Les séries de fonds distincts avec rétrofacturation du conseiller apportent certes des avantages pour le client, mais peuvent également lui causer des préjudices. C’est pourquoi les régulateurs du secteur de l’assurance envisagent de les interdire ou de les encadrer, ainsi que toute forme de rémunération au moment de la souscription de contrats de fonds distincts.

C’est ce que l’on comprend du document de consultation conjoint du Conseil canadien des responsables de la réglementation d’assurance (CCRRA) et des Organismes canadiens de réglementation en assurance (OCRA) sur la rémunération relative aux fonds distincts et aux contrats individuels à capital variable (CICV), publié en septembre dernier.

En s’inspirant de l’interdiction des frais d’acquisition reportés imposée depuis juin 2022 au secteur des valeurs mobilières, les deux régulateurs demandent aux assureurs « de s’abstenir d’imposer des frais d’acquisition reportés dans le cadre des contrats de fonds distincts ». Cela établi, ils fixent leur mire sur la rétrofacturation, le modèle de rémunération où c’est l’intermédiaire, et non le client, qui rembourse à l’assureur la totalité ou une partie de la commission perçue à la souscription d’un fonds distinct si son client retire des fonds pendant la période de rétrofacturation, laquelle varie de deux à cinq ans selon l’assureur.

En faisant référence aux avancées réglementaires du côté des Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM), le document manifeste l’intention des régulateurs de l’assurance d’aligner les pratiques du secteur des fonds distincts sur celui des valeurs mobilières. Le principal souci tient aux conflits d’intérêts et d’adéquation potentiels qui surgissent, lit-on dans le document, « entre les coûts et les services fournis lorsque le client compte sur son conseiller pour lui vendre un produit qui lui convient et que ce dernier reçoit une rémunération du concepteur de produit ».

Le client d’abord

Les régulateurs de l’assurance posent comme principe directeur « le traitement équitable des clients ». Ainsi, ils visent huit objectifs, notamment celui de traiter avec efficacité les conflits d’intérêts créés par la rétrofacturation, susceptible de donner lieu à un décalage entre les intérêts des assureurs, des intermédiaires et des clients. Ensuite, améliorer la connaissance, la compréhension et le contrôle de la rémunération des intermédiaires chez les investisseurs; favoriser la concordance entre la rémunération et les services offerts aux clients; établir un juste équilibre entre l’obtention de conseils de qualité et l’accès à des conseils abordables; favoriser l’innovation et la souplesse dans les façons de payer des conseils.

Les régulateurs reconnaissent deux avantages à la rétrofacturation. D’abord, d’aider les détenteurs de petits comptes à avoir accès au conseil quand ils n’ont pas les actifs requis pour payer les services reçus par le mode à honoraires. L’autre est d’aider ceux qui débutent dans la carrière du conseil en leur permettant d’accroître leurs revenus plus rapidement dans les premières années plus difficiles.

Par contre, les régulateurs énumèrent une longue liste de conflits potentiels rattachés à la rétrofacturation : inciter un conseiller à vendre un produit en faisant passer sa rémunération avant l’intérêt du client; l’inciter à encourager le renouvellement de produits dont le client n’a pas besoin; négliger de remplacer un produit dont il tirera une rémunération même si un autre produit conviendrait davantage au client. Un conseiller pourrait aussi pousser un client à ne pas racheter ses parts afin de ne pas rembourser, même si c’est dans l’intérêt supérieur du client.

Enfin, dans le cas où un intermédiaire a accumulé des dettes à l’endroit d’un assureur à cause de contrats interrompus prématurément, il pourrait être tenté de vendre les produits d’autres assureurs même s’ils ne sont pas les plus appropriés pour le client.

Le document de consultation pose plusieurs questions à l’industrie pour connaître davantage la situation sur le terrain. Par exemple, il demande si les assureurs accordent aux intermédiaires d’autres avantages que les commissions liées à la vente de fonds distincts. Dans le cas où les régulateurs en viendraient à interdire la rétrofacturation et d’autres modes de commission, comment formuler une telle interdiction et combien de temps allouer pour la mettre en vigueur ? Et dans le cas où les régulateurs ne poseraient pas d’interdit et mettraient plutôt de l’avant d’autres modes de rémunération, le document demande quelles formes ils pourraient prendre. Par exemple, on avance l’idée de plafonner les montants de commission ou de limiter la durée des barèmes de rétrofacturation, ou encore de bonifier l’information fournie sur les coûts. La consultation se déroule jusqu’au 7 novembre.

L’ennemi du bien

Les propositions formulées par les régulateurs de l’assurance sont malvenues, juge Adrien Legault, conseiller juridique principal au Réseau d’assurance IDC Worldsource. « On astreint les conseillers à des obligations de professionnels, dit-il, mais on s’empresse de leur imposer des carcans ultrarigides de peur qu’ils ne soient pas professionnels. »

Même son de cloche de la part de Flavio Vani, président de l’Association professionnelle des conseillers en services financiers, qui juge que les régulateurs ne donnent pas dans l’encadrement réglementaire, mais dans le « maternage ». « Nous avons des lois et un code de déontologie qui dit que les représentants doivent toujours travailler au mieux des intérêts du client, observe-t-il, mais on laisse entendre qu’ils sont des bandits et qu’il faut les mettre au pas. »

Tant Adrien Legault que Flavio Vani considèrent que les régulateurs se préparent à ajouter une foule de contraintes réglementaires pour des délits qui entachent moins de 1 % des transactions. « Pour justifier leurs mesures, que les régulateurs nous disent la part de méfaits qu’ils veulent contrer », soumet Flavio Vani.

Celui-ci craint que la survie de la profession soit en jeu, certainement chez les représentants de réseaux indépendants. « Les débutants n’auront plus les moyens de se faire une vie dans ce domaine. Tous les autres seront des employés » d’institutions financières qui, seules, pourront payer le prix du fardeau réglementaire qui s’alourdit sans cesse.

Adrien Legault, pour sa part, ne craint pas tant pour les conseillers qui commencent leur carrière que pour les clients détenteurs de petits comptes qui, sans l’apport de rémunérations à commission, ne pourront pas se payer les conseils financiers qui viennent souvent avec les produits vendus.

Le directeur général du groupe de défense des investisseurs FAIR Canada, Jean-Paul Bureaud, affirme que l’industrie des valeurs mobilières, notamment au Royaume-Uni, a souligné ces effets négatifs pour les clients, le fameux advice gap. « Mais on ne voit pas de preuves à cet effet, dit-il. La question fondamentale est que la façon de rémunérer le représentant doit s’aligner sur les intérêts du client. Cet alignement est possible avec la rémunération par honoraires, où il n’y a pas de conflits. »

Flavio Vani n’est pas d’accord. « En Angleterre, on a assisté à une baisse du nombre de conseillers, et le gouvernement donne maintenant un crédit fiscal allant jusqu’à 1 000 £ pour encourager les gens à recourir à un conseiller. Où est l’avantage? »

Par ailleurs, Flavio Vani récuse la rétrofacturation, qu’il juge injuste et irresponsable. « On fait payer par le représentant les frais liés à des décisions qui ne relèvent pas de lui. » Si le client liquide son fonds parce qu’il est mécontent de la performance des gestionnaires, le représentant n’est responsable ni dans un cas ni dans l’autre, pourtant c’est lui qui paye.

Flavio Vani réclame la remise à l’honneur des frais d’acquisition reportés, le meilleur mécanisme pour assurer que les clients détenteurs de petits comptes obtiennent des conseils et que les nouveaux conseillers perdurent dans la profession. L’effort réglementaire doit porter sur le besoin de rendre les frais clairs et transparents, et sur celui d’imposer un document que les clients signeraient pour reconnaître que les frais ont été clairement établis. « Il faut cesser d’infantiliser les investisseurs et cesser aussi de les prendre pour des victimes », lance-t-il.