Sans les dérivés, nous aurions probablement eu affaire à un effondrement régionalisé du marché immobilier américain, estime Pascal François, directeur de l’Institut de la finance structurée et des instruments dérivés de Montréal et professeur de finance à HEC Montréal. À cause des dérivés, cette crise localisée a été amplifiée et portée aux quatre coins du monde.

Tous les dérivés ne sont pas à blâmer. Deux produits ressortent en particulier, selon l’analyse de Rodrigue Tremblay, professeur émérite en économie de l’Université de Montréal, actuellement à la retraite : les CDO (collateralized debt obligation, ou actifs adossés à des portefeuilles de dette) et les CDS (credit default swap, ou swaps sur défaillance).

Bon nombre de spéculateurs achetaient, et continuent d’acheter, des CDS sans détenir le titre sous-jacent, une pratique que le célèbre financier George Soros appelait l’équivalent d’une «licence de meurtre» dans un article qu’il signait dans le Financial Times (22 avril 2010).

En juillet dernier, James Rickards, gestionnaire de fonds de couverture et auteur du livre Currency Wars: the Making of the Next Global Crisis, publiait dans le magazine US News un article appelant à bannir les dérivés des marchés financiers.

Plus modéré, George Soros proposait que les transactions de dérivés, qui s’effectuaient à 95 % de gré à gré avant la crise, soient déplacées vers des plateformes boursières et soient enregistrées.

«Il est en partie vrai que les dérivés ont joué un rôle d’amplificateur et de propagation du risque systémique, dit Pascal François. Mais le problème ne réside pas tant dans les produits dérivés eux-mêmes que dans l’organisation de leur marché.»

On assiste à une telle organisation avec des chambres de compensation (voir l’encadré). On érige ainsi autour des dérivés une clôture susceptible «de contenir la machine de cupidité qui a mené à leurs abus», juge Mo Chaudhury, professeur de pratique en finance à la Faculté de gestion Desautels de l’Université McGill.

Celui-ci relève trois autres aspects qui contribuent à corriger les excès de 2008.

Tout d’abord, la structure de compensation des dirigeants d’institutions financières a été modifiée et liée à la performance de leur institution pour des périodes d’au moins trois ans.

«Il y a maintenant possibilité de rappel de bonis, indique Mo Chaudhury. Si la performance de l’institution baisse, une partie du bonus se trouve réduite selon certaines formules.» C’est un changement susceptible d’apaiser les dirigeants trop attirés par le rendement à court terme.

Une autre intervention signalée par le professeur porte sur les agences de notation de crédit, dont l’évaluation des dérivés de crédit avant la crise a parfois été jugée complaisante.

«Elles sont sous observation et ont nettoyé leurs pratiques», dit-il. Notons qu’au début de février, le gouvernement américain a intenté une poursuite majeure pour fraude et pratiques abusives à l’endroit de Standard & Poor’s, la plus importante agence.

Cependant, nombre de pratiques qui ont mené à la crise n’ont pas été abolies ou mises hors-la-loi ; on a simplement élevé des barrières réglementaires autour d’elles. Les dérivés ont encore libre cours, les pratiques de titrisation des banques aussi.

Et un élément majeur n’a absolument pas été touché, fait remarquer Robert Pouliot, chargé de cours à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM : «On parle beaucoup de risque systémique, mais la principale cause n’a pas été réglée : le phénomène too big to fail. Les grandes banques sont encore plus grosses qu’avant la crise.»

Verrons-nous 2008 2.0 ? On ne repasse jamais dans les mêmes eaux, rappelle Rodrigue Tremblay.

Selon lui, un choc comme celui de 2008 n’est plus possible. On va toutefois en payer le prix jusqu’en 2017 avec «une lente sortie en contexte de stagnation économique», prévoit-il.

Il reste que l’environnement financier est encore bien fragile, reconnaît l’économiste, particulièrement en Europe, où rien n’est réglé. Quel serait l’impact de la sortie de l’euro d’un pays comme la Grèce ou, pire, l’Espagne sur le monde financier et économique ?