Dans ce second article d’une série de deux, quatre professionnelles nous font part des inconvénients reliés au fait d’être une femme dans le domaine du conseil financier.
Faire bonne impression
« Selon moi, le plus gros défi est qu’il faut avoir une façon de s’exprimer et de se présenter irréprochable », lance d’entrée de jeu Maud Salomon, conseillère en sécurité financière, représentante autonome et représentante de courtier en épargne collective rattachée à MICA Capital. « À la première impression, nous devons davantage prouver notre compétence qu’un collègue masculin. »
Monette Malewski en sait quelque chose. En 1998, au décès de son mari, elle a repris les rênes de son entreprise, Groupe M Bacal. « J’étais dans l’industrie depuis quatre ans, mais j’avais déjà une maturité professionnelle dans d’autres domaines, raconte l’actuelle propriétaire, présidente et directrice générale. J’ai donc passé trois jours chez moi pour écrire une lettre qui allait passer le flambeau de mon mari à moi : j’ai gardé 96 % de ma clientèle. » Puis, en 2003, elle a fait l’acquisition d’un cabinet montréalais connu : « J’ai ensuite assisté à une grande conférence canadienne et le buzz était « C’est qui cette femme qui a acheté l’entreprise ? Comment cet homme a-t-il vendu à une femme ? » se souvient-elle. Ils n’auraient jamais fait ça avec un homme. »
Surtout que dans ce type de rassemblements professionnels, « souvent, les gens prennent notre conjoint comme étant le représentant ou nous prennent pour une adjointe », note Annie Duchesne, présidente de Planifia, de même que conseillère en sécurité financière et en rente collective et représentante de courtier en épargne collective sur le marché dispensé.
Réalités variables
La situation s’aggrave dans les évènements où sont conviés les représentants de toutes entreprises confondues. « J’y suis allée seule une fois et j’ai vécu des situations vraiment désagréables et déplacées ; les personnalités des hommes qui se sentent seuls ressortent, se désole Annie Duchesne. À partir de ce jour-là, je me suis dit que je serais toujours accompagnée. »
Bien qu’elle ne l’ait pas vécu, Monette Malewski « accepte tout à fait » ce constat. Même chose pour Guylaine Dufresne, directrice principale Investissement et Planification financière chez Banque Laurentienne. « Je crois que nous retrouvons moins [ces situations-là] dans le milieu bancaire que chez les indépendants, avance celle qui a déjà travaillé à son compte au sein de Groupe Investors. Ce milieu n’a peut-être pas encore fini de s’habituer à la présence des femmes. »
Il en est même loin, estime Maud Salomon. « C’est très, très masculin comme domaine ; dans les conférences et les réunions, beaucoup de réflexions, d’analyses et de démonstrations sont très machos, déplore-t-elle. Ça ne change pas l’apprentissage, juste l’environnement et l’énergie. » La professionnelle trouve « déconcertant » que certains pensent et agissent encore de cette façon. « Quand je leur en parle, souvent c’est pris à la rigolade, parce qu’ils ne se rendent pas compte de ce que ça peut engendrer, et que ce n’est pas fait pour blesser », ajoute-t-elle en soulignant qu’elle le remarque surtout chez les collègues plus âgés.
Un constat qui rassure Guylayne Dufresne. « C’est sûr que ces gens-là transportent leur bagage du temps où la femme était nécessairement une adjointe, dit-elle. Mais quand je regarde les nouvelles générations, je me dis que ça achève ; ce que j’admire des plus jeunes, c’est qu’ils vont faire confiance à quelqu’un à cause de ses compétences et de ses qualités personnelles, mais qu’ils ne commenceront pas à faire la différence à cause du sexe ou de la couleur de la peau. »
« Je pense que si une femme se présente avec toute son envergure, avec la confiance dans ses connaissances et qu’elle est très au courant de tout ce qui se passe, elle sera respectée, renchérit Monette Malewski. J’amène mes compétences et ma confiance avec moi et les gens me respectent, qu’ils soient jeunes ou plus âgés, hommes ou femmes. »
Annie Duchesne estime quant à elle que c’est avant tout une question d’employeur. « C’est vraiment la culture de l’organisation. À mes débuts, il y a 21 ans, j’étais dans une organisation où la femme professionnelle avait sa place, raconte-t-elle. En changeant d’emploi, j’ai régressé, c’était épouvantable : dans certaines organisations, une femme, c’est un morceau de viande ! Heureusement, chez MICA, où je suis maintenant, c’est phénoménal à quel point ils ont un grand respect pour la professionnelle, son couple et sa famille. »
Les choses changent
Dans le milieu des services financiers depuis plus de deux décennies, mesdames Dufresne, Duchesne et Malewski sont toutes d’avis que les défis sont moins grands qu’à leurs débuts. « Ç’a beaucoup évolué, parce que la société a évolué également, déclare Guylaine Dufresne. Nous avons de plus en plus la même notoriété et la même crédibilité que nos collègues masculins, ce qui était moins le cas il y a 20 ans, quand il fallait surperformer pour se démarquer. » Monette Malewski le réalise au quotidien en travaillant aux côtés de sa fille, la conseillère en assurance vie et en assurance collective Lianne Ulin. « C’est plus facile pour elle, elle ne doit pas toujours démontrer qu’elle connaît bien ce qu’elle fait comme nous devions le faire », note la pdg.
Quant à Maud Salomon, elle a l’impression que le domaine financier demeure « vieux jeu ». « C’est une attitude qu’il faut changer avec de l’éducation, croit-elle. Ce n’est pas si différent des autres secteurs de la vie, mais dans notre domaine, elle colle un peu plus, parce que l’argent a toujours été plus masculin. »
« C’est comme dans n’importe quoi, ça prend du temps avant que les choses changent, conclut Annie Dufresne. Est-ce qu’il y a 40 ou 50 ans, nous aurions pu penser que le Mouvement Desjardins serait dirigé par une femme ? »