En cas de séparation, le premier rôle d’un professionnel en services financiers « est de poser les bonnes questions et de faire réfléchir, résume Gaétan Veillette, qui cumule les titres de planificateur financier, de fellow administrateur agréé, de conseiller en sécurité financière et de conseiller en assurance et rentes collectives chez Groupe Investors. « Il est important d’établir le profil socioéconomique de son client, ses préoccupations, objectifs, contraintes et priorités, puis d’analyser sa situation financière, fiscale et légale. »
« Il faut d’abord savoir si les membres du couple étaient mariés, unis civilement ou conjoints de fait, précise Hélène Marquis, directrice régionale, planification fiscale et successorale chez Gestion privée de patrimoine CIBC. Il y a beaucoup de choses qui vont se faire automatiquement après les 30 jours obligatoires suivant le prononcé d’un jugement de divorce, ce qui n’est pas le cas pour les conjoints de fait. Ceux-ci doivent produire une entente de séparation écrite afin de pouvoir se défaire de leurs obligations sociofiscales et procéder à des transferts entre ex-conjoints. »
Dans tous les cas, le professionnel tentera « d’exercer une influence positive sur le couple » en émettant des recommandations adaptées à la situation et en établissant une liste de tâches destinées à faire cheminer le processus, souligne Gaétan Veillette. « Il y a des choses qui prennent du temps, comme produire les déclarations de revenus, vendre une propriété, disposer d’une succession non réglée ou gérer l’avenir d’une entreprise. Parfois, le planificateur financier doit simuler plusieurs scénarios pour bien visualiser le portrait socioéconomique de chacun après la séparation, selon les stratégies de répartition du patrimoine. »
Dresser un portrait complet des finances communes
Pour déterminer la marche à suivre, il faut faire une liste exhaustive des actifs et engagements financiers communs. Selon Hélène Marquis, le meilleur conseil à donner à son client à ce stade est « de ne pas faire de cachette à son planificateur ». « Entre autres pour que toutes les cartes de crédit et les comptes conjoints figurent dans la convention de séparation ou le jugement de divorce, note-t-elle. Il faut aussi contacter rapidement son institution financière pour éviter que l’un des deux ne fasse secrètement des achats desquels l’autre devient solidairement responsable. »
Dans le cas des biens détenus en commun et assujettis à un prêt, comme une voiture ou un chalet, le couple doit décider s’il souhaite continuer de les détenir à deux, les vendre ou les transférer à un seul, qui devra alors refaire le processus d’accord de prêt. Même chose pour la résidence familiale. « Les deux conjoints restent coresponsables du prêt hypothécaire jusqu’à ce qu’il soit complètement remboursée ou que l’un des deux rachète la part de l’autre. Tant et aussi longtemps que ce n’est pas fait, les deux sont conjointement et solidairement responsables du paiement du prêt, même si l’un des deux n’habite plus la maison », rappelle Hélène Marquis.
S’ajoute parfois la propriété d’une entreprise familiale, qui demande encore une fois une analyse au cas par cas. « Il arrive souvent que la vie commune ne fonctionne pas, mais que le partenariat d’affaires fonctionne très bien. Des gens choisissent alors de rester associés, fait-elle valoir. C’est une question de négociation entre les partenaires : il y en a pour qui ça se passe bien et d’autres pour qui ça se termine en Cour suprême. »
Une réflexion semblable doit être faite si le couple avait établi une fiducie familiale, car « une séparation peut amener un bénéficiaire à vouloir empiéter sur les revenus ou sur le capital si les règles de la fiducie le permettent », explique Gaétan Veillette.
Penser aux enfants
De nombreuses séparations impliquent plus de deux personnes. « La présence d’enfants force le couple à discuter, à négocier et à trouver des solutions ensemble quant à leur subsistance, leur garde et leur éducation, remarque Gaétan Veillette. Les parents doivent convenir de la répartition des dépenses et de certaines déductions fiscales. »
D’ailleurs, il est important de rappeler à son client de prévenir rapidement les autorités de sa séparation. « Au provincial, cela se fait normalement au moment de la déclaration de revenus, mais il faut aussi faire une démarche auprès de Retraite Québec, précise Hélène Marquis. Au fédéral, on doit remplir un formulaire pour informer le gouvernement du Canada de son nouvel état civil. » Le tout enclenchera une révision des diverses prestations, dont l’Allocation canadienne pour enfants et l’Allocation famille du Québec. Pour ce qui est de la perception des pensions alimentaires, elle est prise en charge par Revenu Québec à la suite d’un jugement.
Une négociation devra également avoir lieu concernant le devenir des régimes enregistrés d’épargne-études (REEE). « Ils peuvent engendrer beaucoup de conflits, et si au bout du compte le couple est obligé de désenregistrer le régime parce qu’il n’arrive pas à s’entendre, cela peut avoir des conséquences assez coûteuses », mentionne Hélène Marquis.
La possibilité que chacun des membres du couple fonde une nouvelle famille doit aussi être examinée. « Après le partage du patrimoine entre les deux conjoints, il faut définir de nouvelles règles, surtout si des enfants sont issus d’une union future, indique Gaétan Veillette. Le dilemme est d’être équitable à l’égard de l’ensemble des enfants issus de plusieurs unions, car ceux issus des unions précédentes sont souvent défavorisés. Une stratégie généralement acceptée est d’établir une police d’assurance vie sur la tête du parent séparé au bénéfice des enfants d’une union antérieure. »
Revoir la planification successorale et réviser les contrats
Dans tous les cas, il est essentiel d’inviter son client à se rendre rapidement chez le notaire pour réviser à la fois son testament, ses procurations et son mandat de protection en cas d’inaptitude. « Un testament en faveur d’un conjoint de fait demeure valide tant qu’une modification n’est pas demandée, alors que dans le cas d’un divorce, les legs en faveur d’un conjoint sont révoqués automatiquement », précise Hélène Marquis.
Les diverses polices d’assurance de personnes fonctionnent selon le même principe, à l’inverse qu’il faut parfois s’entendre avec son ex-conjoint de fait pour pouvoir le retirer à titre de bénéficiaire irrévocable. Pour ce qui est des fonds de régime de retraite d’employeur, les définitions varient. « Il faut vraiment tout vérifier. »
Réfléchir aux impacts sur le fonds d’urgence et la cote de crédit
Un divorce ou une séparation s’accompagne souvent d’importants coûts non planifiés : frais de justice, rupture de contrat hypothécaire, prise en charge de certaines dettes, relogement, pension alimentaire, etc. Des dépenses qui devront sans doute être couvertes par le fonds d’urgence qui aura été constitué du temps où les individus étaient en couple ou encore à la suite de la vente de certains biens communs.
Les sommes restantes pourront ensuite être divisées en deux. « Toutefois, certaines personnes ont de la difficulté à adapter leur coût de vie à la baisse ou s’endettent en voulant conserver des biens qu’elles n’ont pas les moyens de payer seuls, affirme Gaétan Veillette. Conséquemment, leur fonds d’urgence peut s’avérer insuffisant en cas d’incapacité de générer suffisamment de revenus. »
Cela peut poser doublement problème, vu qu’il est généralement plus facile d’emprunter en couple que seul. Et ce, même si une cote de crédit personnelle peut se voir améliorée par sa séparation d’un individu dépensier.
Bien s’entourer dès les débuts d’une relation
Finalement, les deux experts insistent sur le fait qu’un planificateur financier doit fortement conseiller à tous ses clients en couple de consulter différents professionnels spécialisés qui seront en mesure de bien gérer les nombreuses facettes de leur situation.
« Certains notaires et avocats connaissent très bien tout ce qui touche aux conjoints de fait, alors que des avocats d’affaires, des fiscalistes et des comptables peuvent se pencher sur les entreprises et les fiducies. Sans compter les médiateurs, qui sont là pour aider les deux parties à trouver des solutions à leurs dilemmes sans représenter l’un ou l’autre. Tous ces gens-là devraient être impliqués dans le processus dès le début pour s’assurer que les choses sont faites correctement avant d’en arriver à une situation de rupture extrêmement chargée émotivement », fait valoir Hélène Marquis.
« Les bons papiers font les bons amis, et ils aident à clarifier les choses, renchérit Gaétan Veillette. Donc, chaque couple devrait avoir établi une convention de vie commune ou des conventions segmentées d’union de fait comme la répartition des dépenses et de la propriété reliées aux autos, aux biens du ménage, à la résidence, au chalet, aux enfants, aux assurances… L’absence de convention de vie commune cause souvent des complications lors d’une séparation, tandis que la planification patrimoniale requiert un dialogue régulier dans le couple et une certaine transparence concernant les biens et les frais en commun. »