Un sondage de l’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF) réalisé auprès des conseillers révèle une part d’insatisfaction et d’incompréhension à l’égard du logiciel APEXA. Or, selon certains intervenants de l’industrie, cette réaction négative relève peut-être de perceptions erronées. Le sondage semble donc symptomatique d’une méconnaissance ou d’un manque de sensibilisation de la part des assureurs auprès de leurs représentants sous contrat.
Réalisé en mars et avril 2022, le sondage posait dix questions, auxquelles 364 conseillers ont répondu. Comme le dit Flavio Vani, président de l’APCSF, « il s’agit d’un sondage maison ». La séquence des questions et leur teneur ne permettent pas de prétendre à un sondage mené selon les règles de l’art. Par exemple, pour chaque question, les participants ne pouvaient que répondre oui ou non et laisser un commentaire optionnel.
Les réponses se partagent en deux chapitres, touchant d’une part à la convivialité du logiciel APEXA, d’autre part, au malaise concernant la protection de la vie privée des représentants.
Les réponses à la première question, qui demande si le sondé connaît APEXA, étonnent, surtout quand on considère que la très grande majorité des assureurs exigent maintenant le recours à cette plateforme:55 % disent la connaître, mais une proportion très élevée de 45% répond par la négative.
L’interaction avec le logiciel suscite des réactions partagées. Sur les 173 répondants qui connaissaient la plateforme, 42 % affirment avoir eu une bonne expérience utilisateur. Par contre, dans le groupe de répondants insatisfaits, certains ne mâchent pas leurs mots: » J’ai été garroché sur APEXA alors que je ne connaissais même pas son existence. Aucun soutien mis à notre disposition, et [c’est] encore le cas actuellement. » Un autre tonne : « Ce qui était supposé être convivial et super facile d’utilisation est quant à moi un petit cauchemar tellement ça peut être compliqué. » Un troisième juge l’outil « terriblement compliqué ! »
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Les quatre questions suivantes traitent de vie privée. La série de questions est tendancieuse. Par exemple, après avoir demandé aux participants s’ils savaient qu’« APEXA collecte les renseignements sur vos antécédents personnels ainsi que votre dossier de crédit », la question suivante demande: « Êtes-vous à l’aise avec cette façon de faire ? » Une autre question biaisée apparaît au sondage: « Croyez-vous qu’exiger la cueillette assidue de vos informations personnelles soit de l’ingérence dans votre vie privée ? »
Quoi qu’il en soit, 78 % des répondants expriment leur malaise causé par le fait qu’APEXA collecte leurs antécédents personnels et leur dossier de crédit.
De plus, 79 % jugent qu’il s’agit d’ingérence dans leur vie privée. Un répondant lance: « On nous met à nu sans qu’on puisse s’y opposer. » Dans les commentaires, on repère des termes comme « abusif », « intrusif ». Un sondé en résume bon nombre: « Qu’une compagnie détienne mes informations aussi personnelles est inacceptable. »
Certains participants sont nuancés: « C’est de l’ingérence, mais pour la protection des clients, le conseiller doit montrer patte blanche toute sa carrière. » « Ces infos sont accessibles par d’autres sources de toute façon et chaque compagnie se réserve le droit de demander des infos », note un autre. Un répondant dit: « Si ça peut éliminer les mauvais conseillers… »
Une autre question demande si « APEXA perturbera la compétition en matière d’emploi et de distribution des produits et services d’assurance de personnes », ce à quoi 55,5% répondent par l’affirmative, 44,4 % par la négative. Bon nombre de sondés ont ajouté qu’ils étaient incapables de faire cette prédiction.
Un répondant affirme: « Les assureurs cherchent à éliminer les intermédiaires de plus en plus. Donc, ce n’est qu’un élément parmi tant d’autres. » Un commentaire plus mesuré cherche à comprendre le but visé par APEXA: « Je crois que les agents généraux et les assureurs s’en servent pour prévenir des fraudes de conseillers et découvrir la possibilité de plusieurs codes d’un vendeur avec le même assureur. » Un répondant défend l’utilité d’APEXA: « Si le système est facile à utiliser, c’est beaucoup mieux que d’imprimer 10 contrats papier de 100 pages. »
En écho aux résultats du sondage, Flavio Vani soulève questions. Qui est derrière APEXA ? Les conseillers ont-ils accès à l’information à leur sujet et peuvent-ils facilement contester toute information qu’ils jugent erronée ? Quel est le niveau de sécurité et de confidentialité des données recueillies ? Les informations sont-elles partagées entre assureurs, ce qui pourrait fragiliser la carrière de certains représentants ? S’agit-il d’un guichet unique où tout le monde voit ce qui se passe avec tout le monde? « Nous sommes inquiets, dit Flavio Vani. Sommes-nous aux prises avec Big Brother ? »
Nous avons fait part de ces inquiétudes à APEXA et à quelques personnes bien informées sur le logiciel et sur MIB, son propriétaire. Phil Marsillo, président et chef de la direction d’IDC Worldsource et membre du comité de gouvernance d’APEXA, juge sans fondement les soupçons que le sondage de l’APCSF fait peser sur APEXA. Le logiciel « ne change strictement rien. Il recueille la même information qu’on recueillait auparavant », avance-t-il.
Avant APEXA, chaque assureur qui amorçait une relation d’affaires avec un conseiller faisait son enquête sur les antécédents financiers, judiciaires et de conformité de ce conseiller. APEXA fait la même chose, mais en une seule fois. Et avec une différence majeure: « Le conseiller voit dans son dossier tous les résultats de cette enquête, affirme Phil Marsillo. Auparavant, pour savoir quelle cote de crédit lui accordait une agence de crédit, il devait appeler cette agence. À présent, avec un simple clic sur son dossier, il peut le voir. » Cette nouveauté explique probablement une partie des jugements « d’intrusion » du sondage.
L’ensemble de l’industrie peut-il consulter ce dossier ? « Il n’y a pas de partage des informations entre les assureurs; le conseiller a un dossier individuel avec chaque assureur », répond Manon Gauthier, vice-présidente principale, administration et opérations, assurance et épargne individuellesà iA Groupe financier.
« Le conseiller est propriétaire de son dossier et peut y avoir accès en tout temps », affirme Andrea Caruso, vice-présidente directrice et chef de l’exploitation à MIB Group. Si un assureur veut ouvrir un contrat avec un conseiller, il achemine la requête à APEXA, qui en avise ensuite le conseiller, selon la gestionnaire.
À la différence de ce qui prévalait avant APEXA, les informations du dossier du conseiller sont maintenant mises à jour en continu. « Si jamais il y avait un changement à son dossier, dit Caroline Thibeault, présidente du Groupe SFGT, le représentant était tenu d’en aviser » son agent général et les assureurs. « Mais ce n’était jamais fait. On l’apprenait toujours après coup, poursuit-elle. S’il y avait une plainte à l’Autorité des marchés financiers (AMF), on l’apprenait après coup. APEXA vient simplement appliquer le contrat que le représentant a déjà signé. »
Et si un conseiller veut contester une information paraissant à son dossier, qu’il juge erronée et qui pourrait compromettre un contrat qu’il a conclu avec un agent général ou un assureur, « il devrait travailler avec cet agent ou cet assureur pour ajuster l’information », propose Dylan Friedmann, vice-présidente expérience client et partenaire à APEXA.
Quant à la sécurité des données, APEXA « est conforme à la norme SOC2 et vérifiée annuellement », affirme Dylan Friedmann. Cette norme, visant les organisations de service, a été mise au point par l’American Institute of CPAs, (l’institut américain des comptables professionnels agréés).
Michel Kirouac, vice-président et directeur général du Groupe Cloutier, ne balaie pas du revers de la main les inquiétudes exprimées dans le sondage de l’APCSF. « Je suis plus ou moins d’accord » avec les accusations d’intrusion, dit-il, reconnaissant que « quand un conseiller est codé avec un agent général, on se doit d’avoir de temps en temps des rapports de crédit et de plaintes ».
Cependant, juge-t-il, les appréhensions de l’APCSF visent la mauvaise cible. « On a beau jeter la pierre à APEXA, il ne faut pas oublier qu’il a été créé à la demande des assureurs. Ce n’est pas une intrusion par APEXA, mais par les compagnies d’assurance. Nous, les agents généraux, on ne voulait pas d’APEXA. L’APCSF devrait critiquer les assureurs plutôt qu’APEXA. »
L’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes a décliné notre demande d’entrevue au sujet du sondage de l’APCSF.