Intitulé « Rapport découlant des travaux de surveillance en assurance maladies graves », il s’appuie sur des données transmises par 22 assureurs actifs dans ce type d’assurance. La conclusion est sans équivoque : « le consommateur ne comprend pas toujours les caractéristiques du produit qu’il achète ».
Le régulateur réprouve l’approche marketing d’assureurs portant exclusivement sur des statistiques élevées de probabilités de cancer. « La définition et les caractéristiques énoncées au contrat sont souvent plus restrictives que les statistiques présentées », note le rapport.
Le jargon médical est également montré du doigt. L’AMF signale que les contrats comportent « souvent des termes complexes et techniques propres aux domaines de la médecine et de l’assurance […] peu compréhensibles pour le consommateur ».
Se basant sur les données transmises par les assureurs, le régulateur révèle que 20% des demandes d’indemnité en AMG sont refusées, alors qu’un « taux de refus supérieur à 10 % devrait susciter des questions chez les assureurs ». Plus de 60 % des refus des assureurs sont liés aux limitations ou exclusions, aux maladies préexistantes, au non-respect de la définition et aux délais de survie et de carence, selon le rapport.
L’AMF recommande d’utiliser des statistiques et des slogans publicitaires qui « n’induisent pas une compréhension erronée du produit ». En conséquence, elle demande à l’industrie « d’assister davantage le consommateur afin qu’il comprenne adéquatement le produit ».
Pour ce faire, « les assureurs devraient améliorer leurs programmes de formation et fournir des outils de référence appropriés à réseaux de distribution, afin qu’ils puissent assumer de manière adéquate leurs rôles et responsabilités envers leurs clients, particulièrement leur rôle d’accompagnement et, s’il y a lieu, de conseil ».
Critiques méritées ?
Les critiques et recommandations de l’AMF atteignent-elles la cible ? Chez les connaisseurs de la distribution qu’a joints Finance et Investissement, les avis sont loin d’être unanimes.
« Ce rapport est à la fois accablant et embarrassant. Depuis longtemps, nombre de conseillers ne veulent même pas toucher [à l’AMG] ! L’industrie doit en prendre acte et changer son mode opératoire », dit Robert Landry, ex-vice-président exécutif chez AXA Canada.
Pour sa part, Daniel Guillemette, président-fondateur du cabinet de services financiers Diversico Finances Humaines, signale avoir vu « peu de situations catastrophiques en assurance maladies graves » en plus de 35 ans de carrière.
Même son de cloche chez David Benamron, vice-président exécutif, Assurances au Groupe financier Botica : « Depuis plus de 20 ans que je travaille en assurance, j’ai rarement vu des cas problématiques en réclamations d’assurance maladies graves. Les définitions sont standardisées, ce qui enlève beaucoup d’incertitude. Mais cela ne veut pas dire que les critiques de l’AMF manquent de pertinence! »
Le président de l’agent général Financière S_Entiel, Dominic Demers, croit aux vertus de l’AMG. « Chez nous, on fait des promotions afin que les conseillers vendent ce produit et pas seulement de l’assurance vie. L’assurance maladies graves peut faire une énorme différence dans la vie des gens, mais il y a un besoin de plus grande clarté dans la présentation du produit », soutient-il.
Le type de statistiques que l’AMF a utilisées pourrait avoir gonflé le problème des réclamations, ajoute Caroline Thibeault, directrice générale de l’agent général Groupe SFGT.
« Les secteurs de l’assurance individuelle et de l’assurance collective ont été amalgamés [dans le rapport]. Or, les clients de contrats d’assurance collective n’ont pas la même qualité de conseil qu’en assurance individuelle. Il est rarement personnalisé. Partant de là, les clients en collectif seront plus nombreux à croire que les cancers, problèmes de cœur et autres maladies graves donneront lieu à une indemnité », dit-elle.
Marie Elaine Farley, présidente et chef de la direction de la Chambre de la sécurité financière (CSF), relève le flou du rapport au sujet des canaux de distribution. « Le rapport signale avoir inclus les régimes sans représentants. Quelle est la proportion de réclamations provenant des régimes sans représentants ? On l’ignore! », lance-t-elle.
Selon le rapport, « près de 80% des primes souscrites le sont par l’entremise d’un représentant certifié pour des polices visant des montants de couverture habituellement plus importants et une couverture plus étendue que ceux des produits offerts dans le cadre d’une distribution sans représentants, laquelle constitue toutefois la majorité des ventes en assurance maladies graves ».
Compréhension du produit
Faut-il être médecin ou oncologue pour décrypter les définitions de maladies graves aux contrats ? « Il y a une règle d’or, affirme Caroline Thibeault. Il faut dire à ses clients que seules les maladies graves qui menacent la vie entraîneront le versement d’indemnités. »
Tel est le mot-clé chez les conseillers concernés : une maladie grave couverte par contrat doit nécessairement « menacer » la vie.
Daniel Guillemette estime que « la meilleure façon de parler du produit à ses clients, c’est en martelant que les maladies graves couvertes par contrat ont un fort potentiel de conduire à la mort ». Selon lui, ce message est « généralement bien transmis et bien compris. Mais la nature des maladies graves mènera immanquablement à de nombreux refus d’indemnisation. En cas de doute, il y aura toujours une demande de réclamation, alors qu’en assurance vie, les choses sont tellement plus simples… on vit ou on meurt ! »
La vente de l’AMG par la diffusion de statistiques alarmantes sur des probabilités de cancer a-t-elle fait son temps ? David Benamron en est convaincu. « Il est temps d’améliorer le marketing du produit », dit-il.
Selon lui, cette stratégie de marketing ne retient pas l’attention de la clientèle-clé de l’AMG, celle des gens fortunés. « On la vend surtout à des sociétés dans le cadre de stratégies fiscales qui prévoient la récupération des primes versées. On la vend également comme protection de revenus, pour de petites sommes, auprès de clientèles familiales », précise David Benamron.
Dominic Demers ajoute qu’il faudrait que les clients soient mieux informés : « Les assureurs devraient produire des outils explicatifs qui parlent aux clients. Il devrait y avoir des exemples concrets compris de tous.»
Selon Daniel Guillemette, certains conseillers sont obnubilés par les publicités d’assureurs. « Un bon conseiller s’informe à fond sur les caractéristiques du produit. Malheureusement, certains font l’erreur de s’en remettre à des publicités, car la connaissance du produit leur fait défaut », se désole-t-il.
Formation nécessaire
À en juger par les propos de Daniel Guillemette, les besoins de formation sont réels. Tel est également l’avis de David Benamron, qui affirme que « certains conseillers ne comprennent pas le produit. Et ils ne veulent pas le vendre ! »
À la CSF, on se dit prêts à agir. « Si les assureurs veulent bâtir des formations sur des produits comme l’assurance maladies graves, nous sommes prêts à les accréditer et même à créer des partenariats », avance Marie Elaine Farley.
L’AMF réprouve l’utilisation, dans les contrats, d’un jargon médical qui obscurcit la compréhension du produit. Qu’arriverait-il si ces contrats étaient rédigés dans un langage accessible à tout un chacun ?
« Si les définitions de maladies graves étaient rédigées dans un langage simple de tous les jours, il y aurait davantage de réclamations, estime Robert Landry. Les assureurs seraient obligés de retirer certaines protections ou de hausser les primes. Si cela arrivait, l’assurance maladies graves quitterait alors le marché familial et deviendrait un produit haut de gamme. »