Les fragilités du système bancaire chinois sont connues depuis bon nombre d’années. Tant que l’économie tournait à fond de train, celles-ci n’étaient pas sensibles. Mais les ratés actuels de l’exportation les exacerbent. «Les signes sont maintenant évidents : la Chine connaît un problème grave», dit Scott Sumner, professeur d’économie à l’Université Bentley, en banlieue de Boston.

Pilier de l’ombre

Trois zones de l’édifice financier chancellent, selon le rapport On the Road to Nowhere, The Changing Nature of Chinese Economic Expansion, de BestInvest, à Londres : les prêts aux gouvernements locaux, les prêts aux développeurs immobiliers et, tout particulièrement, le secteur bancaire parallèle (shadow banking). Dans la foulée de la stimulation financière que le gouvernement chinois a amorcée au lendemain de la crise financière, de nombreux investissements en infrastructure ont été financés et ne se révèlent pas profitables.

Parce que les chiffres officiels sont toujours douteux, on ne connaît pas l’étendue des mauvaises créances en jeu. BestInvest rapporte qu’en 2011, plus de 20 % des prêts consentis en 2008 ont été radiés «et des données récentes suggèrent que l’an dernier, les banques chinoises ont été obligées de reconduire au moins les trois quarts de tous les prêts arrivés à maturité qui avaient été consentis aux gouvernements locaux.»

Les développeurs immobiliers, dont les prêts s’élevent à environ 675 G$ US mettent également les banques à risque, car ils sont obligés de trouver des acheteurs pour leurs plus récents projets dans un marché en retrait.

Le plus inquiétant tient à tout le secteur des banques parallèles, un réseau informel de compagnies de fiducies, de compagnies de garanties de crédit, de produits de «gestion d’actifs» et d’activités bancaires hors bilan. On ne connaît pas la taille exacte de ce secteur, mais BestInvest calcule qu’au-delà de 50 % des prêts consentis en 2012 l’ont été par le secteur parallèle. Depuis 2008, la croissance de ce secteur a été fulgurante.

L’ironie, c’est que l’émergence des «banques de l’ombre» est le résultat des restrictions mises en place par le gouvernement pour améliorer les ratios de capital des grandes banques et réduire le nombre de prêts délinquants. En même temps qu’il canalisait ainsi les banques, le gouvernement maintenait sa cible de croissance économique de 7,5 %. Ce faisant, il a poussé les gouvernements locaux et les développeurs immobiliers entre les mains des banques parallèles.

Pour nourrir son système de prêts, le secteur de l’ombre a pu attirer une proportion croissante de l’épargne de la population en promettant des rendements bien supérieurs aux simples dépôts bancaires avec des placements apparemment sécuritaires. BestInvest calcule que ces produits de gestion d’actif abritent plus de 1,5 billion de dollars américains. Résultat, affirme l’étude de BestInvest, «le crédit croît à un rythme insoutenable alors que le secteur parallèle favorise le crédit dans des zones de l’économie abandonnées par les ban-ques régulières».

Structure à la Ponzi

«De grandes parties du secteur parallèle ressemblent de plus en plus à un vaste système à la Ponzi», juge Gareth Lewis, chef des investissements chez BestInvest et auteur de l’étude. Jim Rickards, banquier d’investissement et auteur de l’ouvrage Currency Wars, n’hésite pas à caractériser ce secteur dans les mêmes termes. «C’est une structure à la Ponzi géante», a-t-il déclaré le 25 juin dernier dans une émission de The Daily Ticker de Yahoo!Finance. Les institutions parallèles «ne vendent jamais les actifs, expliquait Jim Rickards. Elles paient les investisseurs à même la vente de nouveaux produits d’investissement», manoeuvre typique des structures à la Ponzi.

La situation est-elle devenue alarmante au point de mener à une crise financière ? Les avis sont partagés. «Je ne m’avancerais pas jusqu’à annoncer une implosion du secteur financier chinois, mais il y a beaucoup de risques, c’est certain», soutient Jean-Benoit Leblanc, gestionnaire de portefeuille, marchés émergents, chez Hexavest, à Montréal. «Cet excès de crédit est probablement chose du passé ; le gouvernement en place semble plus pragmatique en ce qui concerne le système financier.»

D’autres analystes sont plus pessimistes. Le 22 juin dernier, Charlene Chu, directrice senior des institutions financières chez Fitch Ratings, évaluait à 60 % les risques d’une crise systémique de l’industrie bancaire chinoise qu’elle prévoit très prochainement.

«Les problèmes des prêteurs chinois sont plus grands que ceux des banques occidentales à la veille de la crise financière, a dit en mai dernier au Sunday Telegraph Carson Block, fondateur de Muddy Waters Research à Londres, analyste de l’économie chinoise très respecté. Mais parce qu’elles sont propriété de l’État, ce dernier va plus probablement imprimer de l’argent et les maintenir à flot. Par contre, cela aura des conséquences néfastes pour l’économie chinoise.»

Parce que l’industrie bancaire chinoise n’est pas aussi ramifiée à l’international que les banques américaines ou européennes et se trouve davantage confinée à son territoire, les retombées d’une éventuelle crise financière Made in China seront sans doute plus limitées. Mais certains pays risquent d’en pâtir, juge Carson Block, notamment le Canada.

«Nous percevons la Chine comme une bulle financière massive. Cela met directement à risque les pays émergents dont l’économie est basée sur les ressources, de même que l’Australie, le Canada et la Nouvelle-Zélande.»