le marché québécois un potentiel important apportent plus d’attention pour fournir du soutien en français aux conseillers, ­constate-t-il, tandis que chez celles pour lesquelles la clientèle francophone est marginale, les efforts sont réduits.

Engagement et fidélisation

Le fait de reconnaître l’importance du français a une influence sur l’engagement et la fidélisation des conseillers francophones. « ­Quand on a des initiatives pour inclure les employés francophones, ils se sentent mieux », dit ­Sema ­Burney. Le fait de s’assurer que toute la documentation soit traduite en français et de fournir de la formation dans cette langue engendre certes des coûts supplémentaires pour l’entreprise, mais l’investissement en vaut la chandelle, soutient la spécialiste. « ­Les organisations veulent que les employés se sentent respectés et soient partie prenante d’un groupe. C’est ce qui fait qu’ils vont être plus performants et mobilisés au travail. Dans le cas contraire, ils vont aller là où ils se sentent valorisés. »

Bon nombre de firmes sont au fait de cette réalité. Le siège social d’Assante s’est ajusté au marché québécois, dit Éric ­Lauzon. Le courtier recrute de plus en plus de conseillers dont la première langue est le français, notamment à son bureau de ­Dorval, le plus important dans la province. Il intègre actuellement un important groupe de conseillers francophones en provenance d’une autre firme dans la ville de ­Québec. « ­La situation est vraiment meilleure que ce qu’elle a été. Mais pourrait-elle être encore meilleure ? ­Oui », ­avoue-t-il.

Rowena ­Chan, présidente, ­Distribution ­Financière ­Sun Life (Canada) et ­vice-présidente principale, ­Conseils et solutions de l’Individuelle, assure que la francisation est une priorité pour l’organisation. La dirigeante indique que la société a fait « beaucoup de progrès dans ce dossier au cours des dernières années ». Elle mentionne notamment l’adoption d’un plan stratégique de francisation et la création d’un comité pour surveiller son application.

La ­TD précise pour sa part qu’elle détient son certificat de francisation auprès de l’Office québécois de la langue française depuis 1988 et qu’elle met un point d’honneur à offrir des services en français à ses clients et à ses quelque 5 000 employés au ­Québec. « ­Chez nous, un employé francophone a autant de possibilités de réussir qu’un employé anglophone. De plus, nos communications avec nos clients francophones sont faites en français. Si une erreur se produit, nous la corrigeons au plus vite », dit Caroline ­Phémius, directrice des affaires publiques, Groupe Banque ­TD, dans un courriel. « ­TD respecte scrupuleusement la loi 96 » et a mis en place plusieurs comités de francisation, dont un créé spécifiquement pour la division ­Gestion de patrimoine. Lire le portrait de Suzanne Tremblay.

D’autres obligations liées au français

  • Les communications adressées au personnel doivent être au moins en français. Cela concerne notamment les offres d’emploi ou de promotion, les contrats de travail, les documents ayant trait aux conditions de travail ainsi que les documents de travail et de formation.
  • Les entreprises qui emploient 100 personnes ou plus doivent se doter d’un comité de francisation. Ce comité se réunit au moins une fois tous les six mois afin de faire le point sur la situation linguistique de l’entreprise.
  • L’Office québécois de la langue française (OQLF) soutient par ailleurs ces comités de francisation afin qu’ils puissent mettre en œuvre des mesures lorsque des membres du personnel portent à leur attention une situation problématique.
  • Depuis le 1er juin 2023, une version en français des contrats d’adhésion, comme les polices d’assurance, doit être remise en tout temps, avant toute forme de prise d’entente entre des parties. C’est seulement après avoir reçu une copie du contrat en français que les parties pourront exprimer leur volonté expresse d’être liées par un contrat dans une autre langue.
  • Toute personne estimant que ses droits linguistiques ne sont pas respectés peut déposer une plainte à l’OQLF.

Source : Office québécois de la langue française