Si tel est le cas, on peut se demander pourquoi les assureurs aux États-Unis, cinq ans après la crise financière, ne se sont pas encore engagés sur la même voie de changements majeurs.

«Ces changements ne font que commencer aux États-Unis», constate Paul Lorentz, vice-président exécutif, ventes au détail, chez Manuvie Canada.

Même environnement

Pourtant, les assureurs américains sont soumis aux mêmes conditions financières de faibles taux et de volatilité boursière que leurs homologues canadiens.

La différence entre les changements des compagnies canadiennes et ceux des compagnies américaines tient aux normes comptables, plus précisément à la façon dont chaque industrie doit rendre compte de son actif et, partant, de ses réserves de capital.

Aux États-Unis, les assureurs en rendent compte selon leur valeur historique. Un actif conserve une valeur stable aussi longtemps qu’on le détient, et sa valeur ne change au gré du marché qu’au moment où on en dispose.

Au Canada, les assureurs sont soumis depuis 2011 aux normes internationales d’information financière (IFRS), normes auxquelles ils se préparaient depuis plusieurs années.

D’ailleurs, jusqu’en 2006, les assureurs étaient tenus d’actualiser la valeur de leurs actifs selon une méthode de moyenne mobile de marché (certains assureurs l’étalant sur sept ans, par exemple), rappelle Rebecca Villmann, directrice de projet au Conseil des normes comptables (CNC).

Or, comme la méthode précédente, les IFRS obligent les assureurs à donner une «juste valeur» à une part importante de leurs actifs, cette «juste valeur» étant le plus souvent la valeur du marché – mais désormais chaque trimestre au gré des rapports financiers.

Dans les faits, cela signifie que les assureurs canadiens sont davantage soumis aux aléas des marchés financiers et doivent constamment réajuster leurs réserves de capital.

«À cause de la crise de 2008-2009, nos assureurs ont connu de grandes pertes, ce qui n’a pas été le cas des assureurs américains», fait ressortir Michel Bergeron, responsable des institutions financières, Est du Canada, chez Ernst & Young.

«Les entreprises canadiennes ont subi plus de pression pour se rajuster (et changer leurs produits) plus rapidement.»

Ce ne sont pas tous les actifs qui sont soumis aux IFRS, et la part qui leur sera soumise est appelée à être modifiée au cours des prochaines années. Car l’International Accounting Standards Board (IASB), l’organisme qui établit les IFRS, oeuvre actuellement avec le Financial Accounting Standards Board (FASB) des États-Unis à la mise au point de normes communes qui pourront être appliquées à l’échelle globale par les assureurs.

Cependant, les États-Unis n’ont pas encore pris de décision quant à l’adoption des IFRS.

«Beaucoup de changements sont anticipés, tout particulièrement pour les assureurs», note Rebecca Villmann.

Les grands organismes normatifs espèrent en arriver à un standard mondial unique à la fin de 2014, l’adoption des nouvelles normes s’étalant sur trois ans jusqu’en 2017-2018.

Est-ce en prévision de ces changements éventuels que les assureurs américains commencent à transformer leur offre de produits ?

On ne peut le dire encore, mais chose certaine, «l’ajustement aux États-Unis va être beaucoup plus drastique s’ils adoptent les IFRS !» soutient Yves Millette, vice-président principal, affaires québécoises, de l’Association canadiennes des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP).

Deux sons de cloche

Cet ajustement est déjà fait en grande partie chez les assureurs canadiens. Et cela leur donne un avantage concurrentiel, selon le rapport «Perspectives 2013 dans le secteur canadien de l’assurance-vie», d’Ernst & Young.

«Tout compte fait, bien des sociétés d’assurance canadiennes se trouvent dans une meilleure situation que leurs homologues des États-Unis. Grâce à l’application de la méthode de comptabilisation à la valeur de marché, elles ont pu comptabiliser immédiatement en résultats les effets des faibles taux d’intérêt, ce qui leur a permis de les atténuer rapidement.»

C’est un avantage dont se réclame Manuvie, par exemple.

«Nous sommes dans une position plus forte que les acteurs américains, juge Paul Lorentz, à cause des règles comptables et de notre sensibilité accrue au risque, et parce que nous avons eu le temps de penser à de nouvelles solutions en fonction du nouveau paradigme. Nous avons été forcés d’innover et de créer des produits qui proposent une valeur différente, tandis que les compagnies américaines n’ont pas été forcées d’aller dans cette direction à cause de règles comptables différentes.»

Il faut dire que Manuvie est une entreprise planétaire qui tire 38 % de ses bénéfices de sa filiale américaine John Hancock, et 33 %, de sa présence asiatique, par rapport à 29 % au Canada.

Le son de cloche est très différent de la part d’un assureur de taille moyenne comme Empire Vie, dont le marché est concentré au Canada.

«Si ce n’était de la « juste valeur », nous aurions connu beaucoup moins de changements dans l’industrie, soutient Les Herr, président et chef de la direction d’Empire Vie. La raison pour laquelle le Canada a choisi ces normes est intrigante et certainement déconnectée de la réalité. Ces normes ne conviennent pas à la nature à long terme des solutions d’assurance. […] Je passe plus de temps à me soucier des fluctuations de mon capital et à ajuster mes produits en conséquence qu’à développer mon entreprise.»