Le passage au modèle de rémunération à honoraires, où un représentant en épargne collective facture une somme directement à son client en fonction de l’actif qu’il administre pour lui, est appelé à s’accentuer. Certains conseillers l’appliquent déjà à une partie de leur clientèle, mais il n’est pas évident de l’étendre à tous.
« L’adoption du modèle à honoraires est en développement rapide depuis deux ans chez nous et la croissance de notre plateforme de gestion autogérée s’accélère », affirme Jacen Campbell, vice-président, investissement et retraite, chez Groupe Cloutier Investissements.
Même son de cloche du côté de MICA Cabinets de services financiers : « Seulement 25 % des comptes chez nous sont autogérés, mais c’est en nette augmentation », affirme Gino-Sébastian Savard, président de la firme.
En 2021, 51 % des représentants en épargne collective ne facturaient pas d’honoraires à leurs clients, selon le Pointage des courtiers multidisciplinaires 2021. Parmi ceux qui le faisaient, les honoraires représentaient en moyenne 35 % de leurs revenus bruts (production). Et 44 % des représentants qui touchaient des honoraires recevaient moins de 20 % de leurs revenus bruts sous cette forme.
Étendre les comptes autogérés
Gino-Sébastian Savard fait ressortir que seuls les comptes autogérés (nominee accounts), aussi parfois désignés par le nom de comptes de type prête-nom ou de propriétaire apparent, permettent de facturer des honoraires. Ce n’est pas le cas pour les comptes au nom du client. C’est pourquoi bon nombre de courtiers en épargne collective ont introduit des plateformes de gestion autogérée au cours des dernières années. Les comptes autogérés, souligne Gino-Sébastian Savard, offrent une série d’avantages en plus de permettre la rémunération à honoraires : comptes unifiés facilitant le rééquilibrage de portefeuilles centralisé, etc.
« C’est pour toutes ces raisons que les firmes encouragent les comptes autogérés. Ils sont plus simples pour le représentant et pour nous, explique-t-il. Par contre, ils imposent des frais. Chez MICA, ils sont de 100 $ par année pour le premier compte, et de 40 $ pour les suivants. »
Une autre nuance importante prévaut quant à la rémunération à honoraires : tant Gino-Sébastian Savard que Jacen Campbell la recommandent pour les comptes non enregistrés, mais pas pour les comptes enregistrés. Dans un compte non enregistré, certains honoraires du conseiller peuvent faire l’objet de déductions fiscales – des nuances et exceptions s’appliquent –, ce qui n’est pas le cas pour les comptes enregistrés.
Un autre élément, que fait ressortir Gino-Sébastian Savard, contribuera à accélérer le passage aux honoraires: « Depuis janvier, certaines firmes vont facturer des frais aux clients qui ne sont pas en mode autogéré. Ils renversent la formule classique d’imposer des frais pour l’autogestion de façon à forcer les clients vers l’autogéré. Chez MICA, on n’entend pas procéder ainsi. »
Le modèle à honoraires a même fait son apparition chez les assureurs, signale Jacques-André Marcoux, conseiller chez Groupe Cloutier Investissements. « iA Groupe financier, Manuvie, RBC Assurances, tous les plus gros au Québec l’offrent maintenant, dit-il. Parfois, j’ai recours à des séries à honoraires chez eux. »
Pression concurrentielle
Au départ, rappelle Jacen Campbell, ce sont les régulateurs qui ont donné le coup d’envoi aux honoraires, « surtout à cause du potentiel de conflits d’intérêts et du manque de transparence que portait le modèle à commissions de départ avec frais différés », dit-il. À présent, la pression provient du milieu des conseillers eux-mêmes.
Elle tient au « syndrome du beau-père », comme l’appelle Jacques-André Marcoux. Ainsi, le conseiller reçoit un appel d’un client qui s’est fait dire par son beau-père qu’il était bien « niaiseux » d’en rester aux commissions et de ne pas passer aux honoraires.
« Pour les plus gros comptes de 250 000 $ et plus, les conseillers mettent leur pratique à risque s’ils ne sont pas à honoraires, surtout pour les comptes non enregistrés, soutient Jacques-André Marcoux. Les gens qui ont beaucoup d’argent sont très sollicités. Si j’entre dans une maison où un individu détient un compte non enregistré important avec des fonds de série A ou B plutôt que de série F, à la sortie, c’est certain que j’ai acquis le compte. »
C’est ainsi que le passage aux comptes à honoraires est pratiqué essentiellement chez les conseillers qui développent encore leur clientèle, non chez les vétérans dont la clientèle est acquise. Gino-Sébastian Savard, par exemple, n’entretient encore que des comptes à commissions de suivi auprès de ses clients. Par contre, reconnaît-il, « si je travaillais à développer de nouveaux comptes avec de nouveaux clients, c’est là que je sentirais la pression pour passer aux honoraires ».
Absence de plan défini
Selon les trois acteurs, le transfert aux honoraires s’est fait jusqu’ici de façon non préméditée, un peu par la force des choses. « Le premier compte à honoraires qu’un représentant va mettre dans son book va être celui d’un client fortuné qui est en train de se faire marauder par la concurrence, puis un autre va suivre, et un autre encore, soutient le président de MICA. À un moment, il va passer seulement aux honoraires pour uniformiser sa rémunération. J’ai vu des représentants faire ce passage d’un seul coup, mais c’était toujours à la suite des pressions que je décris. »
Et le modèle d’honoraires appliqué est « universel », juge Gino-Sébastian Savard. C’est-à-dire qu’il est « dégressif », un taux moindre étant appliqué aux comptes plus substantiels, par exemple 0,70 % ou 0,75 % pour un compte de 4 M$, et 1,25 % pour un compte de 150 000 $. Évidemment, fait-il ressortir, ce sont les détenteurs des plus petits comptes qui écopent dans un tel modèle : non seulement leurs frais de gestion sont plus élevés que dans un modèle à commissions de suivi, mais, parce que leurs épargnes résident essentiellement dans des comptes enregistrés, ils ne peuvent les déduire dans leurs impôts.
Au Groupe Cloutier, « la politique oblige que tout compte non enregistré soit à honoraires, note Jacques-André Marcoux. Au fur et à mesure des révisions de compte, on fait le saut. »
Jacen Campbell se refuse à proposer un modèle unique de rémunération à honoraires à ses représentants. Il insiste sur une seule directive : « Que les conseillers comprennent bien les tenants et les aboutissants du modèle et l’implantent toujours au mieux des intérêts du client. On les encourage à avoir une approche la plus globale possible qui tient compte des besoins, des désirs, des projets, des objectifs et des difficultés propres à chaque client. »
Pourquoi nombre de conseillers n’ont-ils pas encore abordé le sujet de la rémunération à honoraires avec leurs clients ? « Ils ont peur de parler de leur rémunération », répond Jacques-André Marcoux.
Il donne l’exemple d’un client dont le conseiller administre un actif de 500 000 $ et en récolte un revenu annuel de 5 000 $ depuis 20 ans. « Ils trouvent difficile d’aborder la question. Ça ne fait pas d’eux des gens moins honnêtes, mais la divulgation est difficile. C’est la raison pour laquelle plusieurs ne passeront probablement jamais aux honoraires. Mais si la transparence nous fait perdre des clients, je me dis : tant pis, c’est peut-être aussi bien. Jusqu’ici, je n’ai perdu aucun client en passant aux honoraires. »,