«Cette tendance de « bancassurance » a démontré son efficacité et sa résilience au fil des ans en générant des revenus et une capacité à fidéliser les clients, atteignant ainsi une forme de diversification», lit-on dans le Rapport annuel sur les institutions financières de 2014 de l’Autorité des marchés financiers (AMF).
Philippe Grégoire, professeur à l’Université Laval et titulaire de la Chaire d’assurance et de services financiers L’Industrielle Alliance explique les enjeux liés à ces institutions.
Finance et Investissement (FI) : Tout d’abord, revenons sur ce qu’est une bancassurance ?
Philippe Grégoire (PG) : Une bancassurance est une banque qui offre des produits d’assurance à la liste de clients affiliés à ses services bancaires. On peut également faire entrer dans cette définition la banque qui conseille à des clients de se procurer de l’assurance dans une de ses filiales.
Au Canada, le phénomène est moins présent qu’en Europe, car les banques d’ici doivent se plier à la Loi sur les banques. L’article 416 de cette loi interdit aux banques de se livrer au commerce de l’assurance, d’agir à titre d’agent pour la souscription d’assurance ou de fournir des locaux aux compagnies dans leurs succursales canadiennes. Cependant, les banques canadiennes peuvent vendre des produits d’assurance liés aux services ou aux produits bancaires qu’elles vendent.
FI : La présence des banques en assurance nuit-elle aux assureurs ?
PG : La plupart des banques offrent déjà de l’assurance automobile et de l’assurance habitation. La présence de filiales bancaires augmente la concurrence. Le marché est plus compétitif, ce qui tire les prix vers le bas et pousse les assureurs à développer des produits plus innovants et plus attrayants.
FI : Devrions-nous ouvrir complètement le secteur de l’assurance aux banques ?
PG : Telle qu’elle est actuellement, la loi canadienne est bonne. Comme les banques ne vendent pas des produits d’assurance directement dans leurs succursales, cela freine le dédoublement. En effet, qui vendrait les produits d’assurance dans une succursale bancaire ? Un spécialiste hypothécaire ? Ce n’est pas nécessairement la personne qui connaît le mieux l’assurance. Il y a un risque de vente de produits d’assurance vie, par exemple, qui seraient déjà couverts par une autre police.
FI : Lorsqu’il est question du développement de bancassurances, que devrions-nous considérer ?
PG : La question n’est pas de savoir si le consommateur est capable de contracter des polices d’assurance au plus faible coût possible, mais plutôt de savoir si le système actuel permet aux consommateurs d’optimiser leur couverture d’assurance. Selon moi, en vendant dans les succursales bancaires, on ouvrirait la porte à un dédoublement.
FI : Que voulez-vous dire par dédoublement ?
PG : Laissez-moi vous raconter quelque chose : il n’y pas si longtemps, c’était possible d’acheter dans un aéroport une assurance vie pour le temps d’un vol. Quand on y pense, c’est complètement inutile pour quelqu’un qui a déjà une assurance vie. Même constat pour l’assurance d’une voiture de location, qui est déjà couverte par une carte de crédit. Dans l’univers de l’assurance, il vaut mieux prendre le temps de magasiner et le faire au bon endroit.
FI : Dans une bancassurance, le volet bancaire fragilise-t-il celui de l’assurance ?
PG : Oui. Une banque est sujette à des risques systémiques. Les banques sont interconnectées ; elles se prêtent et empruntent entre elles. Alors, si une banque est en difficulté, le réseau bancaire peut rapidement le devenir.
La situation est tout autre en assurance. Les assureurs ne sont pas sujets aux risques systémiques. Alors qu’il faut agir vite et liquider son actif quand une banque est en difficulté, ce n’est pas le cas d’un assureur, dont les obligations s’étendent sur une longue période. Le temps de réaction n’est pas le même. Autrement dit, l’univers des assureurs est beaucoup plus stable.