Elle a fourni tout d’abord des liquidités aux filiales américaines de banques européennes. En mars 2008, la banque a prêté des fonds à JP Morgan Chase pour l’achat de Bear Stearns. À la mi-septembre, c’est encore la Réserve fédérale qui a injecté 80 G$ US dans l’assureur américain AIG.

Quelques jours après ce dernier sauvetage, Ben Bernanke a plaidé auprès de Henry Paulson, secrétaire du Trésor américain, pour qu’il demande l’aide financière du Congrès.

«La Fed ne pouvait pas tout faire seule, juge Ben Bernanke. Plusieurs importantes institutions financières et, en fait, tout le système économique et financier, étaient fortement à risque. Pour obtenir l’autorité, le pouvoir fiscal et la légitimité démocratique afin de mettre fin à la crise, nous devions nous en remettre au Congrès.» En pleine campagne électorale, le Congrès refusa initialement les demandes de l’administration Bush (700 G$ US), et acquiesça finalement une semaine plus tard.

Combattre la dépression

Après la phase aiguë de la crise financière, la Réserve fédérale a dû rapidement tenter, encore une fois seule, de stimuler la croissance.

Lorsque le Congrès américain a refusé toute mesure de stimulation économique et s’est plutôt engagé dans des compressions budgétaires, c’est naturellement à la banque centrale qu’il est revenu de stimuler le marché du crédit en maintenant les taux d’intérêt à des niveaux historiquement bas.

Cela s’est fait à l’aide de plusieurs rondes d’assouplissement quantitatif. Si ces mesures exceptionnelles ont souvent provoqué l’indignation chez certains politiciens – Ben Bernanke ne se gêne pas pour remettre en question leur constance et leur rigueur -, elles feront aussi des sceptiques au sein même de l’institution.

Contrairement à un général, Ben Bernanke ne pouvait pas imposer ses vues dans les différents ordres décisionnels de la Réserve fédérale. Le président de la Fed n’a aucun pouvoir particulier et, même si, techniquement, les décisions sont prises en fonction de la majorité, le consensus est sans cesse recherché. C’est le pouvoir de persuasion du président qui fait foi de tout.

Le communicateur convaincant

Spécialiste de la crise financière des années 1930, Ben Bernanke profitait d’une crédibilité en matière de gestion de crise financière et il s’en est servi pour convaincre ses collègues.

Avec un collègue de l’Université de Princeton, il avait proposé, en 1999, la théorie de l’«accélérateur financier» pour expliquer la dépression des années 1930. La baisse de valeur des actifs mène à un ratio d’endettement plus élevé, ce qui décourage l’emprunt et ralentit l’économie. Les salaires et les prix diminuent de nouveau, et le cercle vicieux recommence. «J’aurais aimé m’être trompé», écrit Ben Bernanke.

Son pouvoir de persuasion, il l’a également mis à profit pour convaincre les marchés et le public. La communication est d’ailleurs pour lui une préoccupation, voire une obsession.

C’est Ben Bernanke qui a introduit, à partir de 2011, les conférences de presse régulières à la Réserve fédérale. Il a aussi utilisé ce qu’on appelle dans le jargon des «open mouth operations», ou expressions d’intention. Il s’agit de convaincre les marchés, dans des discours, que les taux d’intérêt allaient être maintenus à un niveau bas pour une longue période.

Il a même publié un recueil de conférences durant son mandat.

Changement de culture

Pour Neil Irwin, journaliste au New York Times et auteur de The Alchemists – un livre sur les banques centrales -, il ne fait pas de doute que Ben Bernanke a provoqué un changement de culture profond à la Fed.

«Alan Greenspan et plusieurs de ses prédécesseurs pensaient que la Réserve fédérale était plus puissante quand elle en disait le moins possible», explique Neil Irwin en entrevue à Finance et Investissement.

Un vieux dicton populaire dans le milieu ordonnait d’ailleurs de ne jamais expliquer et de ne jamais s’excuser.

Déjà lorsqu’il était professeur à Princeton, Ben Bernanke conseillait l’adoption d’une cible d’inflation par la banque centrale américaine. «Il croyait que la Fed pouvait en fait avoir plus de pouvoir si elle communiquait clairement ce qu’elle tentait de faire, et pourquoi. Selon lui, cela permettrait de mieux ancrer les attentes», explique Neil Irwin.

Celui que Tim Geithner, alors président de la Réserve fédérale de New York, surnommait «le bouddha des banquiers centraux», écrit que de «projeter le calme, la rationalité et l’assurance, c’est la moitié de la bataille».

Ben Bernanke s’enthousiasme par ailleurs devant l’exploit de Mario Draghi qui, avec sa promesse, en juillet 2012, de «prendre tous les moyens nécessaires pour préserver l’euro», a réussi à calmer les marchés et a fait baisser radicalement les taux d’emprunt de certains pays européens au cours des mois suivants.

«C’était là un formidable exemple du pouvoir de communication d’une banque centrale», écrit Ben Bernanke à propos du président de la Banque centrale européenne.

Pour Neil Irwin, il n’y a pas que sur le plan des communications que Ben Bernanke a joué un rôle «révolutionnaire».

«Durant la période de 2009 à 2013, il s’est engagé à éviter la déflation à tout prix et a utilisé tous les moyens à sa disposition pour ce faire, notamment la communication, mais aussi l’achat massif d’obligations. Ces moyens font maintenant partie du coffre à outils des banquiers centraux.»