C’est ce qu’estime Stéphane Rousseau, professeur titulaire de la Chaire en gouvernance et droit des affaires à la Faculté de droit de l’Université de Montréal. Selon lui, la décision de Québec de porter sa cause en appel était incontournable, car le projet fédéral «semble à nouveau heurter de plein fouet la compétence provinciale, incluant celle du Québec».
Ottawa défend également ces deux arguments, invoquant la nécessité d’assurer la stabilité et l’intégrité du système canadien.
«Le gouvernement fédéral fera valoir que le risque systémique est un concept si vaste et englobant qu’il justifie une intervention dans des secteurs qui relèvent du domaine des valeurs mobilières. C’est comme si ce risque systémique devenait un cheval de Troie. Dans quelle mesure y a-t-il une lacune véritable au Canada qui justifierait une intervention fédérale supplémentaire ?» considère Stéphane Rousseau.
En ce qui a trait à la coopération, c’est-à-dire le partage d’informations, le professeur de l’Université de Montréal indique qu’elle se fait déjà par l’intermédiaire des Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM).
Rappelons qu’en décembre 2011, la Cour suprême du Canada (http://bit.ly/1P0wi9a ) avait jugé que le caractère véritable de la loi qui instituait un organisme pancanadien de réglementation des valeurs mobilières empiétait sur les compétences provinciales.
Cependant, le tribunal avait statué que «rien n’interdit une démarche coopérative qui, tout en reconnaissant la nature essentiellement provinciale de la réglementation des valeurs mobilières, habiliterait le Parlement à traiter des enjeux véritablement nationaux».
En conséquence, Ottawa est quand même allé de l’avant dans la mise en place d’un régime pancanadien de type coopératif. Jusqu’à présent, six provinces et territoires y ont adhéré.
«La Cour n’avait pas raison d’ouvrir la porte à une intervention fédérale, parce que, à mon sens, la prévention du risque systémique et la collecte de données sont des fonctions que les provinces pouvaient très bien assumer en concertation. Ce sont les effets malheureux du jugement de 2011», croit Benoît Pelletier, ancien ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes et maintenant professeur titulaire de droit à l’Université d’Ottawa.
Dans son jugement, rappelle-t-il, le plus haut tribunal du pays avait permis d’intervenir sur les plans du risque systémique et de la collecte de données. Benoît Pelletier appuie la démarche de Québec, mais il estime que la tâche sera difficile parce que le dossier manque de clarté sur le plan de l’inconstitutionnalité.
L’ancien ministre signale que la version d’août 2014 de l’avant-projet de loi fédéral est beaucoup plus ciblée et s’appliquerait à toutes les provinces. «On se dirige de plus en plus vers une intervention très coordonnée du gouvernement et du Parlement du Canada en matière de valeurs mobilières. Le fédéral a tendance à vouloir dépasser sa compétence au sens strict.»
Incidence pour le conseiller
Quelle serait l’incidence, pour les conseillers, d’un régime coopératif fédéral établi ? Pour Benoît Pelletier, le représentant devrait se conformer à un ensemble de règles fédérales qui n’existent pas actuellement, accompagnées de risques de sanctions.
Stéphane Rousseau abonde dans le même sens, ajoutant que les règles échapperaient au contrôle des autorités provinciales. À l’heure actuelle, l’Autorité des marchés financiers (AMF) encadre le représentant et son courtier, mais a délégué certaines responsabilités notamment à la Chambre de la sécurité financière (CSF) et à l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM).
Stéphane Rousseau craint qu’avec le nouvel organisme pancanadien, le facteur de proximité ne soit perdu.
Stéphane Rousseau estime que la volonté d’harmonisation du régime fédéral ne reflète pas les particularités propres à certaines provinces. Parmi les règles énoncées dans la loi, il dénote l’absence d’un équivalent au Règlement 45-106 qui régit les placements privés – ceux qui sont effectués sans prospectus – alors que ce règlement existe dans le cadre des ACVM.
La loi qui serait adoptée ne comprend pas non plus un outil passeport qui permettrait, selon Stéphane Rousseau, «la bonne interface» entre les administrations provinciales participantes au régime coopératif et les administrations non participantes.
Enfin, le professeur soulève le volet de l’application des lois. Il précise que, depuis au moins cinq ans, les commissions de valeurs mobilières provinciales et l’AMF ont renforcé l’application de leurs règles. «Il s’agit d’une question locale. Les contrevenants et les victimes sont dans une province. Les autorités provinciales sont bien mieux placées qu’un organisme de réglementation qui serait à distance pour voir à l’application des lois.»
Au ministère des Finances du Canada, on a décliné notre demande d’entrevue. Un représentant a toutefois confirmé par communiqué qu’il reviendra au gouvernement élu le 19 octobre dernier de décider s’il publiera une version révisée de la Loi sur la stabilité des marchés des capitaux. Selon le site fédéral du régime coopératif, les provinces et territoires participants s’attendent à ce que le régime pancanadien commence à exercer ses activités à l’automne 2016.