Ces lacunes concernent surtout l’épargne collective, un domaine où les investisseurs se posent deux questions pour lesquelles les réponses sont rarement claires : combien le placement a-t-il coûté ? Et combien le portefeuille rapporte-t-il ?
À cet égard, la récente initiative de réglementation porte sur la divulgation des honoraires perçus par le conseiller et sur le modèle d’affaires de la distribution des fonds communs, qui repose notamment sur les commissions de suivi.
Ces dernières représentent en moyenne 40 % des frais facturés aux clients. Les régulateurs constatent que la distribution de fonds communs au Canada étant fondée sur la rémunération des conseillers, des conflits d’intérêts potentiels ou perçus peuvent exister.
Ainsi, 34 % des 13 G$ de revenus générés en 2011 au pays par les manufacturiers de fonds communs du pays sont versés en commissions de suivi seulement.
«L’impression que les conseillers sont incités à recommander certains [fonds] pour toucher des courtages et des commissions de suivi plus élevés est peut-être aggravée par le barème de rémunération dont les courtiers se servent pour fixer les émoluments des conseillers», écrivent les ACVM.
Selon l’industrie, l’obligation de divulguer toute la rémunération crée un désavantage concurrentiel dont souffriraient les fonds communs par rapport aux autres produits de placement.
On craint que les clients, sachant que les conseillers canadiens ont empoché jusqu’à 4,6 G$ de commissions de suivi en 2012, soit quelque 44 000 $ pour chacun des 104 000 conseillers du pays, ne privilégient par exemple les fonds distincts des assureurs, dont la vente n’est pas soumise à des règles de divulgation aussi strictes.
Des experts réunis par le Conseil des fonds d’investissement du Québec discutaient récemment des réticences de l’industrie à divulguer la rémunération de ses conseillers. L’avocat spécialisé en conformité Éric Lapierre jugeait «bizarre» que l’industrie soit aussi transparente sur le plan de la rémunération. «C’est comme si c’était mauvais que les représentants en épargne collective soient rémunérés», disait-il, déplorant le fait qu’on exige de son secteur qu’il soit «plus blanc que blanc».
«Les manufacturiers [de fonds communs] ressentent beaucoup de pression pour agir sur le front des frais», nous expliquait en 2012 Joanne De Laurentiis, présidente de l’Institut des fonds d’investissement du Canada (IFIC).
C’est au tour des conseillers de voir leur rémunération scrutée à la loupe. Alors que les régulateurs tiennent des consultations, les lobbys de consommateurs sont de plus en plus critiques quant aux frais.
Le gouvernement fédéral lui-même a instauré son Régime de pension agréé collectif en partie parce que ses analyses lui ont démontré que dans le contexte boursier actuel, les frais des fonds communs peuvent miner l’épargne-retraite des investisseurs.
Aux coûts des fonds communs, l’industrie oppose la valeur du conseil prodigué par les conseillers. Une étude récente du centre interuniversitaire de recherche CIRANO calcule ainsi que les épargnants qui font affaire avec des conseillers ont, dans l’ensemble, 2,73 fois plus d’actif après 15 ans que ceux qui ne sollicitent aucun conseil financier.
Il est cependant très rare qu’on sache exactement ce que gagne le conseiller, et donc impossible de juger si, toutes choses étant égales par ailleurs, le conseiller pourrait vendre un produit qui coûte plus cher pour en tirer une meilleure rémunération.
Les commissions de suivi ou les courtages versés par la société de fonds communs ne sont pas divulgués, «ce qui a pour effet de limiter l’information dont les investisseurs disposent sur ces frais», indiquent les ACVM.
Cela «laisse entendre que très peu d’investisseurs ont conscience de leur incidence sur le rendement net», qu’ils ne choisissent pas les options les moins chères, «et que le rendement s’en ressent».
Alors que l’épargne-retraite et son financement deviennent l’enjeu de politiques publiques, en raison des déficits des caisses de retraite et du faible taux d’épargne personnelle qui mobilisent les politiciens, les conseillers et les services qu’ils prodiguent deviennent de plus en plus importants.
À la conférence de l’Association internationale des fonds d’investissement (IIFA), tenue en Afrique du Sud en novembre dernier, la déclaration finale des délégués, dont l’IFIC fait partie, promulguait qu’il fallait s’efforcer de «construire une industrie mondiale plus transparente» pour aider les clients à atteindre leurs objectifs de retraite.
L’Europe et de nombreux pays anglo-saxons ont déjà légiféré sur la rémunération des conseillers ou s’apprêtent à le faire. L’Australie et le Royaume-Uni, par exemple, ont banni les commissions.
Un mouvement auquel le Canada semble vouloir emboîter le pas.
L’industrie canadienne a tout intérêt à participer à cette réflexion. Si elle se contente de regarder le train passer, sans proposer de solutions constructives qui permettent d’augmenter la transparence, elle risque de se voir imposer de nouvelles règles.
Sans compter que de nombreux clients estiment avoir le droit de connaître et de comprendre la rémunération des conseillers. Tout comme ces derniers la méritent.