Le 8 décembre dernier, l’Autorité des marchés financiers (AMF) clôturait sa consultation publique portant sur son Règlement sur le traitement des plaintes et le règlement des différends dans le secteur financier. Les résultats présentent un clivage très prononcé entre, d’un côté, les acteurs de l’industrie financière, qui le critiquent fortement et, de l’autre, les représentants des groupes de défense des investisseurs, qui l’applaudissent avec vigueur.
Lignes de force
« Le Projet de règlement, annonce l’AMF, s’inscrit dans un objectif d’harmoniser et de renforcer le traitement équitable des plaintes dans le secteur financier québécois », en proposant un processus de traitement des plaintes uniformisé pour les trois secteurs des institutions financières, des intermédiaires financiers et des agents d’évaluation du crédit.
Le Projet détaille de nombreux aspects du traitement d’une plainte, à commencer par une définition de la notion même de « plainte »: « Toute insatisfaction ou reproche à l’égard d’un service ou d’un produit offert par une institution […] communiqué par une personne faisant partie de sa clientèle ».
Pour traiter ces plaintes, l’entreprise doit mettre en place une politique qui tient compte de façon objective des intérêts de l’auteur de la plainte, dont le suivi est simple et sans frais pour celui-ci, et qui fait l’objet d’une documentation détaillée. Un souci majeur de transparence doit prévaloir dans toute la politique et les processus qu’elle chapeaute: probité des agents, accès aux informations, langage simple et clair, reddition de comptes à la direction, etc.
Le Projet couvre en détail les exigences pratiques de communication entre l’entreprise et le plaignant, les délais requis et la documentation à mettre en place. Par exemple, il précise que le registre des plaintes doit contenir le code d’identification du dossier de plainte, la date de réception et de consignation, le motif de la plainte, la cause à l’origine de la plainte, le produit ou service visé, etc.
La section III du Projet vise un maximum de transparence dans les communications avec un plaignant, notamment en exigeant d’indiquer le nom et les coordonnées de l’employé chargé du cas, de préciser les étapes prochaines du dossier, de signaler le droit de faire appel à l’AMF, d’apposer la signature du responsable, de détailler les éléments d’information requis pour toute réponse finale (résumé de la plainte, conclusions de l’entreprise, délai de règlement, signature).
Enfin, le Projet propose trois types de sanctions pécuniaires allant de 1 000 $ pour des contraventions administratives, par exemple un dossier incomplet, à 5 000 $ pour des contraventions aux principes du Règlement, par exemple une tentative d’empêcher le plaignant de faire examiner son dossier de plainte par l’AMF.
Mieux définir la notion de « plainte »
Sur les mémoires recueillis auprès de 26 sociétés et groupes qui ont été soumis à l’AMF, nous en avons parcouru 13 en détail. Une chose saute aux yeux dès le départ: l’absence totale des grandes banques canadiennes, à l’exception de la Banque Laurentienne, alors que l’industrie de l’assurance est représentée par trois associations. Par ailleurs, un seul cabinet d’intermédiaires financiers, soit MICA Cabinets de services financiers, a déposé un mémoire; alors que les petits cabinets indépendants constituent la grande majorité des intermédiaires et ils seront lourdement touchés par ce règlement.
Une notion centrale suscite un désaccord presque universel: celle de « plainte ». Du côté de l’industrie, on en dénonce la portée trop étendue, du côté des défenseurs des investisseurs, on voudrait l’élargir. Par exemple, le cabinet d’avocats Casgrain juge que « la définition de plainte proposée par l’AMF est trop large », et suggère plutôt qu’on s’en tienne aux « allégations d’inconduite », à l’instar de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM). Même son de cloche de la part de Desjardins, qui juge que la définition actuelle de « plaintes » confinera leur traitement au secteur d’affaires, alors qu’un traitement plus équitable et plus complet relèverait du secteur opérationnel.
D’autre part, les groupes de défense des investisseurs sont ravis de cette notion élargie. La Fondation canadienne pour l’avancement des droits des investisseurs (FAIR Canada) demande seulement d’inclure les « plaintes faites verbalement, par téléphone ou communiquées par les médias sociaux ».
Ces groupes aiment tout particulièrement l’exigence que les responsables du traitement des plaintes puissent agir « avec indépendance et éviter toute situation où ils seraient en conflit d’intérêts ». Kenmar Associates applaudit: » Il s’agit d’une disposition qui distingue clairement le personnel des opérations de celui qui traite les plaintes. »
L’industrie ne le voit pas du même œil. On connaît déjà la réaction de Desjardins, mais d’autres interprètent cette disposition comme un vœu pieux qui ne peut être appliqué dans les faits. « Dans la plupart des cas, lit-on dans le mémoire de MICA, la personne qui traitera une plainte sera un employé de l’entité. Elle pourrait traiter une plainte de façon équitable, juste et objective, mais elle ne peut, par définition, être « indépendante de l’entité étant donné le lien d’emploi existant avec son employeur. »
Autre conflit d’intérêts
Une autre mesure mène à des positions très divergentes, celle de l’article 11 du Projet, qui exige d’offrir à tout plaignant « qui en exprime le besoin un service d’assistance à la rédaction d’une plainte ». FAIR la considère « comme un outil essentiel pour égaliser les conditions de concurrence entre l’entreprise et le consommateur ».
Levée de boucliers du côté de l’industrie. « Nous soumettons que la firme serait en conflit d’intérêts d’offrir à tout client qui en exprime le besoin un service d’assistance à la rédaction d’une plainte », affirme le Conseil des fonds d’investissement du Québec, qui en recommande carrément le retrait. « Trop lourd pour les petites organisations qui composent la vaste majorité des intervenants », lance Mailloux, la firme spécialisée en gestion des risques et conformité. « Cette mesure est adaptée à des organismes de plus grande taille, mais semble peu réaliste pour des organisations qui, en moyenne, sont composées de une à cinq personnes. »
Principes contre prescriptions
La dénonciation de cette lourdeur ne se porte pas seulement à la défense des petits acteurs; elle constitue une récrimination fréquente venant de l’industrie. L’Association canadienne des institutions financières en assurance déplore que le Règlement accumule les prescriptions détaillées, jugeant que « les régulateurs devraient communiquer leurs attentes par le biais de principes généraux et laisser à chaque entité réglementée le soin de définir les mécanismes et détails de la réalisation ».
Un autre point de désaccord concerne l’harmonisation interprovinciale. Le mémoire de l’Association canadienne du commerce des valeurs mobilières (ACCVM) constitue un exposé de 14 pages soulignant les nombreuses dispositions équivalentes ou même supérieures de l’OCRCVM, comparées à celles du projet de l’AMF. L’ACCVM conclut: » Nous recommandons que l’AMF dispense de son Projet de règlement les sociétés réglementées par des organismes d’autoréglementation. »
Faut-il s’en surprendre, les groupes de défense des investisseurs prennent le contrepied de l’ACCVM et proposent plutôt que le Règlement de l’AMF ait préséance sur tout ce qui se fait ailleurs au Canada. FAIR soumet l’idée qu’il serve « de modèle d’efficacité à d’autres gouvernements provinciaux et organismes de réglementation au Canada ». Kenmar abonde dans le même sens.
Mailloux met de l’avant deux propositions qui, étonnamment, échappent aux groupes de défense. En premier lieu, il déplore que le Projet laisse de côté le système de rapport de plainte (SRP), « un élément essentiel d’une stratégie à moyen et à long terme pour un encadrement d’excellence ». D’autre part, pour élargir la portée du Projet et enrichir en même temps les données du SRP, il propose que l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec soit soumis au Règlement. « Nous croyons, dit le mémoire, que l’intérêt du consommateur ET du gouvernement est d’avoir une vision globale des plaintes. »