Lorsqu’un conseiller transfère son bloc d’affaire à un représentant repreneur, cette transaction devrait être murement réfléchie et en harmonie avec les valeurs tant du cédant que de l’acquéreur.
C’est l’un des messages clés qui découle de la table ronde Réussir son transfert de clientèle à l’occasion du Prolab 2023, un événement créé par la Chambre de la sécurité financière qui se déroulait le 8 juin, à Montréal.
À cette table ronde étaient regroupés deux acheteurs de blocs d’affaires et deux conseillères qui ont vendu le leur. En voici les 5 éléments clés à retenir.
Charge émotive élevée
Vendre sa clientèle est une étape chargée en émotions. Le vendeur a souvent une relation soutenue avec ses clients, au point de considérer certains comme des amis. Il doit faire le deuil de ces relations et de son rôle social d’être pour eux une personne de référence.
« Ça fait mal. Mal, parce que tu laisses 30 ans de ta vie derrière toi. Mal parce que tu laisses tes clients. Mal, parce que le client, tu l’as courtisé. Il t’a choisi. Et là maintenant tu lui dis : Je l’ai choisi pour toi. Wô minute », a dit Francine Lavallée, qui a vendu sa clientèle à la fin des années 2010 et qui, aujourd’hui, est conférencière sur le transfert d’entreprise et la préparation à la retraite.
Daniel Guillemette, président de Diversico Finances Humaines, a fait l’acquisition de bon nombre de blocs de clients. Il raconte l’effet qu’a eu sur un vendeur cette transition. « Il avait commencé son entreprise à 19 ans. J’ai acheté son entreprise en 2009. Il est resté avec nous jusqu’à 2022 et a pris officiellement sa retraite l’an passé. Quand je lui ai donné le chèque, il m’a dit merci. Puis il s’est effondré en larmes. »
L’acquéreur peut lui aussi vivre certaines émotions, dont le doute, car il se retrouve avec bon nombre de clients qu’il n’a pas choisis et pour lesquels il ignore s’il y aura un bon maillage relationnel avec lui. Pour l’acheteur, le revenu supplémentaire provenant d’un nouveau client est souvent inférieur par rapport au risque réputationnel que ce nouveau client apporte, a souligné Antoine Chaume Legault, conseiller en placement et planificateur financier chez CI Gestion de patrimoine Assante. Un acheteur doit bien comprendre cette asymétrie.
Préparation cruciale
Préparer le transfert d’un bloc d’affaires est capital, tant pour l’acheteur que pour le vendeur. Le vendeur devrait s’y prendre au moins cinq années à l’avance selon Daniel Guillemette. Cela lui permet de s’assurer entre autres que l’acquéreur potentiel offrira bel et bien le niveau de service auquel il s’attend pour ses clients.
Beaucoup d’éléments ne doivent pas être laissés au hasard. Par exemple, Pascale Nguyen, une conseillère qui a vendu sa clientèle à la fin des années 2010 et qui est aujourd’hui vice-présidente, Gestion d’actifs et Assurance pour Capgemini Invent Canada, a été déçue de la façon dont on a communiqué la vente de leur bloc d’affaire à ses clients.
« Il n’y a pas eu de lettres qui ont été envoyées à mes clients. J’ai appelé certains clients pour les aviser, ceux qui étaient les plus proches de moi », a indiqué Pascale Nguyen.
Malgré qu’elle connaissait bien l’acquéreur et lui faisait confiance, elle juge que ça s’est mal passé. « Je n’ai pas mesuré le clash de valeurs (entre les siennes et les miennes) ni l’impact que ça a allait avoir sur mes clients et non plus l’impact que ça allait avoir sur moi par la suite. Il faut prendre le temps de mesurer les choses », a-t-elle dit.
Le vendeur d’une clientèle devrait envisager de travailler avec une firme de communication afin d’orchestrer les communications sur le plan des clients, des employés et des partenaires, selon Daniel Guillemette. « Juste pour m’assurer que la manière dont je vais présenter les décisions ou les intentions, ça va être savamment réfléchi. »
Pour préparer la vente de son entreprise, un vendeur devrait non seulement veiller à ce que les dossiers de ses clients sont bien numérisés, mais surtout, à ce que ses opérations soient systématisées et bien documentées, selon Daniel Guillemette.
Pour l’acheteur, « les risques ne sont pas dans les relations. (Ils) sont dans la gestion des opérations. Donc nous, on va enquêter sur comment les dossiers ont été gérés. De la structure engendre un élément rassurant », d’après lui.
La préparation est donc cruciale pour l’acquéreur de la clientèle. Antoine Chaume Legault a expliqué comment une de ses trois acquisitions a été « un échec lamentable ». « La vérification diligente sur le plan de la conformité avait été un peu boiteuse et quand on a ouvert le capot, on s’est rendu compte qu’il y avait des situations de conformité assez terrible et finalement on a pris la décision de se tourner vers une (autre) personne mieux outillée que nous. On était jeune, en début de carrière, on n’avait pas les outils pour mettre de l’ordre dans l’entreprise. »
Antoine Chaume a revendu le bloc d’affaire qu’il venait tout juste d’acquérir, cristallisant ainsi une perte.
Bien s’entourer
À la fois le vendeur et l’acquéreur doivent bien s’entourer afin de préparer la transaction et tout ce qui va autour.
Selon Francine Lavallée, un médiateur ou un psychologue industriel devrait accompagner le vendeur dans l’année de la transaction afin de tempérer les émotions du vendeur et aussi s’assurer que la transaction connaisse un dénouement heureux.
« Je trouve ça dommage que les compagnies, les réseaux ne mettent pas les choses sur pied pour cela », a-t-elle dit.
Selon Antoine Chaume, il ne faut pas hésiter à s’entourer des meilleurs avocats et conseillers et de percevoir leurs honoraires comme un investissement et une manière de gérer ses risques d’affaires.