Celle que rien n'arrête
Jérôme Lavallée

Aujourd’hui retraitée, Carmen Crépin, juriste de formation, aura marqué l’industrie financière par sa fougue, sa rigueur, sa détermination et sa capacité à faire travailler les gens ensemble.

Elle cite en exemple les postes d’adjointe exécutive du sous-ministre et chef de cabinet du ministre de la Justice du Québec qu’elle a occupés dans les années 1980. Alors qu’elle était au début de la trentaine, elle devait coordonner les mesures d’urgence avec les différents corps policiers.

Au lendemain d’une manifestation houleuse, durant laquelle des policiers ont mal accepté l’idée de recevoir des directives d’une femme, elle s’est présentée à l’état-major de la Sûreté du Québec (SQ), où 30 policiers l’attendaient dans une salle.

«Je leur ai dit qu’il fallait se parler, parce que des manifestations, on allait en avoir d’autres, et qu’il faudrait retravailler ensemble», souligne Carmen Crépin, qui a gagné leur respect.

Un policier lui a même déjà dit : «Pour moi, la place d’une femme, c’est dans la cuisine. Mais quand on s’en va au feu, un partner comme toi, anytime !» se souvient-elle. Elle a par la suite obtenu sa carte de membre honoraire du Mess des officiers de la SQ.

Après un mandat de coroner en chef adjoint et de chef suppléant du Québec, Carmen Crépin est devenue la vice-présidente et secrétaire de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), de 1989 à 1998.

Son arrivée coïncidait avec l’achat de la chaîne de supermarchés Steinberg et d’Ivanhoé, sa division immobilière, par la CDPQ. Il fallait structurer toute l’acquisition et arriver à faire fonctionner les différents comités.

«C’étaient des mandats importants, mais j’ai adoré ça», souligne-t-elle.

D’ailleurs, les expériences et les changements dans sa carrière sont souvent «arrivés comme des accidents», confie-t-elle. Tout comme son arrivée à la présidence de la Commission des valeurs mobilières du Québec (CVMQ), en 1999.

«Bernard Landry [alors ministre des Finances du Québec] cherchait quelqu’un, et on m’a approchée, dit-elle. À un moment donné, on dit oui ou on dit non.»

Durant son mandat de trois ans, elle siège aux comités nationaux en tant que membre des Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM), et participe également à des forums internationaux.

Elle a été notamment présidente du Council of Securities Regulators of the Americas (CSRA) de 2000 à 2002, présidente de l’Institut francophone de régulation financière (IFRF) et a siégé au Comité technique de l’Organisation internationale des Commissions de valeurs (OICV). Cette place à l’international, elle y tenait, car «la crédibilité de notre marché passe par la place que nous prenons à l’international».

Cependant, Carmen Crépin savait déjà à cette époque que des changements importants étaient imminents et qu’on envisageait la dissolution de la CVMQ.

C’est lors des consultations particulières sur le projet de loi sur l’Agence nationale d’encadrement du secteur financier – ancienne dénomination de l’Autorité des marchés financiers (AMF) -, au mois d’août 2002, qu’elle rencontre Joe Oliver, alors président et chef de la direction de l’Association canadienne des courtiers en valeurs mobilières (ACCOVAM).

Joe Oliver avait une proposition pour elle. Carmen Crépin obtient le poste de vice-présidente pour le Québec de l’ACCOVAM en 2002 et la CVMQ est finalement absorbée par l’AMF, tel qu’anticipé.

Son premier défi dans ce mandat a été d’obtenir la reconnaissance de son organisation par l’AMF, puisqu’à la création de ce dernier régulateur, la clause grand-père qui permettait à l’ACCOVAM d’exister était annulée.

L’association disposait de six mois pour le faire, ce qui lui a permis de continuer d’exercer ses activités au Québec.

Un défi de taille, puisqu’aucun modèle n’existait pour présenter une demande de reconnaissance à l’époque. «Il a fallu le créer de toutes pièces», remarque Carmen Crépin.

S’ensuit un marathon de rencontres et de présentations de documents, qui a précédé l’obtention d’une décision positive du PDG de l’AMF de l’époque, Jean St-Gelais, assortie d’un décret du gouvernement.

Le sprint final s’est déroulé durant les fêtes nationales, soit le 24 juin et 1er juillet 2004. «Deux nuits passées dans des bureaux d’avocats, au téléphone, à regarder le libellé des clauses pour en négocier les modalités, relate-t-elle. Nous avons respecté notre deadline juste à temps.»

Ce travail a permis à l’ACCOVAM de devenir le seul régulateur au Québec à encadrer à la fois les courtiers et les conseillers en vertu d’une délégation de pouvoir de l’AMF.

Changer de l’intérieur

De 2002 à 2015, Carmen Crépin est demeurée à la vice-présidence pour le Québec de l’OCRCVM (née de la fusion de l’ACCOVAM et des Services de réglementation du marché en 2008).

De tout son parcours dans l’industrie financière, elle estime que sa plus grande réussite est d’avoir réussi à faire progresser l’harmonisation dans la réglementation pancanadienne des valeurs mobilières.

«Je l’ai toujours dit, je vais me battre par en dedans pour le Québec.» Cette phrase de Carmen Crépin a porté plusieurs des défis auxquels elle a été confrontée à titre de dirigeante de régulateurs.

Une loi qui uniformise le secteur des valeurs mobilières au Canada, il y en avait une sur la table au début des années 2000, rédigée par un groupe de travail composé de membres des ACVM. «Elle était prête à être adoptée», affirme-t-elle.

Il appartenait à chaque commission provinciale de présenter le projet à son gouvernement pour que celui-ci l’introduise. Le projet achoppera finalement pour des raisons politiques et de volonté ministérielle. «Le Québec a été à l’avant-garde dans l’application du passeport, et c’est une formule à poursuivre et à privilégier», soutient Carmen Crépin.

Cependant, les bases de l’harmonisation, soit la réglementation par référence et de reconnaissance mutuelle, étaient jetées et ont permis des avancées.

«Nous avons mis en place les visas de prospectus, le précurseur du passeport», cite Carmen Crépin. Elle illustre cet exemple par un prospectus émis par une pétrolière et approuvé par l’Alberta, de même que dans tout le Canada, les autres autorités de réglementation provinciales reconnaissant l’approbation albertaine.

Lorsque la Bourse de Montréal a voulu se concentrer dans le domaine des produits dérivés, en novembre 2004, c’est l’ACCOVAM qui s’est chargée de l’encadrement des courtiers et de leurs représentants en valeurs mobilières. Pour Carmen Crépin, ce dossier a été le plus difficile de sa carrière. «Une décision avait été prise, mais elle ne faisait vraiment pas l’unanimité, à tel point que la question était de savoir comment faire pour que tout le monde s’entende.»

En tout, 21 employés ont été transférés à l’ACCOVAM par la Bourse de Montréal. Ils sont maintenant 50. «C’est aussi des emplois au Québec, beaucoup de choses sont liées à notre centre opérationnel», souligne-t-elle.

En 2013, l’OCRCVM a obtenu un ajout à la Loi sur l’AMF lui permettant d’homologuer une décision disciplinaire et d’assurer l’exécution des sanctions qu’une formation d’instruction de l’OCRCVM imposait.

Cet ajout faisait partie des demandes historiques de l’organisation, et Carmen Crépin a réussi à l’obtenir durant son mandat. Encore à ce jour, seuls l’Alberta et le Québec permettent à l’OCRCVM d’homologuer leurs décisions disciplinaires, ce qui favorise la perception des amendes par l’autorégulateur.

Pour Carmen Crépin, ce pouvoir permet d’offrir une solution de rechange à la condamnation ultime : exclure un conseiller de l’industrie. «Sortir quelqu’un de l’industrie, c’est quand même une condamnation ultime. La sanction monétaire est un bon outil de dissuasion.»

Chercher l’équilibre

Carmen Crépin a toujours recherché l’équilibre entre la réglementation et l’environnement dans lequel on évolue avant d’édicter une règle. «Le corpus de la réglementation ne peut pas représenter 80 % des frais d’exploitation d’une firme», affirme-t-elle.

«Je comprends l’industrie qui dit qu’on a trop [de réglementation], dit-elle. Quand on légifère, quand on réglemente, il faut être capable de dire, de un, [la règle] sert-elle encore, de deux, si elle ne sert plus, on l’enlève, on essaie de coller à la réalité et de la suivre.»

Durant son passage à la direction de différents régulateurs, Carmen Crépin mesurait d’abord l’impact et les coûts de la mise en application d’une règle. Il arrivait parfois que la solution à un problème ne se trouve pas dans l’adoption d’une nouvelle règle.

«Il faut travailler sur les bonnes cibles et ne pas seulement faire du système et du contrôle pour le plaisir d’en faire, c’est un équilibre très difficile à établir», ajoute-t-elle.