Cette débandade a été surtout le résultat de ventes et de ventes à découvert «d’or papier», c’est- à-dire des fonds négociés en Bourse et des certificats, indique Jeffrey Nichols, directeur exécutif d’American Precious Metals Advisors, à Cortlandt Manor, dans l’État de New York. Les acteurs, ajoute-t-il, en ont été «de grands investisseurs institutionnels, un petit nombre de grandes banques, des négociants en or et de grands spéculateurs institutionnels.»

Au début de juillet, ces ventes avaient encore cours, soit l’équivalent de 25 tonnes de métal précieux par jour, mais «le marché semblait perdre de la pression», note Martin Murenbeeld, analyste chez Dundee Wealth, à Vancouver.

Décalage

Il existe toutefois un décalage important dans le marché de l’or. D’un côté, on trouve ces ventes qui ont entraîné la chute du métal jaune. De l’autre, des pays comme la Chine, l’Inde et la Russie achètent tout l’or sur lequel ils peuvent mettre la main, ce qui représente 50 % de la demande mondiale, indique Martin Murenbeeld.

De juillet 2012 à juin 2013, la somme des contrats pour livraison physique sur le parquet de Shanghai a atteint au total 1 098 tonnes métriques, l’équivalent de 40 % de la production totale d’or en 2013. «Comment cela peut coïncider avec une chute du prix de 400 $ au cours du deuxième trimestre dépasse totalement notre capacité d’y comprendre quelque chose», écrivent David Baker et David Franklin, analystes chez Sprott Asset Management, de Toronto

Il faut comprendre que ces pays n’achètent pas de «l’or papier», mais bien le métal jaune lui-même. La demande dans ces pays est telle que «le marché est devenu de plus en plus serré, dit Jeffrey Nichols. Ceux qui achètent à Shanghai payent entre 30 et 40 $ de plus que ceux qui achètent à New York».

Ces achats proviennent autant des individus que des gouvernements «qui veulent diversifier leurs portefeuilles de devises étrangères et se donner une assurance tous risques, et qui aspirent à hausser leurs monnaies respectives au niveau du dollar, de l’euro et du yen, fait ressortir Jeffrey Nichols. Ils pensent que disposer d’importantes réserves d’or rendra leurs monnaies plus attrayantes».

Or, tous ces acteurs, individuels et gouvernementaux, ne sont pas spéculateurs à court terme, mais acheteurs à long terme. Et leur thésaurisation en métal précieux pourrait réserver une surprise aux investisseurs, juge Jeffrey Nichols. Car, dit-il, tous les investisseurs institutionnels occidentaux se sont départis de leurs titres d’or, et beaucoup se demandent combien de temps cela va durer. Ce lent changement d’attitude met en place une reprise du prix de l’or, juge-t-il.

«Ayant vendu leur or dans les dernières années, les investisseurs institutionnels occidentaux pourraient trouver très difficile de refaire leurs positions en or sans pousser les prix à de nouveaux sommets, prévoit Jeffrey Nichols. Car plusieurs des acheteurs depuis 2011 – les foyers chinois ou la banque centrale de Russie – n’ont absolument pas intérêt à vendre, ni maintenant ni dans plusieurs décennies à venir. […] Le fond de l’affaire, c’est que lorsque l’or prendra son virage, il y aura un manque d’inventaire du métal – sauf à des prix beaucoup plus élevés… et beaucoup vont être étonnés de l’ampleur et de la rapidité de la prochaine montée des prix.»

Pour que survienne un tel bond dans le prix de l’or, comme l’anticipent Jeffrey Nichols et quelques autres, il faut une condition essentielle : que la fragile reprise économique aux États-Unis s’épuise. Là est toute la question.

État de grâce

Les afficionados de l’or considèrent que cette reprise ne peut pas tenir. Certains soupçonnent que l’économie américaine est désormais incapable de se passer des injections massives de liquidité provenant de la Réserve fédérale.

C’est ce que pense Rick Rule, président du conseil de Sprott USA, qui note que les engagements hors bilan du Trésor américain dépassent 60 billions $ US (environ 4 fois le PIB américain) et gonflent d’environ 4 billions $ US par an. «Croire qu’on pourra traverser tout ceci sans faire défaut ou sans le dissoudre dans l’inflation défie toute analyse rationnelle du problème», juge-t-il.

Évidemment, d’autres observateurs, et non des moindres, notamment Nouriel Roubini, de Roubini Global Economics, croient que les États-Unis sont sur la voie de la convalescence. C’est ce que pense aussi Stéfane Marion, économiste en chef à la Financière Banque Nationale, qui repère quelques facteurs décisifs dans la reprise américaine actuelle, des facteurs qui ne sont guère propices à une remontée de l’or.

Tout d’abord, note Stéfane Marion, on assiste à une remontée apparemment inexorable du dollar américain. À cela s’ajoute une solidification du marché de l’emploi avec une création mensuelle d’environ 200 000 emplois. De plus, les taux d’intérêt réels sont passés depuis quelques mois en territoire positif et le déficit du compte courant, qui représentait 5 % du PIB en 2005, a fondu aujourd’hui entre 2,5 % et 3 %.

Enfin, et surtout, il y a le boom énergétique totalement inespéré qui a cours présentement chez l’oncle Sam, tant du côté du gaz naturel que du pétrole. Cela a un effet très favorable sur la structure de coût des entreprises et des ménages. Tous ces facteurs combinés, juge Stéfane Marion, font en sorte que la Réserve fédérale pourra sans trop de heurt interrompre son programme QE3, comme le prévoit son président, Ben Bernanke.

Ce ne sera pas la première fois que les États-Unis nous auront démontré leur capacité quasi miraculeuse à «rebondir». Seule question : le miracle peut-il encore opérer ?