En effet, ces firmes font face à une forte concurrence des family offices, des sociétés de gestion de patrimoine indépendantes qui se consacrent à la gestion des fortunes individuelles et familiales, lesquelles se chiffrent à des dizaines de millions de dollars.
«Nous faisons nos devoirs pour mieux comprendre les besoins plus élaborés de cette clientèle et y répondre. Ce n’est pas une préoccupation, mais plutôt une occasion de croissance», soutient Denis Gauthier, premier vice-président et directeur national de la Financière Banque Nationale – Gestion de patrimoine (FBNGP).
C’est pourquoi il dit ne pas craindre que les clients les plus fortunés délaissent sa firme.
Offre de services élargie
Richard Rousseau, vice-président principal du Groupe gestion privée chez Raymond James, fait écho à ces propos. «Avec de tels clients, il ne faut pas juste parler d’investissements : il faut aussi concevoir une bonne planification fiscale et successorale», précise-t-il en ajoutant que la firme compte quelques clients très fortunés.
En mai dernier, Raymond James a d’ailleurs annoncé la création d’une société de fiducie au Québec pour permettre à des clients de bénéficier de services comme ceux de succession et de transmission de patrimoine, ainsi que de gestion de fiducies. Elle compte aussi le faire dans le reste du Canada.
Cette société de placement de plein exercice indépendante, non détenue par une banque canadienne, «est en mesure de fournir l’équivalent des services d’un family office, soit à l’intérieur de l’équipe d’un conseiller qui a une masse critique suffisante pour se payer les ressources nécessaires, soit en utilisant les ressources offertes par la firme», assure Richard Rousseau. Raymond James est la filiale canadienne de la société de courtage nord-américaine Raymond James Financial.
RBC Dominion valeurs mobilières, dont le nombre de clients fortunés aurait doublé depuis 10 ans, assure prendre les mesures nécessaires pour bien répondre aux besoins de cette clientèle.
«On a créé une équipe qui se consacre spécialement aux clients possédant 100 M$ et plus. C’est comme un family office à l’interne avec différents experts en gestion de patrimoine qui aident nos conseillers à répondre à leurs besoins particuliers», explique Paul Balthazard, vice-président et directeur régional, Québec, de RBC Dominion valeurs mobilières. Cette firme totalise 340 G$ d’actifs sous gestion au Canada.
Des besoins qui dépassent la principale question que se pose l’investisseur moyen, soit de savoir s’il aura assez d’argent à sa retraite. «Le client qui a 25 M$, 50 M$ ou 100 M$ ne se préoccupe pas de la retraite. Il veut savoir quel héritage il pourra laisser. L’approche est différente. On s’assoit devant lui avec une équipe de conseillers, et avec une page blanche plutôt qu’un questionnaire», précise Paul Balthazard.
Investissements plus spécialisés
De son côté, la FBNGP dit prêter de plus en plus une attention particulière à cette clientèle. Toutefois, elle n’entend pas créer une entité consacrée essentiellement aux plus fortunés. Pour l’instant du moins.
«Nous verrons. Nous sommes capables, en ce moment, de répondre à leurs besoins avec les structures actuelles», indique Denis Gauthier. Il précise que sa firme a notamment embauché des fiscalistes et des notaires au cours des dernières années.
Il y a 10 ans, la Banque Nationale lançait la division Gestion privée 1859 afin d’offrir une gamme de services personnalisés aux investisseurs disposant d’actifs financiers d’au moins 1 M$. «Nous avons des clients ayant des actifs de 50 M$ et plus tant chez Gestion privée 1859 qu’à la Financière», précise Denis Gauthier.
En plus d’offrir une expertise professionnelle plus pointue, les courtiers en placement de plein exercice doivent aussi donner accès à des produits d’investissement plus spécialisés.
«Les clients très fortunés ne se contentent pas de produits standards offerts par les institutions financières. Ils souhaitent investir dans des placements privés, en actions ou en dettes, ou participer au financement de projets d’infrastructures et immobiliers. Ça prend une masse critique pour avoir accès à de tels investissements», souligne Richard Legault, président-fondateur de Phoenix Stratégies Conseils, une firme qui offre des conseils en planification stratégique, notamment auprès d’institutions financières.
Richard Legault suggère même aux firmes de courtage de conclure des partenariats avec des gestionnaires de portefeuille externes, tels que des «multi-family offices», des firmes comptables ou d’autres spécialistes, pour fournir les différents produits ou services qu’elles ne pourraient offrir à leurs clients plus fortunés.
La FBNGP a développé depuis quelques années des produits d’investissement qui visent à répondre spécifiquement aux besoins de cette clientèle. «Nous avons des produits d’infrastructure, des produits de placements privés qui permettent à nos conseillers d’y investir pour les clients», précise Pierre-Éloi Laurin, gestionnaire de portefeuille en chef de la FBNGP.
Chez RBC Dominion valeurs mobilières, «ce sont nos propres gestionnaires de portefeuille ou des gestionnaires externes qui, selon les mandats, répondent aux besoins des clients», indique Paul Balthazard.
Mais l’ambition des grandes banques de développer des services de banque privée ou des services personnalisés se heurte à plusieurs écueils, selon Alain E. Roch, président et chef de la direction du gestionnaire de patrimoine Blue Bridge. Parmi ces écueils, il mentionne dans un récent billet de blogue «la mobilité des employés empêchant une relation de long terme avec leurs clients, la difficulté liée à la taille de la structure empêchant un réel service personnalisé et, surtout, la pression interne au sein de la banque à vouloir vendre ses propres produits financiers».
Voilà autant d’obstacles à surmonter pour que les firmes de courtage puissent résister à la montée des family offices.