Question de corrélation
«Plusieurs recherches démontrent qu’une importante exposition au risque de change peut augmenter la volatilité d’un portefeuille sans en améliorer le rendement espéré», concède Dan Bortolotti. Mais ces études se concentrent sur des pays comme les États-Unis, l’Allemagne, le Japon et le Royaume-Uni. «Au Canada, et même en Australie, cela ne semble pas être le cas», ajoute-t-il. En fait, tout dépend du lieu de résidence de l’investisseur.
D’après une analyse publiée en 2011 par Pyramis Global Advisors, les devises peuvent jouer différents rôles. Certaines sont des valeurs refuges, comme le dollar américain, le franc suisse et même l’euro. Ces monnaies ont tendance à s’apprécier lorsque les marchés boursiers mondiaux chutent. Par contre, les dollars canadien et australien, dont les cours sont liés aux prix des matières premières, tendent à se déprécier quand l’économie va mal. D’autres devises, dites neutres, comme le yen ou la livre sterling, sont plutôt non corrélées aux marchés. Les gestionnaires de portefeuille doivent comprendre ces dynamiques de marché pour mieux gérer les risques, expliquent les auteurs.
«Un investisseur canadien ne devrait pas protéger son portefeuille d’actions américaines du risque de change, puisque le billet vert procure une bonne diversification. En général, le dollar américain a une corrélation négative avec les marchés mondiaux. Lors d’un recul important des Bourses, comme en 2008-2009, il est susceptible de s’apprécier, ce qui réduira les pertes des investisseurs canadiens», note Dan Bortolotti.
«Le dollar canadien est corrélé positivement à la croissance mondiale. Dans le cas d’une récession mondiale, couvrir le risque de change pourrait accentuer les pertes. Ne pas protéger les fluctuations des devises procure une protection naturelle contre une baisse des marchés en réduisant la volatilité du portefeuille», ajoute Ian Gascon, président de Placements Idema.
Dan Bortolotti recommande une diversification internationale qui dépasse le marché américain. «En investissant dans un panier de titres qui expose le portefeuille à plusieurs devises telles que l’euro, le yen, le franc suisse et même les pays émergents, on parvient à une meilleure gestion des risques. Le moyen le plus simple d’y parvenir ? En détenant des FNB qui investissent dans un vaste éventail d’actions internationales qui n’utilisent pas d’instruments de couverture de change.»
Selon Dan Hallett, CFA et vice-président chez High View Financial Group, le contenu étranger du portefeuille des Canadiens n’est pas si considérable. «Ce pourcentage est souvent inférieur à 25 % du portefeuille, puisque la portion obligataire est dans de nombreux cas libellée en dollars canadiens», constate-t-il. Dans de telles conditions, on ne devrait pas protéger les fluctuations de devises, dit-il. Tout comme Ian Gascon et Dan Bortolotti, ce dernier croit que les opérations de couverture créent des écarts de suivi défavorables aux investisseurs.
Spéculer sur les devises
Idéalement, on protégerait les devises qui se déprécieront à l’avenir, tout en ne couvrant pas celles qui s’apprécient. Mais personne n’a de boule de cristal, et le conseiller qui souhaite spéculer sur les devises court le risque de se tromper. Les investisseurs doivent comprendre à quoi ils s’exposent. «Si un gestionnaire souhaite prendre position sur le retour à la parité du dollar canadien, qu’il le fasse. Pour ma part, je ne prétends pas être en mesure de prévoir les variations des taux de change. Je préfère prendre en considération ce que je peux contrôler. Je sais par exemple qu’on ne peut pas couvrir parfaitement les fluctuations des devises, et qu’à long terme, de telles opérations seront néfastes pour le portefeuille. C’est pourquoi je ne couvrirai pas le risque de change», explique Ian Gascon.
«Spéculer sur les devises est une mission ambitieuse», affirme Dan Hallett. «Plusieurs gestionnaires protégeront 100 % de l’actif étranger, d’autres 0 %, en affirmant qu’ils sont neutres sur les devises puisqu’ils ne prennent pas de position explicite sur ces monnaies. La vraie neutralité, selon moi, serait de protéger 50 % du risque de change d’un portefeuille», ajoute-t-il.
«Les conseillers ne devraient pas se prononcer sur la direction des devises. La décision de couvrir ou non les fluctuations des monnaies devrait plutôt dépendre de la situation de chaque investisseur, croit Dan Hallett. Certains clients ont une exposition indirecte au risque de change. S’ils détiennent de l’immobilier aux États-Unis, par exemple, il peut être souhaitable de réduire leurs valeurs mobilières en dollars américains.»
Et le marché obligataire ?
Les obligations étrangères semblent faire exception quand il s’agit de protéger le risque de change. Plusieurs spécialistes préconisent la couverture de cette catégorie d’actif. Selon Dan Bortolotti, le différentiel de taux d’intérêt entre les titres à revenu fixe est actuellement faible et peut être annulé par les fluctuations des taux de change. «Autrement dit, l’ajout de ce risque de devise au portefeuille peut accroître la volatilité sans augmenter le rendement espéré. Ce qui est clairement une mauvaise combinaison», dit-il.
L’Office d’investissement du régime de pensions du Canada protège également le risque de change de ses obligations étrangères. «Ceci permet de réduire la volatilité du portefeuille en faisant de ces titres à revenu fixe de bons substituts aux obligations canadiennes», peut-on lire dans son rapport annuel 2013.
Dans le cas des actions internationales, l’effet des fluctuations de devises sur la volatilité des rendements totaux est minime, rappelle l’organisme, parce que la principale composante de la volatilité provient du rendement des actions elles-mêmes.
L’Office constate enfin que les coûts de protection de devises sont excessivement élevés dans plusieurs marchés en croissance, alors que ces économies détiennent à long terme un avantage du point de vue de la productivité et de la croissance. Leurs monnaies pourraient donc s’améliorer par rapport à celles des pays développés et une couverture de ces devises anéantirait le gain potentiel du portefeuille.