Le transfert de blocs de clients entre conseillers constitue un volet majeur dans les questions plus vastes relatives à la relève. Certaines firmes se démarquent par les initiatives qu’elles ont mises en place pour faciliter la vente et l’achat de blocs d’affaires (books). Focus sur les initiatives de trois d’entre elles.
Les risques liés à la vente d’un bloc de clients sont nombreux. Un des principaux, pour les firmes, tient à la possibilité que cette clientèle leur échappe et se déplace vers un autre courtier. C’est la principale raison pour laquelle Investia Services financiers a mis en place un programme distinctif, en
collaboration avec sa maison mère iA Groupe financier, par lequel elle accepte de financer jusqu’à 100 % d’une transaction.
« Le but est de garder les actifs à l’interne, affirme Frédéric Laverdière-Pagé, vice-président, ventes et développement des affaires à Investia. Si on n’avait pas de solution en place, il y a des conseillers qui se financeraient ailleurs. » Et les actifs sous administration de ces conseillers risqueraient également de se retrouver ailleurs.
Dans le réseau d’Investia, « il se fait jusqu’à 100 transactions par année, poursuit le dirigeant. En 2023, 1,5 milliard de dollars (G$) en actif sous gestion est passé des vendeurs aux acheteurs et 85 % des transactions ont été financées par iA. » La valeur des prêts octroyés dans le cadre du programme de financement s’élève à près de 25 M$ pour cette même période.
Le Groupe financier PEAK participe également au financement des transactions, mais dans une moindre mesure. « Sur dix transactions, nous en appuyons trois, précise Robert Ruffolo, vice-président, développement des affaires chez PEAK. On peut financer jusqu’à 100 % si nécessaire, et ce n’est pas l’exception. Ça survient dans 75 % des cas, le plus souvent avec des débutants. »
MICA Cabinets de services financiers ne participe pas directement aux financements. « On garantit le service de la dette auprès de la banque », dit Gino-Sébastian Savard, son président. Attention, « on ne garantit pas le prêt, précise-t-il, on assure les paiements et, au besoin, on saisit la rémunération du conseiller. On travaille beaucoup avec BMO et Beneva, qui font du financement de book. Mais souvent, la meilleure banque reste celle avec laquelle le conseiller fait déjà affaire ».
Gino-Sébastian Savard déplore un obstacle majeur qui surgit sur la voie d’un financement, lié à l’incorporation.
« L’incorporation en [courtage de] fonds communs n’est pas permise, et ça pose problème, rapporte-t-il, parce que les banques exigent l’incorporation. Ça passe pour les fonds distincts et les assurances, mais ça nuit aux jeunes qui achètent et aux vendeurs qui se retrouvent avec une difficulté de financement pour le jeune. Pour une banque, financer une liste de clients n’est pas aussi tangible que de recevoir un bilan. Il faut que le ministère des Finances change sa position là-dessus. »
Un financement n’est jamais sans risque, surtout avec des taux d’intérêt qui ont monté en flèche récemment, fait valoir Frédéric Laverdière-Pagé. Si les livres du vendeur accusent un solde négatif à chaque mois, l’acheteur risque de ne pas pouvoir générer les revenus nécessaires au remboursement. « On n’a pas avantage à étrangler l’acquéreur, fait ressortir le dirigeant. Le book est-il suffisant pour se payer lui-même ? Le temps où on pouvait acheter un bloc et le laisser dormir est passé. »
Établir rapidement des liens entre vendeurs et acheteurs potentiels est une préoccupation constante pour les firmes. Et cet acheteur a tout avantage à appartenir au réseau. Encore là, il s’agit d’éviter le risque qu’un bloc de clients ne s’exile.
PEAK entretient une base de données où ses responsables inscrivent tous les conseillers susceptibles de vouloir vendre ou acquérir des clients. De plus, « c’est une chose dont on parle systématiquement avec nos conseillers, » avance Robert Ruffolo. « Quand un vendeur demande de trouver une relève, c’est un aspect dont on s’occupe en priorité », indique Gino-Sébastian Savard.
Investia multiplie les événements et les rencontres où recrues et vétérans peuvent établir un contact et jauger leurs intérêts communs. Par exemple, un peu avant la pandémie, elle a lancé l’initiative Place à la relève « pour que des gens qui ont fait l’acquisition de blocs d’affaires puissent se rencontrer et échanger, illustre Frédéric Laverdière Pagé. En avril dernier, il y a eu une journée au siège social avec 40 conseillers de la relève où on a invité des représentants qui ont fait une douzaine d’acquisitions et qui ont fait part de leur expérience et de leurs erreurs. Notre conférence nationale, où se retrouvent 500 représentants, est aussi une occasion de réseautage ».
Aider à repérer les failles
Le transfert de clientèle recèle de nombreux pièges que les firmes contribuent à désamorcer. Par exemple, on note celui d’établir la juste valeur d’un bloc de clients. La pratique d’affaires du vendeur est-elle efficace et systématique ou est-elle criblée d’erreurs et de risques de non-conformité, voire de poursuites ? La personnalité de l’acheteur est-elle bien arrimée à celle des clients qu’il acquiert ? Et quand l’acquisition sera faite, l’acheteur aura-t-il les reins assez solides pour porter la charge de travail additionnelle et établir les liens rapidement avec les clients ?
L’autonomie des conseillers est une valeur cardinale, prévient Gino-Sébastian Savard. « Je la respecte entièrement, même si ça implique des risques de dérapage ou la possibilité qu’ils vendent à l’extérieur du réseau de MICA. Mais si un conseiller le demande, on peut l’accompagner étroitement. »
Évaluer un book, établir les particularités des clients, voir si l’appariement entre l’acheteur et ses futurs clients est bon, soupeser la solidité d’une pratique, ce sont tous des aspects où les dirigeants des firmes peuvent intervenir.
« On coache autant les acheteurs que les vendeurs sur tous ces aspects, et quand les choses sont faites avec doigté, le client se sent respecté et il n’y a pas d’érosion », mentionne Gino-Sébastian Savard.
Pour établir la valeur d’un book, MICA dirige les acheteurs vers Tréma, filiale comptable du réseau, « qui base son évaluation uniquement sur ce qui est tangible et vérifiable : nombre de clients, moyenne d’actifs, âge des clients, etc., souligne le dirigeant. Mais il y a tout l’intangible d’une transaction, comme les personnalités, les profils en jeu, l’adéquation des styles. Pour évaluer cet intangible, des membres chevronnés de notre équipe peuvent entrer en jeu. »
PEAK dispose d’une foule d’outils pour nourrir la réflexion des acheteurs et des vendeurs : évaluation et financement d’un bloc d’affaires, gabarits de contrats-types, modèles d’ententes et de processus de transition.
« Tous ces paramètres sont importants et déterminent le succès d’une transaction », soutient Robert Ruffolo.
Investia met une enveloppe de 1 000 $ à la disposition des parties d’une transaction si elles veulent consulter des fiscalistes ou des avocats avant une transaction. La firme offre aussi l’option de différer le remboursement du capital d’achat pour une période allant jusqu’à 18 mois. Un acheteur peut alors prendre en main l’afflux additionnel de travail qu’entraîne une transaction. « Ça permet d’absorber des coût additionnels marginaux et imprévus, par exemple du personnel administratif à embaucher ou la perte de certains clients », fait ressortir Frédéric Laverdière-Pagé.
À MICA, les parties d’une transaction peuvent recourir à un médiateur, car il arrive souvent que les transactions s’enveniment. Au début, l’acheteur courtise et louange souvent le vendeur, mais chemin faisant, les choses peuvent tourner au vinaigre et on en vient aux insultes du genre « Ton book ne vaut rien ! Je te rends un service en l’achetant ! »
« Moi-même, j’ai fait de la médiation entre acheteurs et vendeurs pour que la raison et l’harmonie l’emportent dans une transaction, affirme Gino-Sébastian Savard. Car plusieurs transactions échouent. »